GEORGE HARRISON: L’amour vrai
Le 29 Novembre 2001, à l’âge de 58 ans seulement George Harrison, le benjamin des Beatles s’est éteint terrassé par ce cancer contre lequel il combattait depuis le milieu des 90’s. Presque deux décennies auparavant, en 88 exactement, il publiait « Cloud Nine », le dernier grand album de sa vie. Je l’avais rencontré à l’époque pour le magazine Best et j’étais tombé sous le charme.
Philosophie orientale
Dans les films des Fab Four, face aux blagues de Paul, John et Ringo, George était souvent en retrait, c’est sans doute pour cette raison qu’il était connu comme le « Beatles tranquille.» Comment aurait-il pu en être autrement ? L’auteur des éternels « Something » et « Here Comes The Sun » avait rejoint les Quarrymen fondés dans le préau de l’école de Liverpool avec Paul puis John. Des bouges de Hambourg au Royal Albert Hall en passant par le fameux the Cavern de leur ville natale, il avait tout connu, tout vécu. Au plus fort du blitzkrieg de la Beatlemania, George découvre l’Inde et la méditation transcendantale et dés son retour, il compose « Norwegian Wood » avec son sitar caractéristique. Quelques mois auparavant, en 65 au cours d’un voyage aux States, le guitariste David Crosby lui avait présenté Ravi Shankar. Harrison qui avait totalement flashé sur l’instrument n’allait pas tarder à succomber à toute cette culture orientale. Les autres Beatles le suivront dans sa quête spirituelle avec le Maharishi Mahesh Yogi. L’Inde va totalement transformer le petit gars de Liverpool. Sa philo, son hygiène de vie, son pacifisme exacerbé, son amour des autres et sa musique seront désormais habités de toute la tendresse de George. Période Beatles, son plus beau joyau restera incontestablement la vertigineuse balade émotionnelle «While My Guitar Gently Weeps » sur l’album blanc avec Clapton en guest star divine. Et « Something » sur « Abbey Road », un des titres sans doute les plus repris de l’Univers.
Après les Beatles
Au tournant des 70’s, lorsque les Fab Four se séparent dans les feux d’artifices des sessions « Let It Be » et « Abbey Road »,quelque part c’est tout bonus pour les fans puisque chaque ex-Beatles va publier ses propres albums solos. Et chacun d’entre eux se révèle particulièrement légendaire. « McCartney » et « Ram », pour Paul. « Plastic Ono Band » et « Imagine » pour John. Et le double classique « All Things Must Pass » de George. Même Ringo va briller avec son « Ringo ». Avec « My Sweet Lord », « What Is Life », « If Not For You » et toutes les autres compositions, « All Things Must Pass » va inspirer toute une génération. Mais c’est le 1er août 1971, au Madison Square Garden de New York, que George va marquer l’Histoire post-Beatles en organisant son désormais fameux concert pour le Bangladesh. Sans doute juste après Woodstock, LE concert le plus mythique de la Galaxie. Pour la toute première fois un groupe de superstars unit ses forces au service d’une même cause. Deux ex Beatles, Harrison et Starr, Eric Clapton , Bob Dylan entourés d’une foule de musiciens font vibrer le Madison Square Garden. L’album et le film, désormais publiés en DVD et BD disc « The Concert For Bangladesh » sont un des éléments fondateur de cette contre-culture.
Le rock tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existerait pas sans Georgie boy et ses précieux copains. Mais on ne s’en rendait pas toujours compte, à l’époque. Ados, on rigolait même de son côté « Hare Krishna’.Et surtout, dans la seconde moitié des seventies, après « 33 1/3 » en 76 les albums deviennent moins flamboyants. Mais après quelques années de grisaille, le soleil perce enfin en 1988 avec la parution du radieux « Cloud Nine ». Propulsé par une solide bordée de hits comme « I Got My Mind Set On You » ou « When We Were Fab » George sort enfin de l’ombre.
Rencontre avec George
En 1988, j’avais déjà dix ans de critique rock au compteur. J’avais croisé Bob Marley, Jagger Clapton et Ringo Starr, interviewé Prince et Wonder et pas mal d’autres. Comme tous ces grands fauves du son, chacun à sa manière savait assumer une véritable spontanéité comme une désarmante simplicité. Marley, lui avait un regard qu’on ne peut jamais oublier. Et George Harrison avait cette même profondeur abyssale au fond des yeux. Et comme lui, il dégageait une telle aura qu’on pouvait presque la toucher physiquement. L’énergie positive émanait de tout son corps. Discuter avec le guitariste était un exercice aussi incroyablement relaxant qu’un plongeon dans un spa.
Cloud Nine
Je n’avais pas écouté d’album de George Harrison longtemps mais« Cloud Nine», son album sorti juste avant Noël sur Dark Horse, son label perso, est un must surprenant. Je croyais le musicien en méditation dans un ashram où il vivait une version cool de « Wall Street», en produisant des longs métrages pour Handmade Films, la société qu’il dirige. Mais dans ce salon d’hôtel parisien, George Harrison n’a pas fini de me surprendre. L’image que j’avais gardée de lui était sa prestation de Christ, barbe noire et robe noire, présidant une cène rock dont les apôtres allaient de Ringo Starr à Klaus Voorman en passant par Nicky Hopkins. Exit le missionnaire oriental, aujourd’hui George Harrison s’habille en jeans comme vous et moi. Son regard, pourtant, n’a rien perdu de cette ferveur mystique.
INTERVIEW
« Chez George Harrison les années sabbatiques durent-elles toujours sept ans?
S’arrêter n’est pas toujours aisé, moi je considère cela comme un vrai privilège. Je voulais retrouver ce sens du plaisir, du fun qu’on ne doit jamais perdre en faisant un disque. J’ai aussi décidé de travailler avec un autre producteur et j’ai pensé à Jeff Lynne d’ELO. Mais nous sommes d’abord devenus très proches et au bout de deux ans de cette amitié, nous avons décidé de tenter l’album.
Qui se ressemble s’assemble. J’ai toujours trouvé qu’Electric Light Orchestra sonnait étrangement comme les Beatles !
Ce choix est logique, car sa musique a toujours été très proche de celle que nous faisions. Et puis, Jeff est un guitariste comme moi; il écrit, chante et produit comme moi, ce sont des choses qui rapprochent. De plus, nous détestons les mêmes choses comme la musique d’ordinateur. Le DX machin c’est bon pour les B.O. de films ou la télé mais sur disques, rien ne remplace une vraie batterie, des guitares ou le frappé d’un piano.
A propos des Beatles, il y a ce titre « When We Was Fab » sur ton album qui rappelle étrangement « l’m The Walrus », mais que vient faire cette voix en français tout à la fin du morceau? Tu peux me dire ce qu’elle raconte?
« 45.24.70.00 (NDR : le 01 n’existait pas à l’époque) vous pouvez m’appeler jusqu’à trois heures du matin … » c’est le standard de France Inter. Je voulais que « When We Was Fab» sonne comme si on l’avait faite en 67, 68. On a utilisé le kit complet des trucs que l’on faisait avec les Beatles, comme un violoncelle, des sons passés à l’envers, des sitars, du phasing et ce poste de radio qu’on a branché sur la console de mixage pour insérer ce qui passait à l’antenne dans la chanson, pour jouer à « I’m The Walrus ». Le hasard a choisi cette voix Française, mais je n’ai jamais su exactement ce qu’elle disait. Cette chanson est un pot pourri de clins d’œil à ce que nous faisions lorsque nous étions vraiment fab.
On a beaucoup évoqué les Beatles l’an passé pour la sortie des versions CD de vos albums.
Les CD sont de beaux objets, ils donnent sans doute au public renvie d’entendre à nouveau les Beatles. Mais il ne faut pas oublier que la qualité technique est exactement la même qu’à l’époque où nous avons fait ces albums. Même en digital, il n’y a pas de miracle.
Lorsque les Beatles sont passés à l’Olympia, j’avais huit ans et ne j’y étais pas. Mais ça m’a toujours frustré de ne pas voir ces concerts où les cris des filles en délire couvraient la musique du groupe.
La Beatlemania n’était pas aussi bruyante chez vous que dans la plupart des autres pays. L’Olympia en 64, c’était plutôt calme.
Lorsque vous avez arrêté la scène, ces hurlements d’amour ne t’ont-ils pas manqué?
Absolument pas. Avec tout ce bruit, on ne s’entendait plus; de plus, cette bouillie de sons devenait dangereuse et stérile, mieux valait se consacrer à autre chose.
Quelle importance accordes-tu à l’argent?
Parce qu’il te permet de faire ce qui te chante, il peut être synonyme de liberté. Mais s’il doit nous dominer, il ne compte plus.
Tu as toujours été attiré par la philosophie orientale, ça t’a aidé à garder les pieds sur terre?
Lorsqu’on est fou de Dieu, on est aussi fou d’amour et il n’y a que cela qui compte vraiment. Sans mes voyages en Inde et mon apprentissage de la méditation, il n ‘y aurait sans doute plus de George Harrison aujourd’hui.
Après le rachat par Michael Jackson du catalogue Northern Songs des Beatles, tu n’as jamais songé à racheter les éditions des Jackson 5 ?
Les Jackson 5 n’ont jamais fait une seule· chanson qui vaille le coup d’être rachetée ! En tout cas, elles n’ont rien de comparable avec les nôtres qu’on écoute et reprend depuis tant d’années. Le catalogue des Beatles, c’est comme une collection de toiles de maîtres.
Et Prince? Crois-tu qu’il puisse être un phénomène comparable à celui des Beatles?
Cela se peut. Il a de très bonnes idées et sur scène c’est un véritable performer capable d’assurer un très grand show. Nous, nous montions sur scène et nous chantions une demi-heure. Prince danse, joue, fait l’acteur sur les planches pendant des heures. Il a beaucoup de talent et Dieu seul sait ce qu’il est capable de faire.
Lorsque vous avez fait « Back ln USSR», il n’était pas question de « glasnost » (NDR : Gorbatchev dernier leader de l’URSS avait commencé à ouvrir l’Empire à la liberté d’expression par deux politiques la « glasnost » /transparence et le « perestroika »(restructuration) qui allaient mener très vite au démantèlement du bloc soviétique) qu’en penses-tu aujourd’hui?
Tout ce qui peut permettre à des pays de s’ouvrir pour mieux se connaître et s’accepter me paraît positif. Notre propagande nous explique toujours que les rouges sont nos ennemis, moi je n ‘y ai jamais cru. Gorbatchev favorise la musique. Il laisse sortir ses groupes de rock hors du rideau de fer, tant mieux. Si les jeunes générations finissent pas s’aimer, c’est bien à travers la musique, Pour que la planète partage cette amitié, c’est juste une question de temps. Le seul ennemi qu’on ait vraiment dans la vie c’est soi-même ou son propre gouvernement de politiciens. En se posant des questions, en fouillant dans nos têtes par la méditation, on peut être plus forts, plus heureux et connaître l’amour vrai. Et cet amour finit par toucher tous les autres. Et ce monde devient ainsi meilleur.«
All we need is love. Vingt ans après « l’été de l’amour », George Harrison ne se renie pas d’un iota. Il a déjà retrouvé Ringo pour son nouvel album et il rêve d’enregistrer à nouveau des chansons avec Paul:
» Tout dépend de la profondeur de notre amitié, mais pour moi, il est plus important d’être ami avec quelqu’un que d’écrire des chansons. Pour créer, il faut vraiment que ce courant soit fort.« , conclue t’il.
Producteur à succès des films Monty Python comme du flop de Madonna « Shangaï Surprise », chanteur / producteur/tube des années 80 avec le smash hit « Got My Mind Set On You », George Harrison respire sur sa tronche et dans ses tripes la sérénité du sage qui a su observer. Lorsqu’on est assis au sommet du monde, comme les Beatles, on pourrait croire qu’en se raréfiant l’oxygène cesse un jour d’irriguer le cerveau. Il n’en est rien. George est un personnage rassurant. Au-delà du magnétisme Beatles, son sourire et sa simplicité montrent que l’ivresse de la gloire et de la réussite n’ont qu’un futur possible: le bonheur.
Publié dans le Magazine Best N°237 d’Avril 88