MICHAEL JACKSON : « Off The Wall »
Si « Music of My Mind » était le son de la libération pour Stevie Wonder, pour Michael Jackson son « Independance day » est incarné par cet extraordinaire « Off The Wall » au parfum de la liberté. 37 ans plus tard, ce monument de la funkitude ressort boosté par un ambitieux documentaire aux très nombreux témoignages intitulé « Michael Jackson’s journey from Motown to « Off The Wall » » et réalisé par Spike Lee.
Le choix de ce titre « Off The Wall » était déjà une révolte en soi, une réaction épidermique à « On The Wall », une rubrique du show « The Jacksons » diffusé sur la chaine CBS où Michael, en docile animateur télé, recevait ses invités face à un mur de briques rouges. Ces derniers devaient laisser leur autographe inscrit à la craie sur le mur puis esquisser quelques pas de danse avant de se figer dans un sourire forcément commercial. L’émission a été diffusée durant toute l’année 76. Et Michael aura vraiment détesté cette expérience. Mais heureusement, un événement va bouleverser le cours de sa vie, le tournage du film « The Wiz » réalisé par le vétéran Sidney Lumet. Une version revisitée en mode funk du « Magicien d’Oz ». Michael y incarne « l’épouvantail », tandis que Diana Ross tient celui de Dorothy. Au-delà du succès relatif du film et des routines de danse, Michael rencontre un certain Quincy Jones, le responsable de la musique sur cette production. Immédiatement, le courant passe entre les deux artistes, comme une sorte de coup de foudre. Quincy, son amour du son et sa formation jazz et l’adolescent-star coincé, telle la chenille dans son cocon, qui ne demandait qu’à devenir papillon pour pouvoir enfin déployer ses ailes. Dans le film de Spike Lee, on peut lire cette note que Michael s’était faite à lui-même durant la tournée qui a suivi la sortie du LP « Victory » des Jacksons. C’est sidérant. Et tellement prophétique : « MJ sera mon nouveau nom et non plus Michael Jackson. Je veux être un tout nouveau personnage, avec un tout nouveau look. Je dois devenir une personne totalement différente. En me voyant, les gens ne doivent plus jamais songer au gamin qui chantait « ABC » et « I Want You Back ». Je dois désormais devenir un incroyable et nouvel acteur-chanteur-danseur capable se secouer la planète. Je ne ferai plus d’interviews. Je serai magique. Je serai un perfectionniste, un explorateur, un maitre. Je serai meilleur que chacun des plus grands acteurs comme en un seul homme. Je dois appliquer le plus incroyable des programmes d’entrainement et chercher et chercher et chercher jusqu’à ce que je finisse par trouver. Je vais étudier et observer tout l’univers de l’entertainment pour le perfectionner, pour le porter encore plus haut que ce qu’ont atteint les plus grands. ». En 79, Michael fête ses 21 ans, l’âge légal où l’on peut enfin s’enivrer … l’ivresse des sommets ! Le documentaire de Spike Lee nous raconte l’incroyable épopée de ce petit garçon prodigieux et de sa fratrie de leur Gary, Indiana natal jusqu’aux sons de la libération incarnée par ce prodigieux « Off The Wall » en passant par le départ de la Motown, la transformation des Jackson 5 en Jacksons… avant de se décliner au singulier avec un Michael superstar enfin seul. Avec une foule d’intervenants où l’on retrouve les frères Jackson, les parents Joe et Katherine, Quincy Jones, mais également de très nombreux musiciens, producteurs arrangeurs et responsables de promo à l’instar de la fameuse Suzanne De Passe ou de son boss chez Motown, Berry Gordy, c’est sans doute le documentaire le plus abouti jamais réalisé pour retracer la métamorphose de MJ et l’envol du prodigieux papillon sonique.
Un album crucial resté trop longtemps à l’ombre des géants que seront « Thriller » et « BAD »
Musicalement, malgré ses 37 printemps, « Off The Wall » est toujours une bluffante bombe rythmique. Dés « Don’t Stop Till You Get Enough », qui ouvre l’album, le tout premier hit jamais composé par Michael, on est sous l’effet de cet irrésistible beat funky d’une incroyable rapidité. Bien sûr « ne t’arrête pas avant d’en avoir assez » est tout un programme pour le jeune adulte enfin libéré de l’entourage de ses frères. Mais avec Quincy à la manœuvre, on est littéralement scotché par le son d’un puissance aussi inégalée que sa pureté est extrême. Suit la délicate et funky aérienne « Rock With You », une élégante compo de Rod Temperton pulsée par les sublimes harmonies de MJ. Avec « Working Day and Night », encore une compo signée MJ, Michael et Quincy exhibent avec fierté leurs racines africaines, sur un titre aussi aérien qu’il sait être rapide comme l’éclair. Tel un cœur qui bat fort grâce à la basse fulgurante de son co-compositeur, le regretté Louis Johnson des fameux Brothers Johnson, « Get on The Floor » compte parmi les instants de bravoure de l’album. Quant à la chanson-titre, « Off The Wall » avec ses fameux cris de Michael et sa fièvre funk, elle annonce incontestablement les mega-hits à venir que seront « Thriller » et « Beat It ». Signée Paul McCartney, « Girlfriend » figurait sur son 33 tours « London Town » sorti un an auparavant, mais la reprise sucrée-candide de cette chanson ouvre la voie des futures collaborations entre MJ et Macca telles que « The Girl Is Mine » en 82 puis « Say Say Say » en 83. Sans fautes pour Jackson, même la romance un peu sirupeuse « She’s Out of My Life » devient un chef-d’œuvre de la stature de « Ben » le tout premier hit en solo de Michael en 72. Aussi légère qu’élégante, « I Can’t Help It », la compo émotionnelle du pote d’enfance Stevie Wonder est sans doute un des joyaux cachés de cet album, la redécouvrir est un pur instant de bonheur. Pas facile de se distinguer au milieu de tant de hits enfilés comme des perles rares, du coup l’insouciante « It’s The Falling in Love » semble presque banale. C’est pourtant un joli brin de pop-song. Et c’est encore le futé Rod Temperton qui a le dernier mot avec composition offensive, « Burn This Disco Out », clin d’oeil funky à la chute de la disco-music et aux autodafés organisés pour bruler des piles de singles de cette « musique à danser » désormais honnie, histoire de tourner la page. Finalement, « Off The Wall » est un album crucial resté trop longtemps à l’ombre des géants que seront « Thriller » et « BAD » : au cas où l’on aurait pu l’oublier, cette précieuse réédition est faite pour nous le rappeler.