La guitare de Mark Knopfler en couve de BEST pour la tournée «Love Over Gold» : 2éme partie
Pour fêter la publication de son tout nouveau « Tracker », seconde partie de mon interview-fleuve de 1983 avec Mark Knopfler à New York lorsque Dire Straits s’offre pour la première fois la couve de BEST. Mark y aborde- entre autres- sa collaboration avec Bob Dylan sur le LP « Infidels » qu’il produisait à ce moment-là au Power Station Studio situé au 44 West 53th street…souvenirs souvenirs…again !
Seconde partie de ma « Private Investigation » sur le dossier Knopfler, dans un bureau new yorkais de Warner qui distribuait alors Dire Straits aux USA, juste avant la tournée-phénoméne qui a suivi la publication de « Love Over Gold »…
LOVE
La dernière fois, tu m’avais confié que tu adorais dépenser ton argent en offrant des cadeaux inattendus. Quel est le dernier cadeau de Mark Knopfler?
J’ai donné la moitié de mes droits de producteur de « Love Over Gold» à Neil Dorfsman, l’ingénieur du son, parce qu’il avait su nous aider de manière très constructive. Moi,anyway, j’ai assez d’argent et tu sais bien que je n’ai pas de goûts de luxe.
Ce qui explique le titre de l’album: « Love Over Gold ».
Je ne crache pas sur une maison ou une jolie montre, mais ça n’est pas essentiel. Je me suis offert un joli appart’ dans le Village car j’aime vivre à Manhattan. C’est drôle, New York a la réputation d’être une ville agressive, mais on y rencontre plus de gens cool qu’on ne le croit. Il y a aussi une énergie qui me convient dans cette ville. De toute façon, j’ai toujours été attiré par les métropoles cosmopolites: j’aime New York, comme Londres ou Paris, à cause de leurs mélanges.
Irais-tu jouer au Liban? -Pays déchiré par la guerre civile à l’époque: NDR-.
Tu sais, j’aime jouer un peu partout, peu importe le lieu, le pays ou le climat. –
Même en Afrique du Sud –En 83 Botha était au pouvoir et l’apartheid régnait alors en maitre en Afrique du Sud : NDR- ?
Certes non. D’ailleurs, nous sommes interdits d’antenne là-bas. Lorsque nous étions N° 1 avec le premier album, nous avons décidé de verser l’intégralité de nos royalties sud-africaines à Amnesty International. Lorsque j’ai reçu ce chèque d’Afrique du Sud, je me suis dit qu’il serait plus intelligent de les reverser à Amnesty: je ne voulais pas de ce blé, il me choquait. Mais tout cela n’est pas très important, je ne veux pas en faire un cheval de bataille politique. Pourtant, l’Afrique du Sud est peut-être l’unique pays au monde où le racisme est posé en loi fondamentale et c’est insupportable. »
Quelle est l’origine de ton nom?
Knopfler est un nom d’origine allemande, mais mon père est un Juif hongrois immigré. Knopfier, en allemand c’est le fabriquant de boutons, un peu comme un tailleur.
BOB
En parlant de religion, comment va Mr Zimmerman? Tu produis son LP en ce moment, tu le pratiques donc tous les jours, où se situe-t-il désormais confessionnellement parlant?
Je crois qu’on a beaucoup exagéré ses histoires. De toute façon, aujourd’hui, il a d’autres centres d’intérêt.
Il a laissé tomber la religion?
Non, il y croit toujours, mais cette fois ses nouvelles chansons sont fantastiques: j’ai la sensation que cet album-là sera une réussite.
Tu le produis, mais joues-tu également dessus?
Bien sûr, ainsi que Mick Taylor, Alan Clark, le claviers de Dire Straits, SIy Dunbar et Robbie Shakespeare. Détail intéressant: il n’y a pas un seul Américain dans le groupe.
Tu jouais déjà sur son album, « Slow Train Coming », en 79, tu lui manquais?
Sans doute. Lorsque j’enregistrais « Local Hero », Dylan est venu me voir au studio et, là, il m’a demandé tout de go si je voulais produire son prochain disque. Il m’a joué les chansons au piano avec une telle sensibilité: je crois bien que c’est un privilège que de produire Bob Dylan.
L’album est fini?
Non, pas du tout. Nous avons commencé il y a trois semaines. Mais, pour l’instant, on se contente de mettre en boite des impros ou des variations sur les chansons. Je crois qu’il a juste envie de jouer n’importe quoi.
Pour avoir un choix le plus large possible?
Ouais, mais le choix n’est pas si vaste, même si nous avons déjà dépensé des milliers de dollars de bandes. Il a surtout envie d’expérimenter des trucs. Parfois, nous ne jouons que pour le plaisir, en oubliant totalement l’optique de l’album. Dylan ne regarde jamais sa montre en studio, il n’en a pas et, moi, je n’ai aucune envie de le pousser. De toute façon, nous ne mixons qu’en juin.
Quel studio as-tu choisi?
Le Power Station, bien sûr. Quant au mixage, je crois que nous irons à Londres entre les deux parties de la tournée Dire Straits. Moi, je pars dimanche pour l’Allemagne où la tournée débute; ensuite, nous attaquons la France et l’Italie. Cinq jours de suite au Palais des Sports, porte de Versailles, c’est un petit marathon.
Connais-tu bien l’endroit?
Assez bien, oui, et j’aime assez l’acoustique de cette salle, voilà pourquoi nous avons décidé d’y enregistrer ce live. Je suis toujours très attentif au son, j’aime jouer très fort, mais il faut que ça reste clair: c’est la trame du spectacle.
Je me souviens au Rainbow, à Londres, tu faisais des effets de miroirs avec ta guitare.
Exact, c’était une steel guitar National de 1935 !
Tu les collectionnes?
En quelque sorte, mais pas dans l’esprit du collectionneur rapace. J’en ai juste une vingtaine, mais chaque guitare a son histoire, elles m’arrivent souvent par hasard. La dernière en date, c’est une Nilon Electric Solid Body en bois dur, comme une flamenco. Je l’ai tout de suite adoptée sur disques, en tournée et même sur l’album de Phil Everly où j’ai fait quelques sessions.
Un autre de tes héros, je présume?
Et comment, j’ai grandi en suivant les Everly Brothers. J’adore l’écouter chanter. Comme Dylan, je ne parviens jamais à m’en lasser. ‘
Pourtant les deux derniers Dylan étaient loin d’être renversants.
C’est bien mon avis, je les déteste, ils sonnent si mal. Pourtant, je crois que, sous sa surface chaotique, il sait exactement ce qu’il fait, même s’il n’en a pas l’air.
Quel genre de rapports entretenez-vous? Tu produis avec lui ou pour lui?
Avec lui, bien sûr, et je ne fais rien pour lui imposer quoi que ce soit. Pour cet album, il faut que tout se passe le plus naturellement possible. De toute façon, on ne change pas Dylan, il a son style, son jeu, il faut juste s’en servir comme d’une force. Voilà pourquoi je veux préserver le plus possible son originalité. Nous faisons très peu de re-recording car ce qui compte avant tout, c’est la voix de Dylan.
Toi, tu ne chantes pas du tout?
Il n’en a pas besoin. En ce moment, il chante si bien. Parfois, sa voix évolue au fil des nuits, mais c’est incontestablement du grand Dylan.
Les textes sont déjà écrits: quels sujets aborde-t-il ?
Un peu de tout. Ce qui est plus intéressant, c’est que ses textes sont totalement intemporels, ce sont des classiques. D’ailleurs, Dylan ne fonctionne pas comme un musicien, mais plutôt comme un poète. C’est un auteur, une voix, un cri. Il ne songe jamais au nec plus ultra de sa technique guitare. Il ne pense même pas aux mots, Dylan ne marche qu’au feeling.
BOYS
Il est encore sensible?
e ne vois pas ce qu’il pourrait être d’autre, même s’il n’a pas toujours le temps de l’être de manière individuelle. Un auteur peut parfois paraître insensible parce, que sa création l’isole. Pour moi, ce qui prime avant tout, ce sont les chansons, c’est ce que toi et moï allons écouter. Les gens ne devraient pas se sentir concernés: peu importe que le type soit sympa ou pas, ce qui compte, c’est le boulot.
Mais pour comprendre une chanson tu ne peux pas la séparer du contexte de l’homme qui l’a créée.
Moi, je crois que c’est possible. Au bout d’un moment, l’homme disparait, et seuls subsistent la toile ou le disque. C’est ce que tu laisses derrière toi qui importe. Si un type est certifié fou par un psy et qu’il te plante vingt coups de couteau dans le corps jusqu’à ce que tu en meures, tu es bien avancé. Okay, il n’a pas toute sa raison, mais qu’est-ce que ça change pour toi? Ce qui compte, c’est la qualité intrinsèque de ce que tu fais. Donc, on ne devrait pas se préoccuper du fait que je sois un brave type ou un sale con individualiste et mégalo. Tous ces détails biographiques sont certes intéressants, mais complètement accessoires: seul le résultat compte.
Tu veux devenir le guitariste masqué?
Pas spécialement. N’oublie pas que j’ai un style très identifiable: lorsque je joue, la plupart des gens peuvent me reconnaitre.
Pourtant, tu as intitulé une de tes chansons « Private Investigations»?
Oui, mais en termes de recherches poussées sur un instrument. Lorsqu’il s’attaque à ses partitions, le musicien se retrouve obligatoirement seul: c’est cela le côté privé. Ça peut tout aussi bien être l’attaque d’une tournée ou une nouvelle interview, car tu apprends beaucoup sur toi au fil des entretiens. Tu apprends à exprimer ce qui coule en toi. Beaucoup de mes chansons ont pour sujet des gens qui cherchent à exprimer une forme de liberté, parfois il s’agit seulement d’eux-mêmes face aux circonstances et de leur réaction. Si l’on prend « Skateaway », cette fille dans la rue, sur ses patins à roulettes, en bougeant, elie ne cherche qu’à s’exprimer. C’est la même chose pour « Sultans of Swing» ou « Les Boys ». Les gens doivent y trouver un sens, une source d’expression, une libération quelle que soit la situation. Dans un camp de prisonniers, les gens essaieront toujours de s’exprimer, même si c’est dur, même s’ils sont opprimés. C’est la même histoire dans les pays totalitaires. »
Mark écrase sa nième Dunhill Light. Téléguidé par je ne sais quel instinct, il lâche un: « Ah, il faut que je retourne au studio. »
Et au fait, que devient ton frère depuis son départ du groupe?
David essaie de faire un disque. Il a laissé tomber la guitare pour le piano et il s’est entrainé au chant.
Il n’a rien sorti depuis qu’il a quitté Dire Straits?
Non, mais il s’y met. Je ne crois pas qu’il ait une voix d’enfer, mais il écrit bien.
Tu vas le produire?
Non, mais j’écoute les bandes qu’il m’envoie. Objectivement, je représente pour lui quelque chose qu’il doit exorciser pour pouvoir se réaliser. Il faut savoir s’échapper des gens que vous aimez.
Tu joues toujours autant, des heures et des heures, seul dans ta chambre ?
Qu’est-ce que tu crois, je suis toujours le même Knopfler. »
En un clin d’œil, Mark a disparu. Par la fenêtre, je l’aperçois: il stoppe un taxi. J’entends le dernier écho de sa voix: « 44 West 53th street.» Private investigations: je ne suivrai pas Mark Knopfler jusqu’au Power Station studio: on ne pousse pas les rockers jusqu’à, leurs ultimes retranchements. So long Mister K. même si vous n’êtes pas très facile à interviewer. P’tét ben que oui, p’tét ben que non, vous auriez pu être normand. Peu importe, le guitar hero emporte ses secrets. Il a choisi la loi du silence en dehors de la musique. Knopfler secret, certes, mais il juge son instrument bien plus éloquent. Private investigations: essayez donc de le percer au Palais des Sports en participant à l’enregistrement de Dire Straits Live.
Publié dans le numéro 180 de BEST, daté de juillet 1983
Première partie de l’interview de Mark Knopfler en 1983