MA PREMIÈRE ITW AVEC OMD Épisode 2

OMDVoici 41 ans dans BEST GBD tendait pour la toute première fois son micro à Paul Humphreys et Andy McCluskey, le binôme d’Orchestral Manœuvres In the Dark alias OMD qui publiaient leur épatant et ambitieux 3ème LP  le lumineux « Architecture and Morality » propulsé par ses hits « Souvenirs »  et le francophile « Joan Of Arc ». Incroyablement discrets et timides, cherchant à tout prix à échapper à la célébrité, revendiquant leur statut de stars anonymes et surtout ultra critiques à l’égard marionnettes du rock qui font de figuration chaque semaine à Top Of the Pops, ces banlieusards revendiqués de Liverpool,  dont le cœur bat forcément à gauche se révélaient extrêmement lucides et vertigineusement visionnaires. Flashback… Épisode 2.

OMDC’était ma première rencontre avec Paul et Andy, la première d’une joyeuse petite série d’entretiens avec les deux hémisphères d’OMD ( Voir sur Gonzomusic  ). Car depuis leur fameux « Electricity » publié deux ans auparavant, j’étais fasciné par l’acuité synthétique de ces deux jeunes gens  et je suivais de près leurs aventures soniques. Cependant au pays doré de la pop-music je ne m’attendais pas à ce qu’ils me balancent  pour évoquer leur nouveau 33 tours : « « Architecture and Morality » politiquement  c’est comme la « moral majority » de Reagan », nous alertant avec bravade un peu plus tard sur les pratiques douteuses du showbiz avec une surprenante radicalité de la part d’un groupe qui culmine si haut dans les charts :« Après le coup d’aspirateur punk, l’Angleterre plus qu’hier et moins que demain est en train de tomber dans le panneau facile de l’imagerie. On vend une musique exclusivement sur ie visuel et le sex appeal, c’est à l’antithèse de ce que nous sommes ». Épisode 2.

Publié dans le numéro 163 de BEST sous le titre :

CLAIR-OBSCUR (suite et fin)

OMDPaul et toi, vous sentez-vous proches d’un mouvement pop synthétique en compagnie de Human League, Simple Minds, etc…

PH : Human League a débuté bien avant nous.

AMcC : Je crois surtout qu’ils ont des idées différentes des nôtres. Au début, par exemple, les gens de HL étaient très réacs par rapport à leur musique « électronique », au point de préciser en bas de leurs crédits des choses telles que « Voices and synthetisers only ».

PH : Tu parles, on s’en fiche de la recette, ce qui doit compter avant tout, c’est le son obtenu.

Tu parlais d’Adam tout à l’heure ; si on compare Adam à Human League, objectivement, Orchestral sonne beaucoup plus proche de HL.

AMcC : Adam, malgré tout a un certain son, même s’il sonne un peu Barry Manilow de demain. Il a surtout ce culte de personnalité que je vomis assez. De toute façon, ses motivations pour écrire se situent aux antipodes des miennes. C’est paradoxal de se dire que la plupart des musiciens créent avant tout pour leur gloriole, pas pour la création en tant qu’entité indépendante ; tous ces Londoniens ont une conception bien étrange de la musique. Un grand pourcentage des groupes de Londres ont un son très identifiable, stéréotypé, parce qu’ils sont très branchés sur « ce qui se fait », la mode ; le «in », et surtout, sur ce que cherche le cloaque des maisons de disques, c’est à dire ce qui va se vendre. Oh, tous ces mecs ne sont pas des Londoniens d’origine, mais la capitale les attire comme du miel parce que l’industrie du disque y a établi son siège. Comme César tarde toujours à venir, vaut mieux aller droit vers lui. Et pour le flatter, il vaut mieux ressembler à l’idée qu’il se fait de vous. Ces musiciens, à mon sens, sont complètement vides de toute imagination, de toute création ; ce qui compte exclusivement, c’est leur carrière égoïste. Pour eux, la musique n’est qu’un nouveau job, dans le sens fonctionnariat du terme. Pour la musique-carrière, c’est Londres qu’il faut voir! Moi, je trouve cela carrément sordide. Tous ces musiciens à Londres pratiquent un échangisme forcené ils font dix, vingt groupes, jusqu’à ce qu’ils tombent enfin sur quelque chose qui marche pour voir se vendre enfin.

PH : Andy n’a pas tort ; je t’assure que nous rencontrons sans cesse des musiciens qui sont fidèles à cette image sordide de carte postale rock : ils sont déjà passés par tant de groupes londoniens variés.

AMcC: Je pense aux musiciens de Toyah, par exemple, ou aux Classix Nouveaux ; ces gens-là ont joué dans des paquets de groupes, ils se connaissent tous entre eux et ont essayé toutes les formules, toutes les modes imaginables, avant de découvrir celle qui, par chance, transforme le vinyle en or. Moi, c’est une attitude qui me dégoute franchement, peut-être parce que Paul et moi sommes amis depuis toujours.

En fait, tout est une question de sincérité, pas vrai ?OMD

AMcC : Je crois bien, c’est en tout cas ce qui nous éloigne de beaucoup de groupes. Nous n’avons jamais cherché à être des musiciens, dans le sens statut social. Nous ne voulons à aucun prix faire carrière dans la musique on veut juste faire nos chansons.

Tu veux dire qu’un jour ou l’autre, il se pourrait bien que vous arrêtiez de faire des disques ?

AMcC : Je n’en sais rien. En tout cas, je ne pense pas que j’aurai envie de faire des disques toute ma vie.

PH : Moi, je suis certain de ne pas vouloir continuer toute ma vie dans la musique. Je crois qu’à un moment j’aurai plutôt envie de composer exclusivement pour moi.

Les Stones ont dit la même chose que vous dans leur jeunesse ; regardez où ils en sont ?

 AMcC : Les Stones sont un groupe d’hommes respectables, accrochés à un label de fabrique. Pour les Stones, c’est effectivement stricto sensu une profession… heu… une manière de faire du blé.

Too young to die, too old to rock and roll ?

AMcC : C’est à peu près cela, parce qu’ils n’ont rien d’autre à proposer. Ces mecs ne sont pas fous, ils savent qu’ils ont maîtrisé la plus vendeuse des formules, alors ils continuent à exploiter le filon. C’est aussi sécurisant que le Civil Service (l’administration ).

Mais il n’y a pas dans l’Angleterre d’aujourd’hui des petits groupes qui vous semblent proches de l’esprit d’OMD ?

AMcC: Les gens qui pensent que beaucoup de groupes anglais se ressemblent mélangent un peu les choses. Ils nous rangent dans un juke-box package en compagnie de Human League, Dépêche Mode, Ultravox, les Passions ou que sais-ie encore, parce qu’ils nous croient similaires ; mais, encore une fois, c’est l’image qui prime, plutôt que le son. Tous ces groupes ont des raisons de composer qui leur sont propres. Dépêche Mode, par exemple, a ce côté naïf de l’Orchestral des débuts. Ils ne se posent pas de problèmes métaphysiques et se contentent de jouer avec succès. Ils ont 19, 20 ans, ils sont encore plus jeunes que nous. Un groupe comme Ultravox, c’est encore autre chose. Je ne te dirai pas ce que je pense d’eux, mais en tout cas, nous n’avons rien à voir avec eux au niveau des idées exprimées et de la manière de les exprimer. J’aimerais vraiment penser qu’ils ont aussi un impact musical différent du nôtre. Human League pratique des vocaux très personnels sur l’amour et les relations humaines, c’est généralement tris simple, mais efficace.

Tu aimes Heaven 17 ?

AMcC : Je préfère Heaven 17 à Human League, même si HL écrit de meilleures chansons. Je crois que l’ensemble de leur album, « Penthouse and Pavement », est mon album favori de l’année ( Voir sur Gonzomusic  HEAVEN 17 « Penthouse and Pavement »  ). L’instrumentation de HL est plus forte, mais ce que raconte Heaven 17 est passionnant, comme ce « Fascist Groove Thang ».

Et vous, soignez-vous particulièrement vos textes. Est-ce qu’ils ont beaucoup d’importance pour vous?

 AMcC: Ils sont une partie d’un ensemble. Parfois, je n’utilise que la musique des mots, parfois, ils sont pleins de sens, c’est assez variable.

Et en ce qui concerne « Enola Gay », cette chanson qui porte le nom de l’avion U.S. qui a largué la bombe d’Hiroshima ?OMD

AMcC : Lorsque tu as fini d’enregistrer une chanson, c’est comme le haut d’un iceberg. Ainsi, le sujet d’« Enola Gay » est devenu chez moi une véritable passion, proche de l’obsession. J’ai lu des bouquins, j’ai vu des films, je me suis documenté. Cette chanson est juste un moment capturé, une toute petite parcelle de ce qu’Enola Gay pouvait m’inspirer, le bombardement d’Hiroshima. C’est une image visuelle, alors que j’aurais pu faire tout un album sur ce sujet. Mais en fait, lorsque nous avons fait la chanson, nous étions plus branchés par le magnétisme du bombardier que par le côté guerre nucléaire. Je me souviens, nous allions même au musée de l’aviation voir les vieux coucous. Au début de la conception d’« Enolay Gay », ça n’était pas une sorte de ferveur antinucléaire qui nous animait.

Et aujourd’hui, vous avez le même sentiment sur la question ?

 AMcC : C’est assez désespérant de voir que, pour les gens, un groupe, c’est un Lp + un concert par an, mais pour nous, OMD est tout ce que nous pensons, tout ce que nous faisons, toutes les idées qui crépitent dans nos têtes. Quarante minutes par an sur un morceau de plastique et deux heures sur une scène, c’est ridiculement infime comme laps de temps pour exprimer tout ce que tu as en toi. La musique d’aujourd’hui pousse à la multiplication d’un même genre. Six mois de vie sur une année, il te faudrait attendre. Un jour, tu as une idée. tu en fais une chanson, et les six mois qui suivent, il faudrait que tu cesses d’évoluer pour prendre le temps de pro-mouvoir cette petite chose noire. Durant tout ce temps, on détourne l’artiste de sa finalité propre pour de sordides histoires de business.

PH : Regarde, nous venons à peine de finir « Architecture and Morality », et déjà, les chansons ne nous fascinent plus autant. Nous avons déjà envie de faire autre chose, mais nous ne sommes pas autorisés-à l’exprimer avant avril ou mai, c’est loin.

Si on parlait un peu du choix du titre?OMD

AMcC : Ah… ça tombe bien, je me rappelle justement que notre manager nous a bien recommandé de « vendre » l’album. Alors on va vendre… attention à tous, Virgin Records offre un discount à tous les lecteurs de BEST !

(rire) Bon, alors, vous vendez ou pas?

AMcC: Bon, Martha Ladly en a eu l’idée et ça nous trottait dans la tête. J’ai lu le bouquin de David Watkins, « Morality and Architecture », qui traite de l’architecture dans son concept social : de quelle manière les immeubles peuvent-ils affecter les gens et vice-versa. C’est un livre, en fait, assez ennuyeux et mal rédigé, je l’ai d’ailleurs abandonné aux deux-tiers. Mais l’idée m’accrochait à cause de son contexte religieux. Musicalement, nous nous sommes branchés sur des sonorités à l’esprit religieux. A longueur de journées, nous avons écouté des requiem et des chants grégoriens. As-tu entendu parler de la Missa Criola, une musique africano-chrétienne comme celle de la musique du film « If », tu sais sanctus… (battement)… sanctus. C’est à la fois ethnique et pieux ; il y a dans cette musique une sorte de dévotion qui me touche vraiment, c’est la force des chœurs. Nous avons acheté un mélotron pour pouvoir faire chanter des voix d’un seul doigt. C’est une superbe machine, car elle donne à un clavier la rare possibilité de sonner comme un instrument acoustique : la bande, lorsque tu frappes les touches, s’arrête brutalement et donne une agressivité au son en créant une certaine tension, l’inten-sité du moment. La musique religieuse nous intriguait et nous avons commencé à expérimenter ces sons. C’est par la suite qu’on s’est branché sur le côté théologique des choses. A force d’analyser nos chansons, Paul et moi avons réalisé que nous étions assez indécis : on ne voit pas le monde tout en contrastes. Ça c’est bien, ou ça c’est mal, me paraît être trop simpliste. Nous essayons toujours de soupeser les différents aspects d’un problème. C’est pour cela que les partis politiques sont une belle escroquerie, dans la mesure où pour plaire au plus grand nombre, ils caricaturent toutes leurs images. Pour que les choses paraissent plus simples, ils s’adressent à nous comme à une bande d’attardés débiles. C’est comme les religions et leur auto-assurance de détenir une vérité, style « quand je mourrai, j’irai au paradis, et Dieu sera là pour me juger ». Ah bon ! Les politiciens et les hommes d’Église semblent avoir une réponse à nous offrir ; c’est drôle parce qu’ils sont à la fois si sûrs d’eux-mêmes et surtout si peu ouverts. Pourtant, en matière d’architecture, la plupart des œuvres d’art sont des bâtiments religieux parce que l’Eglise, depuis toutes .ces années, tient le cordon de la bourse. Tous les grands architectes, tous les grands artistes ont travaillé pour l’Église parce qu’elle avait le pouvoir. L’Église chrétienne est la meilleure illustration du rapport architecture/moralité. C’est comme la « moral majority » de Reagan. Aux U.S.A., la religion, c’est aussi une industrie dispensée d’impôt, surtout quand tu assistes aux Gospel Shows, le dimanche matin, à la télé. La religion, c’est l’issue de secours la plus facile. L’alternative. Les gens se retrouvent le ventre vide ou sans boulot, c’est quelque chose qui les atteint matériellement. Leur corps n’est pas heureux, alors ils cher-chent l’issue vers l’esprit. Le mensonge de la religion à ce moment-là devient perceptible : cette vie ne vous contente pas, peu importe, songez au paradis. « Architecture and Morality », ça paraît un peu pompeux, ça fait sérieux « Architecture and Morality » par Orchestral Manœuvres In The Dark, ça fait « Grandeur et Décadence de l’Empire Romain », « L’Évangile selon Humphreys et Mc Cluskey »!OMD

Dans le futur, croyez-vous que cette « moral majority » va disparaître?

AMcC: J’ai plutôt peur qu’à court terme elle ne progresse. Regarde l’arrivée du SDP, ce nouveau parti du centre en Angleterre. Maintenant, les Anglais ont le réflexe anti-extrêmes. « Oh, tous ces horribles fascistes et oh, tous ces horribles communistes ! (Andy prend une voix éraillée de mémé britannique extrêmement digne), ils me font froid dans le dos. Votons sagement, votons libéral ! ». On dirait des autruches ! C’est pathétique de voir que les gens croient qu’en se planquant dans le marais du centre tout va s’arranger.

Et votre pouvoir à vous en tant que média ?

AMcC : Oui, il y a une responsabilité potentielle par rapport à notre public. Tu l’as dit tout à l’heure, lorsque nous avons commencé OMD, c’était juste un hobby naïf et gai. Aujourd’hui, notre audience a grandi, nous avons le potentiel pour faire quelque chose qui fera peut-être réfléchir les gens. A vrai dire, « Architecture and Morality » n’use pas encore ce potentiel. C’est encore Paul et Andy qui apprennent. On n’a pas encore écrit une chanson qui dénonce quelque chose en particulier. En Angleterre, par exemple. la majorité des gens ignorent ce qu’était Enola Gay. J’aime jouer en public et voir les gens danser devant la scène, mais parfois, je réfléchis et je me dis: « Ils dansent sur des chansons qui racontent comment on largue des bombes sur des gens ». Heureusement, ça n’est pas comme s’ils dansaient sur une pierre tombale. Cela prouve qu’on peut écrire une pop song qui ne soit pas complètement stupide. En Angleterre, en ce moment, il y a un groupe appelé Fun Boys 3 qui caricature dans une chanson, « The Lunatics Have Taken Over the Asylum » (les fous ont pris le pouvoir à l’asile), la mainmise des politiciens sur le pays. C’est une chanson politique, et pourtant, ça se danse et ça sonne bien. Le changement de ces dernières décennies, peut-on dire que la musique l’a provoqué ou qu’elle a simplement reflété l’attitude des gens. Moi, j’aimerais vraiment penser qu’elle a pu faire évoluer, ne serait-ce qu’une infime partie de la conscience des gens. C’est l’effet miroir, parce qu’une bonne chanson doit te faire ressentir quelque chose. »

OMD with Winston

OMD with Winston

Le show d’Orchestral est jusqu’au 25 janvier sur les scènes hexagonales. Une bande contenant le title track, « Architecture and Morality ouvre le concert avec, sur un écran géant, des projections de buildings qui rythment la mélodie. Dès «The Romance of a Telescope », le premier titre live du concert, OMD apparaît en filigrane derrière l’écran et les silhouettes de nos boys s’agitent comme des ombres chinoises… OMD Live in concert. L’honnêteté de nos jours se fait plutôt rare. C’est pourtant une des valeurs que Paul et Andy aiment à cultiver. A l’époque où ils n’étaient qu’un duo sur scène et qu’ils utilisaient les bandes de leur copain Winston, le TEAC 4 pistes, il était éclairé en permanence par un projecteur exactement comme un des membres du groupe. Orchestral a beau manœuvrer dans les limbes, nos deux jeunes gens naviguent au radar sensitif, ils ne risquent pas de louper leur objectif. Les deux jeunes gens clean et le reste du groupe, Holmes et Cooper, sont embarqués dans une drôle de machine volante, un prototype qui a déjà fait ses preuves et dont les cales sont pleines à craquer d’une sacrée dose d’espoir et de rythmes. »

Voir sur Gonzomusic MA PREMIERE ITW AVEC OMD Episode 1 https://gonzomusic.fr/ma-premiere-itw-avec-omd.html

Publié dans le numéro 163 de BEST daté de février 1982BEST 163

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