LA MORT DE DANTON À LA COMÉDIE FRANÇAISE

La Mort de Danton, Salle Richelieu © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française (2)On en perdrait la tête… au sens propre du terme, lorsqu’à la Comédie Française, on rejoue la Révolution et plus particulièrement la sanglante période de la Terreur (1793), lorsque la création du bon Docteur Guillotin tranchait les têtes avec ferveur, avec la pièce du dramaturge allemand George Büchner. Donnée pour la toute première fois à la salle Richelieu, « La Mort de Danton » est portée par le duo magistral Loïc Corbery et Clément Hervieu-Léger. 

Affiche La Mort de DantonPar Jean-Christophe MARY

Nous sommes le 05 avril 1794. L’action se déroule sur les cinq jours qui précédent l’exécution de Danton, Desmoulins, Lacroix, Philippeau et Hérault Séchelles. La Terreur emmenée par Robespierre et Saint-Just fait couler le sang. Danton préconise lui une pause dans les exécutions. Deux groupes vont s’opposer sur la finalité d’un soulèvement populaire : les partisans de Danton approuvent la révolution et souhaitent que les mesures prises par Robespierre cessent pour abréger les souffrances du peuple, tandis que les disciples de Robespierre eux ne pensent qu’à la vertu de l’acte révolutionnaire.

En s’appuyant sur les faits historiques, Georg Büchner déroule un drame lyrique à travers une suite de scènes de rue, de prison, d’assemblée de prétoire, de salon et de boudoirs dans un lieu unique. Les personnages Danton, Desmoulins, Lacroix, Philippeau et Hérault Séchelles, pour la plupart des trentenaires, vont être confrontés à leurs croyances et leurs déceptions lorsque leurs idéaux n’ont pas abouti. Et c’est la toute la complexité de cette période de l’histoire de France. Il n’y a pas d’un côté les bons et les mauvais. Chacun des personnages est à un moment de son rapport face à la Révolution, très différent. Danton a beaucoup donné, mais s’est beaucoup perdu. La pièce raconte l’avènement de Robespierre. La grande qualité du travail du metteur en scène Simon Delétang réside dans la lisibilité totale de l’intrigue, la compréhension fine qui s’en dégage. Le décor unique, un vaste intérieur aristocratique, propose une « vision romantique allemande » de la révolution française un lieu clos qui enferme l’intrigue comme pour mieux la soumettre à une dissection froide. Un procédé élégant et stylisé qui impose une intimité et une proximité dans ce drame d’alcôve qui alterne entre discours révolutionnaires enflammés et scènes de marivaudage.

La bande originale du musicien et sculpteur de sons Nicolas Lespagnol-Rizzi, une bande musicale qui vous colle des frissons, mets en valeur un texte est aussi sombre que les angoisses et les souffrances qu’il décrit. La pièce évoque le mode d’une génération insatisfaisante et décadente, peut-être déjà morte, avec l’envie de défendre la vertu et la raison, aussi bien dans le champ politique que dans celui de l’intime. Par moments, l’œuvre frise avec le documentaire. Cette fatalité que décrit la pièce, c’est la destruction d’une jeune génération par elle-même. Le suicide politique de Danton est comme un suicide collectif. Pour que la République naisse, il faut que quelque chose finisse, et ce sacrifice-là va permettre à la société d’avancer en se débarrassant de ceux qui à un moment ont rêvé d’un autre monde. Moment singulier du spectacle, alors que l’on coupe des têtes, les personnages entonnent La Marseillaise. Le chant patriotique raisonne alors différemment sur la scène du Français. L’hymne national a été tellement récupéré (notamment dans les grandes manifestations sportives !), que replacée dans son contexte, cette scène glaçante où les protagonistes entonnent à plein poumons le texte de Rouget de Lisle en devient très violente et porte en nous une interrogation : quelle est la place de l’homme face à la mort ? Et c’est tout l’intérêt de la pièce de Büchner qui revisite cet épisode, certainement l’un des plus sanglants de la Révolution française.

La Mort de Danton, Salle Richelieu © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française (3)Outre le duo absolument magistral Loïc Corbery (Danton) et Clément Hervieu-Léger (Robespierre !), on salue le travail de la troupe du Français, comédiens mais également chanteurs, mimes et danseurs, tous plus fascinants les uns que les autres dans leurs interprétations respectives. De Julie Sicard à Anna Cervinka en passant par Marina Hands, de Nicolas Lormeau à Guillaume Gallienne à en passant par Julien Frison, Christian Gonon, Vincent Breton ou Olivier Debbasch (qui endossent chacun 7 rôles !), tous apportent aux dialogues verve, sensualité, et émotion. Avec ce décor unique qui devient tour à tour une rue, un salon, un boudoir, un tribunal, un cachot ou un lieu de d’exécution et ces magnifiques costumes d’époque signés Marie Frédérique Fillion, Simon Delétang signe là une mise en scène sobre et très efficace. Et comme on le chante si bien…

« Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira
Les aristocrates à la lanterne !
Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira
Les aristocrates on les pendra !
Le despotisme expirera
La liberté triomphera
Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira »…

« La Mort de Danton » par Georg Büchner

Jusqu’au 4 juin 2023 à la Comédie-Française.

 

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