JEAN LOUIS MURAT : « Morituri »
Surtout ne rien changer…pour son 16éme album, Jean Louis Murat a conservé le timbre de ses débuts pour vocaliser sur des textes crépusculaires à la poésie monochrome. « Morituri » n’échappe pas à la règle et c’est tant mieux, à l’heure où les héros tels que Bowie ou Prince se métamorphosent en « black stars », il est bon de retrouver ce bon vieux Murat flippé qu’on aime tant.
« Murat/ c’est le héros d’un cinéma/ où la caissière se bat/ personne n’entrera
Murat/ c’est l’âme d’un cinéma/ mais sur son cheval de bois/ un seul soldat le croit … » chantait-il en 82, lorsque je rédigeais sa bio pour ce premier 5 titres qu’il nous livrait juste après le traumatisme de son « Suicidez-vous, le peuple est mort » injustement banni des ondes, mais néanmoins béni du cœur. 34 ans plus tard, la mort est toujours au rendez-vous de ses nouvelles chansons. Ave Caesar morituri te salutant , salut oh César, ceux qui vont mourir te saluent, lançaient les gladiateurs dans l’arène avant le combat à mort, sous blasé l’œil du maitre de Rome. Le choix de ce titre forcément morbide, de la symbolique de deux cygnes sur fond noir, peut être pour dissimuler l’image du « vilain petit canard » noir qui s’y cache, en figure allégorique de JLM, l’annus horibilis vécue par notre pays des attentats de janvier à ceux de novembre, connaissant le personnage, rien de tout cela n’est innocent. « Morituri » affiche et assume son côté sombre. Pourtant, le premier titre, le presque allègre « French lynx » laisse entrevoir le contraire. Morgane Imbeaud, qui fait ici les chœurs, apporte sa douceur et sa sensualité toute féminine, tandis que Murat fait ce qu’il sait faire le mieux, s’abandonner à son influence majeure d’un certain Bryan Ferry. Mais dès le second, on comprend que la fête est finie. « Frankie », slow évanescent en piano-jazz nous fait à nouveau plonger dans cette mélancolie dont il a le secret, avec son côté hivernal et cette sensation de neige qui tombe dans une campagne figée par le froid. On retrouve le même climat dans « La pharmacienne d’Yvetot » où il est question de « chialer dans la cuisine » ; la pluie se mêle ici aux larmes pour un classique du style Murat : le slow lacrymal.
Provoc plombante
La nostalgique « Le chant du coucou » est comme un voyage dans le temps, elle sonne presque comme une comptine du Moyen Âge. Mais le titre le plus troublant est incontestablement « Interroge la jument » où il chante sur un petit air délicatement groové ces mots troublants, mais pourtant rédigés avant les attentats du13 novembre :
« Sur la terrasse, sous les cimes / où tout bien pesé on t’assassine / Sur la terrasse, sous les cimes / n’y-a-t-il plus de ciel pour nous foudroyer ces novices … ». Murat madame Irma …ou pas, en tout cas le rythme enjoué contraste avec la noirceur de ces paroles terriblement prophétiques, il n’empêche que Murat signe ici sans doute la composition la plus « tubesque » de ce sombre album. Mais n’allez surtout pas croire que la joie et l’exubérance font leur retour en force dans ce « Morituri », la preuve avec le funeste, mais néanmoins jazzy « Tous mourus », sorte de « 10 petits nègres » sur le passage de vie à trépas de notre ruralité. Autre perle de cet album, il faudra compter avec « Nuit sur l’Himalaya » à l’élégance Saville Row entre l’éternel Ferry et les Kinks, largement boosté par les chœurs féminins et –oh shocking pour l’interprète de « Johnny Frenchman »- en anglais de Morgane from Cocoon. Paradoxalement, la chanson qui offre son titre à l’album est peut-être la plus terne, malgré à nouveau la présence de Morgane Imbeaud. Et, pour finir en provoc plombante, tout s’achève sur « Le cafard », qu’on n’imagine pas un seul instant comme une fiesta. Murat se voit guillotiné, la tête déjà dans le panier, mais ce parler-chanté si sombre me fait vraiment penser à Serge et c’est sans doute ainsi que l’on finit par se laisse gagner par ce fichu « Cafard » ! En résumé, on n’est pas prêt de se déhancher aux rythmes d’un Murat sur les plages cet été, mais on s’en doutait un peu, pas vrai ? On va dire que « Morituri » c’est un peu comme le « viva la muerte » des Mexicains…mais téléporté dans la tourmente du blizzard auvergnat ! Vous avez dit blizzard?