DON QUICHOTTE À L’OPÉRA
« Don Quichotte de Rudolf Noureev », le ballet mythique est enfin de retour à l’Opéra Bastille … mais que penza vraiment Sancho de tout cela ? C’est à peu près la question que se pose ici notre JCM mélomane, après avoir assisté au spectacle, lequel peut de surcroit attester qu’aucun moulin à vent n’aura été blessé durant le déroulement de l’action artistique.
Par Jean-Christophe MARY
« Inspiré de la chorégraphie de Marius Petipa, Don Quichotte de Rudolf Noureev est une véritable fête de la danse aux accents espagnols. Les solistes et le Corps de Ballet sont emportés dans des ensembles et pas de deux au son d’une musique enlevée. Écrit au XVIIe siècle, le roman de Cervantès raconte les aventures de Don Quichotte, un idéaliste qui vit dans les livres et qui décide un jour de cavaler à travers l’Espagne aux côtés du naïf Sancho Pança. Dans le ballet de Noureev, ils rencontrent Kitri et Basilio. Ces deux amants emploient toutes les ruses – du spectacle de guignol au faux suicide – pour se retrouver malgré la résistance du père de Kitri. C’est finalement Don Quichotte qui amène l’heureux dénouement après avoir lutté contre les moulins à vent et croisé la route de Cupidon, Dulcinée et la Reine des dryades. Les costumes et les décors chatoyants subliment une œuvre vive et réjouissante ».
Depuis sa création par Marius Petipa au Théâtre Bolchoï de Moscou en décembre 1869 puis adapté par Rudolf Noureev en 1981 pour l’Opéra National de Paris, Don Quichotte (Don Kikhot) est devenu au fil du temps une référence incontournable pour les aficionados. Après deux ans d’absence sur la scène de l’Opéra Bastille, le retour de ce joyau du répertoire du Ballet de l’Opéra national de Paris est très attendu pour ce printemps 2024. Figure universelle, comique et tragique, perdu dans son monde et égaré dans celui de ses contemporains, ridicule et grandiose, admirable et pitoyable, Don Quichotte ne connaît ni la fourberie, ni le renoncement, ni la trahison. La perte de son idéal, la compromission : voilà la mort de Don Quichotte. Dès le XVIIe siècle, le personnage a inspiré bien des avatars, non seulement littéraires mais aussi musicaux ou chorégraphiques. Leurs auteurs n’avaient qu’à puiser dans l’abondance des épisodes du roman de Cervantès, véritable répertoire d’aventures et d’anecdotes, pourvoyeur de sujets pour artistes en mal d’inspiration. Au XIXe siècle, c’est l’Espagne tout entière qui devient source de créations artistiques, jusqu’aux limites du cliché. Âpre, noble ou pittoresque, elle offre le meilleur d’elle-même sous la plume de Mérimée, la baguette de Bizet ou le pinceau d’Edouard Manet. Avec Marius Petipa, elle donne lieu à la création de plusieurs ballets, dont le fameux Don Quichotte. À Moscou, puis à Saint-Pétersbourg, c’est le même succès triomphal, au gré des adaptations du ballet par Petipa lui-même ou par Alexandre Gorski. L’épisode du roman retenu par le chorégraphe, avec les noces de Kitri et de Basile, privilégie le versant le plus heureux de l’histoire. Les couleurs chatoyantes et les danses de caractère, avec tourbillons de gitans et de belles andalouses évoluant sur la musique enivrante de Ludwig Minkus font l’unanimité du public depuis cette nouvelle production (2002), conquis par une chorégraphie nouvelle autant que par l’exotisme ibérique.
« Don Quichotte est un ballet qui doit pétiller comme du champagne”. Rudolf Noureev.
Le charme opère de bout en bout sur ces trois actes et huit tableaux qui nous transportent dans une Espagne fantasmée et romantique, époque choisie par les Russes Alexandre Beliaev, concepteur des décors, et Elena Rivkina pour les costumes de cette production de 2002. Les appartements de Don Quichotte, la grande place de Barcelone, le campement des gitans, la «Vision» de Don Quichotte, la taverne et le mariage tous ces lieux inspirés des tableaux de Francisco Goya sont chaleureux et nous transportent tour à tour dans l’Espagne gothique et Mauresque du XVIIIe ou celle réaliste du XIXe. On ne reviendra pas sur la féérie de la chorégraphie de Rudolf Noureev, sa première pour l’Opéra de Paris en 1981, très riche et foisonnante dans sa mise en scène. À la différence de Marius Petipa qui articulait le ballet autour du personnage central de Don Quichotte, Rudolf Noureev révèle davantage les personnages secondaires pour les passer au premier plan, comme Kitri et Basilio. Les danses de caractère sont délaissées au profit du corps de ballet associant les particularités techniques de l’école française, comme les entre-pas, la rapidité du bas de jambe, la petite batterie qui figurent parfaitement le caractère des danses espagnoles. Ces dernières sont reconnaissables par la position des bras avec mains à la taille ou encore la fameuse quatrième position des bras sur le cambré. La danse masculine est valorisée par d’importantes variations ajoutées.
Rudolf Noureev avait pour prédilection les ballets de Marius Petipa assurant ainsi leur paternité en conservant leur version d’origine par un respect du découpage, du maintien des danses et des musiques préexistantes. Pour ces vingt-quatre nouvelles représentations cette production d’exception réunit sur un même plateau une flopée de pointures parmi lesquelles la délicieuse Sae Eun Park dans le rôle de Kitri, en alternance avec Hannah O’Neill, nommée danseuse étoile en 2023, le brillant Paul Marque (Basilio) en alternance avec Guillaume Diop et Germain Louvet, Pablo Legasa (Espada) en alternance avec Florent Melac et une distribution qui promets des moments savoureux et intenses avec notamment Naïs Duboscq ( La Danseuse de rue) en alternance avec Roxane Stojanov, Hohyun Kang (La Reine des Dryades) en alternance avec Héloïse Bourdon, Inès McIntosh (Cupidon) en alternance avec Silvia Saint-Martin, Clémence Gross (La Première Demoiselle d’honneur) en alternance avec Inès McIntosh. Le corps de ballet devrait s’illustrer dans ce feu d’artifice d’entre-pas, de bas de jambes rapides, avec ces mouvements qui illustrent le caractère des danses espagnoles identifiables par la position des bras avec mains à la taille ou encore la fameuse quatrième position des bras sur le cambré.
Les ballets qui vont retenir le souffle du public sont Les Matadors, le Roi des Gitans, la Reine des dryades, Cupidon délicat et technique, les Dryades, Fandnago et bien sûr le pas de deux final Kitri et Basilio, véritable éventail de la technique classique pour tout soliste. Si on ajoute à cela la poésie des décors d’Alexandre Beliaev les luxuriants costumes d’Elena Rivkin, la brillante partition de Ludwig Minkus, les lumières Philippe Alabaric et une direction d’orchestre confiée à Gavriel Heine, ces vingt-quatre nouvelles représentations sont d’ores et déjà un succès assuré.
« Don Quichotte de Rudolf Noureev »
Ballet en un prologue et trois actes. Chorégraphie d’après Marius Petipa
Ballet de l’Opéra de Paris – Jusqu’au 24 avril