La Khovantchina à l’Opéra de Paris
Non, non, trois fois non… malgré son patronyme La Khovantchina n’est certes pas made in China… mais plutôt made in Russia. Opéra des villes ou opéra des champs, c’est avant tout une grande fresque historique signée Andrei Serban qui a su séduire grave notre Castafiore de Gonzomusic, j’ai nommé Jean-Christophe Mary… en espérant qu’il n’ait pas trop forcé sur la vodka 🤪 Spasiva…
Inspirée de faits réels, La Khovantchina nous téléporte sous au règne de Pierre Le Grand durant lequel eurent lieu de violents affrontements entre les nouveaux orthodoxes, les fidèles du Tsar, et les Vieux croyants. La victoire des premiers défenseurs d’une Russie moderne et ouverte à l’Occident annonce la fin d’une vieille Russie féodale attachée à ses traditions et sa foi ancestrales.
Par Jean-Christophe MARY
Cet opéra « inachevé » devait constituer le second volet d’une trilogie « patriotique » que le compositeur russe avait amorcé avec Boris Godounov en 1869. Une tragédie humaine située à un moment capital de l’histoire de la Russie, où les drames individuels sont inséparables des événements historiques. A la mort du compositeur en 1881, la partition piano chant était presque achevée et seuls des fragments de l’acte III étaient orchestrés. Après avoir fait de nombreuses coupes, le compositeur Rimski Korsakov se chargea d’orchestrer l’œuvre (1881-1883). Dans cette succession de tableaux où se côtoient la haine, la violence, l’amour, la vengeance, aucun rôle principal n’est ici mis en valeur. Le personnage central, c’est bien le peuple russe représenté par les Streltsy (les mercenaires du Prince Ivan), les Vieux Croyants, la foule des moscovites et les milliers de moujiks.
Pour illustrer la complexité d’affrontements politiques doublés d’un conflit religieux, Andrei Serban a pris le parti de présenter ce mélodrame à travers une série de tableaux scéniques aussi riches en détails et ornements que peuvent l’être les grandes fresques historiques. Un travail de scénographie monumentale où le rideau est baissé cinq fois lors des cinq changements de décors. Des plateaux aussi imposants que somptueux, comme celui de la place rouge à Moscou, les appartements du palais ou la pinède, décors gigantesques qui sont autant le théâtre d’un mélodrame sentimental que l’affrontement de deux mondes : celui des progressistes, les nouveaux orthodoxes, et celui des conservateurs, les Vieux Croyants.
Coté voix, on a plaisir d’entendre Dmitry Belosseslkiy qui campe un Dossifei magistral par la splendeur de son timbre, doublé d’une belle présence scénique. Son fanatisme monte en puissance tout au long la partition et en devient encore plus inquiétant. Grand plaisir aussi d’écouter Evgeny Nikitin qui endosse le rôle de Chaklovity (magnifique aria de l’acte III) ou Sergei Skorokhodov, excellent dans le rôle du prince Andrei Khovanksy : le ténor nous bluffe par la solidité de sa voix aux aigus impressionnants, par sa présence animale qui colle parfaitement au personnage. Face à lui, Anita Rachvelishvili impressionne dans le rôle de Marfa. Dans le registre des graves, son chant est plein, puissante, on sent le feu intérieur la ronger quand elle songe à son amour pour le Prince Andrei qui l’a trahie. Quand elle chante sa vision du bûcher sur lequel elle et son ex amant mourront, la voix devient envoutante, vibrante d’émotion. Les scènes intimistes succèdent aux grands chœurs qui nous donnent la chair de poule, notamment dans ces scènes de foule (Streltsy, Moscovites ou « Vieux croyants »). Belle surprise aussi que la scène celle de l’acte IV où les esclaves persanes dansent autour d’Ivan Khovanski. Malgré des changements de plateau un peu long, la mise en scène reste fluide (plus de 120 artistes sur scène !) magnifiée par de magnifiques éclairages (comme ces somptueux clair-obscur dans la pinède ! ) et nous tient en haleine jusque dans la scène d’autodafé finale où les Vieux-Croyants s’immolent par le feu pour échapper aux soldats du tsar.
Si on ajoute à cela un mariage qui allie costumes d’époque (ceux des Mousquetaires sont sublimes !), la musique imposante et majestueuse de Modeste Moussorgski et une direction d’orchestre confiée à la baguette de Hartmut Haenchen, ces 8 nouvelles représentations raisonnent déjà aux airs de triomphe.