GAËL FAYE « Lundi méchant »
C’est le second épisode des aventures de Gaël Faye et avec sa double casquette de romancier, comme d’auteur-compositeur- interprète, le natif du Burundi, élevé au Rwanda, revisite avec art et poésie cette Afrique qui vibre si fort en lui, pour nous la faire partager avec toute la fraicheur d’un MC Solaar de ses débuts sur les compositions aussi originales que dépaysantes de son « Lundi méchant ».
Un roman à succès « Petit pays » adapté cette année au cinéma, deux EP et deux albums à son actif, à 38 ans Gaël Faye assume ses multiples casquettes, comme sa double culture africaine et occidentale, sans pour autant avoir jamais la grosse tête. C’est sans doute ainsi que l’on reconnait les véritables Artistes, ceux qui méritent aisément son « A » majuscule. Entre électro, pop, hip-hop, slam, parlé-chanté façon Gainsbourg et chanson française, le cocktail Faye se révèle juste enivrant par la puissance des mots conjuguée à l’imagination et au feeling. Et tout commence avec « Kerozen », aux faux airs du « Noir et blanc » de Bernard Lavilliers, où Gaël Faye nous fait voyager de voix douce, sur le cool pulsé émotionnel d’un superbe texte qui nous entraine déjà aux antipodes sur un des titres sans doute les plus puissants de l’album suivi par « Respire », rumba zaïroise pulsée, entêtante sur des paroles scandées comme autant de slogans de libération qui s’achève sur une touche d’espoir. Sur« Chalouper », après une intro au piano électrique, Gaël prend sa voix désabusée plaquée surs des références biguines et calypsos, pour un parfait métissage sonique et des vocaux façon néo-Dutronc. La danse doit être plus forte que le chagrin et la nostalgie, telle est la morale de l’histoire. Avec « Boomer », on plonge dans un afro trap électro cool rétro-futuriste aux mots syncopés qui ricochent comme une pierre plate rebondit à la surface de l’eau où l’artiste joue l’analogie entre boomers de HP et cœurs qui pulsent la chamade. Puis, on continue à se laisser séduire par « Only Way Is Up ». Vocalisé avec la grosse voix de Jacob Banks, c’est un slow mélancolique en forme de complainte pour un blues en anglais qui vibre d’une superbe émotion. Puis retour au Français pour mieux brouiller les pistes sur un texte en pure poésie. « Lundi méchant » marque un retour à la rumba sur guitare acoustique une émotion proche de la morna de Cesaria. Les mots enchainés sont scandés pour projeter sa vision à lui du plaisir de ce « lundi méchant » où l’on continue de vouloir faire la fête, comme une utopie d’un week-end qui ne cesserait jamais. La chanson-titre est portée par sa force de conviction qui nous entraine à Bujumbura en parfaite utopie pour prolonger le week-end…
« C’est cool » où Gaël pratique à nouveau son art exercé du parlé-chanté pour évoquer son « petit pays », le Burundi, et sa jeunesse de la manière la plus autobiographique, sur un sublime texte nostalgique qui file la chair de poule. Quelle plume ! « J’ai débarqué ici un soir d’hiver avec mon sac de rimes » et le sac était manifestement bien rempli. Ne peut en aucun cas laisser quiconque indifférent, sans doute mon titre favori de l’album. « Ma jeunesse c’est cool… s’écoule »… au top ! Ensuite, sur « Seuls et vaincus » un piano en intro ouvre cette sad song portée par des chœurs angéliques et sombres comme une, tristesse infinie sur un texte juste sublime signé de Christiane Taubira. Rapide et pourtant si intense, en moins de deux minutes, « Lueurs » projette ses synthés électros en séquences élégantes un peu à la manière de Woodkid. « Histoire d’amour » c’est d’abord une intro délicate à la guitare acoustique avant un beat chaloupé en version afro samba cool, chaleureuse et délicate. Autre morceau de bravoure, « Jump In the Line » me fait fondre comme neige au soleil sur son South African beat, interprété pour la première fois en français depuis “Mais où sont passées les gazelles » de Lizzy Mercier Descloux. C’est juste superbe et exotique, une des incontestables plus belles chansons du CD et une reprise d’Harry Belafonte qu’il vénère et qu’il a eu le privilège de rencontrer aux USA. Exotique «Zanzibar » nous fait voyager sur son piano où la voix parlée chantée déclame sa poésie superbe son texte où la tristesse est une brulure aussi vive que brute. Enfin cette fusion intense s’achève en beauté sur « Kwibuka » où la voix haute porte fièrement son feeling afro acoustique, comme une cool prière profane amoureuse et superbe, si riche en émotion offrant son élégante conclusion à cet album lumineux. Si vous ne connaissez pas encore Gaël Faye, sachez tout simplement qu’il signe avec ce « Lundi méchant » l’un des vingt albums justes indispensables de cette année 2020. Respect !