Jane Birkin et la symphonie Gainsbourg

 

 une mélancolie typiquement slave et un caractère inexorablement judaïque

Vertigineux. Avec son nouveau « Gainsbourg Symphonique », Jane Birkin parvient à faire traverser de l’autre côté du miroir d’Alice les chansons de Serge. Chansons ? Un « art mineur », comme le fumeur de Gitanes me le répétait si souvent, lorsque je le complimentais dans mon analyse de telle ou telle nouvelle chanson, qui enfin crève le plafond de verre qui relèguerait la « petite musique » loin très loin des hautes sphères exclusives de l’auto proclamée « Grande Musique ». Hier soir, comme ce soir, Jane B en faisait la vibrante et émotionnelle démonstration, dans l’écrin boisé de l’auditorium de la Maison de la Radio, face à un océan de cordes, cuivres et autres percussions qui ont téléporté le rock de Gainsbourg aux sommes de Mahler, Chopin et autres « classical music heroes ».

 

Jane BirkinEn fait, pour moi, cela n’était pas exactement la première fois que je voyais Jeannette portée par la vague puissante d’un grand orchestre. En 1998, pour réaliser le « Making of… »  de l’album « A la légère », mon second documentaire avec Jane, après celui consacré à l’enregistrement du précédent, « Versions Jane », j’avais suivi avec ma caméra les trois mois de sessions avec Chamfort, Solaar, Souchon-Voulzy, Miossec, Daho, Hardy et Zazie. Or pour enregistrer son « C’est comme ça », la chanson composée par Zazie, Philippe Lerichomme son fidèle  directeur artistique-réalisateur-mentor – il était déjà celui de Serge- l’avait imaginé portée par un grand orchestre. Ce jour-là j’étais dans la petite cabine isolée, face à la nuée de cordes et de cuivres, seul avec Jane concentrée derrière son micro. Littéralement arrachée à l’attraction terrestre, portée par l’émotion, Jane était sublime, mais avec  les paroles de Zazie qui débordent de références à Serge, j’ai fini par filmer au jugé, dans un brouillard de larmes. Jamais auparavant je n’avais ainsi chialé durant un tournage. Et la puissance développée par l’orchestre symphonique n’y était pas non plus étrangère. D’ailleurs, au fil de ses albums, Serge ne s’était jamais interdit  quelques parties « classiques ». Cependant, ce soir c’est une toute autre histoire. Et c’est encore à la base une idée de Philippe Lerichomme qui a toujours su repousser toutes les frontières musicales du rock de Serge  et de Jane. Depuis « L’homme à la tête de chou », Philippe avait su entrainer le seigneur de la rue Verneuil successivement- dans tous les sens du terme- en Jamaique, pour ses albums reggae. Sur la cote Est des USA pour « You’re Under Arrest » puis « Love on the Beat ». Quelques jours avant que Serge ne nous quitte, il avait déjà booké la crème de la crème des musiciens du bayou de la Nouvelle Orléans pour une nouvelle aventure sonique. Même tout à la fin, le remix de « Requiem pour un con » c’était encore et toujours Philippe. Et le directeur artistique fera toujours de même avec Jane, lui « suggérant », après la disparition de son auteur-compositeur exclusif, de chanter des chansons de Serge qu’elle n’avait jamais interprétées auparavant ( « Version Jane »), d’enregistrer, pour la première fois des chansons originales qui n’étaient pas signés Gainsbourg (« A la légère) », de donner à l’œuvre de Serge une surprenante couleur orientale (« Arabesque »)…etc…

Une mélancolie typiquement slave et un caractère inexorablement judaïque

 

Jane Birkin

 

À la fois nouvel album et tournée, comme ce concert à la Maison de la Radio, « Gainsbourg Symphonique » est la toute dernière trouvaille de Philippe et il faut admettre que cette fois, one more time, il a fait très fort. Je vous livrerai bientôt, sur Gonzomusic, une analyse plus complète des 21 adaptations classiques que contient le nouvel album, mais j’avoue de ne pas toujours être redescendu de mon petit nuage du spectacle d’hier. Pourtant, je vous confie ici mes premières impressions à vif. D’abord, cette foule de musiciens face à Jane est tout simplement vertigineuse, comme un océan de cuivres, cordes,vents et tutti frutti on rollin’ sous la direction du chef d’orchestre jovial Mikko Franck. Ensuite, les arrangements de Noboyuki Nakajima, l’artisan éclairé du projet « Via Japan » de Birkin, étaient époustouflants, alliant imagination à la fantaisie, comme sur cette « La gadoue » aussi décalée qu’insouciante ou cette « Javanaise » émouvante à faire pleurer des rivières. Adaptation originale, que l’on ne retrouve pas sur l’album, un medley instrumental regroupant « Lemon Incest », « Ma Lou Marilou », « My Lady heroïne », « Initials BB » et « Je t’aime moi non plus » fait décoller l’Auditorium de la Maison de la Radio. Malgré un incontestable problème de micro qui a passablement handicapé la voix de Jane et carrément irrité Philippe Lerichomme, ce concert était un très long morceau de bravoure. Jane chantait admirablement.  Et, même pour des auditeurs attentifs de Serge comme je peux l’être, qui ont eu le privilège de bosser avec lui et d’analyser son œuvre, je redécouvrais ces chansons comme je ne les avais jamais entendues auparavant. Et plus fort que tout, en filigranes je découvrais l’incontestable côté slave de beaucoup de compositions apportant un éclairage kletzmer à l’œuvre de celui qui portait fièrement son étoile de Shérif, sa « yellow star » durant la guerre et au delà. Jamais je n’avais réalisé à ce point que la musique de Serge portait intrinsèquement,  une mélancolie typiquement slave et un caractère inexorablement judaïque, comme si elle sortait tout juste d’un shtetl  d’Europe centrale d’au début du XXéme siécle. Ainsi, comme si l’on pouvait encore en douter, les géniales créations de Serge Gainsbourg sont intemporelles et traverseront le temps, au même titre que les plus grands compositeurs classiques. Gainsbourg devenu ainsi immortel, l’ami Gainsbarre doit être sacrément jaloux.

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