IN MY MIND
« Je ne suis pas un numéro… je suis un homme libre » … à travers ses 17 épisodes le PRISONNIER a durablement révolutionné le mode de pensée des ados que nous étions alors. Avec son intrigue sous LSD, son incroyable décor du Village, ses accessoires futuristes, ses objets iconiques comme la Mini Moke ou le terrifiant Rover, la série British était l’œuvre de toute une vie pour son créateur et principal héros sous son alias du Numéro Six, Patrick McGoohan. Diffusé sur Netflix, le documentaire IN MY MIND offre un regard neuf sur cette série d’anticipation avec de très larges extraits d’interviews de celui qui a su si bien incarner ce Numéro Six insurgé contre le système… au point d’en perdre la raison.
Bien avant James Bond, le kid que j’étais avait déjà succombé à un autre agent secret du MI5 aussi séducteur que classieux dans ses smokings et au volant de cabriolets British emblématiques Aston Martin, MG ou Triumph 😎. Son nom… Drake… John Drake, héros de la série DANGER MAN (DESTINATION DANGER). Diffusée durant quatre saisons sur ITV en Angleterre, d’abord en noir et blanc puis en couleur entre 64 et 68 DANGER MAN est un carton international. Harry Saltzman et Albert Broccoli les créateurs des films de James Bond offrent le rôle à McGoohan… qui décline avec véhémence. Bien plus intellectuel et puritain que le héros qu’il incarne, il est lassé de faire tomber les filles à ses pieds en faisant le coup de poing contre les vilains. McGoohan a déjà une toute autre idée en tête. Celle d’un héros qui ressemble étrangement à l’agent Drake qui décide de jeter le gant du service « action » en prenant se retraite. C’est ce qu’on découvre justement dans le générique du PRISONNIER : au volant de sa Lotus Seven, il pénètre dans un parking du centre de Londres. On le voit taper sur la table de l’équivalent de M et présenter sa démission. On voit sa carte d’agent secret annulée et son retour à la maison pour boucler sa valise. Mais on introduit un gaz anesthésiant par le trou de serrure de sa résidence et notre héros ne tarde guère à perdre connaissance. Lorsqu’il se réveille il est dans un étrange « Village » à mi-chemin entre pénitencier, camp de vacances et maison de retraite pour agents secrets… à la fois de l’Ouest ET de l’Est où chacun porte un numéro. Notre héros est le numéro six. Le boss du Village est le numéro 2. A chaque épisode McGoohan tente inlassablement de s’échapper puisqu’il « n’est pas un numéro mais un homme libre ». Diffusée en France pour la première fois en 68 le PRISONNIER à l‘instar des meilleurs romans dystopiques « 1984 » ou « Le meilleur des mondes » aura su nous ouvrir l’esprit nous apprenant à douter des idéologies avant de les accepter ou justement de les rejeter.
Quelques mois après que je sois rentré à Cognaq-Jay en 1985 pour rejoindre la rédaction du 18h de TF1 plus connue sous son nom de « Mini Journal », la chaine publique avait rediffusé le PRISONNIER et j’en avais bien entendu profité pour me faire missionner sur le lieu incroyable de tournage de la série British au pays de Galles pour réaliser un reportage sur la série. Le Village…est en fait un hôtel, né de l’imagination de l’architecte Sir William Clough-Ellis. Ce dernier a créé un lieu hors du temps où il s’est amusé à mélanger de nombreux styles architecturaux sur la base d’un traditionnel village italien. Statues grecques, petite ruelles, fontaines, statues diverses se retrouvent ainsi réunies dans cette presqu’ile de Portmeirion. Réchauffée par le Gulf Stream, sa végétation quasi méditerranéenne lui donne un surprenant aspect exotique. C’est en débarquant dans ce lieu incroyable pour tourner un épisode de DESTINATION DANGER que Patrick McGoohan a non seulement succombé au charme de cet endroit hors du monde, mais surtout la beauté du Portmeirion de Clough-Ellis va lui inspirer le pitch de la série qui va lui permettre de tourner la page de DANGER MAN. Et de s’investir à 200% dans ce qui va devenir pour lui l’œuvre de toute une vie. Car non seulement McGoohan est le héros principal, mais il s’investit également à la fois dans la rédaction des scenarii et dans la réalisation de nombreux épisodes, parfois tournés sous des pseudos fantaisistes. Phénomène de société le PRISONNIER divise dans les bureaux et les cours de récré où les pros et les antis s’affrontent en inlassables joutes verbales après la diff hebdomadaire. Il faut se souvenir qu’à l’époque Patrick McGoohan était devenu une immense star. Chaque épisode était attendu comme le Messie. Mais après la diffusion de « The Fall Out » (Le dénouement) un épisode quasiment sous trip, délirant et hallucinant entre « Helzapoppin » et la scène finale de « Casino Royale » où l’on découvre que le mystérieux Numéro1 n’est autre que le Numéro 6 soit McGoohan lui-même, cette pirouette de scénario va se transformer en tollé général. Patrick McGoohan est forcé de se cacher des fans furieux et décide alors de s’expatrier à Los Angeles où il ne tourne plus qu’une poignée de films et quelques apparitions dans des séries télé telles que COLOMBO.
Pour moi l’homme a disjoncté et sombré dans une folie paranoïaque refusant tout contact avec la presse. Cependant ce documentaire IN MY MIND va nous aider à remettre l’église au centre du… Village ! Chris Rodley avait profité de la rediffusion du PRISONNIER en 1984 sur Chanel 4 pour tenter l’impossible : décrocher une interview avec le « fantôme » McGoohan, lequel contrairement à toute attente finit par accepter un tournage dantesque dans une villa vide de Laurel Canyon. Sauf que le lendemain, il se rétracte… et exige qu’on « écrase » le tournage de la veille pour en filmer un autre, cette fois sur dans un hôtel de Santa Monica. Dans la foulée Chris Rodley tend également son micro à David Tomlin, qui a écrit certains scenarii ainsi qu’à Lew Grade qui produisait DANGER MAN et qui avait financé le PRISONNIER. Il interroge également la fille de McGoohan, Catherine. Mais dans le plus pur style McGoohan, dès la diffusion sur Chanel 4 le comédien-réalisateur- show-runner renie le documentaire… et décide de tourner son propre film. Patrick McGoohan s’éteint en 2009 à Santa Monica à l’âge de 80 ans, mais son œuvre majeure lui survit. Un demi-siècle plus tard, le PRISONNIER reste toujours autant d’avant-garde et ce passionnant IN MY MIND très largement dérivé du doc de 1984 apporte un éclairage aussi passionnant que troublant sur la série des 60’s qui a su changer nos vies… la mienne en tout cas. Des année durant lorsque j’assurais mon émission quotidienne de rock sur RFI je démarrais immanquablement sur un vibrant « Bonjour chez vous ! », preuve que malgré son demi-siècle et plus le PRISONNIER n’a rien perdu de son extraordinaire pouvoir de fascination.
Diffusé sur Netflix