DAVID BOWIE « Let’s Dance »

David BowieVoici 42 ans dans BEST GBD défendait de taille et d’estoc le 15ème LP studio de David Bowie, sans pourtant imaginer que ce disque monumental serait à jamais le plus grand hit de son héros Ziggy, récoltant enfin, en partenariat avec Nile Rodgers et la Chic Organization, les lauriers dorés, qu’il aurait dû remporter depuis au moins « Space Oddity », lorsque nôtre Thin Duke s’est soudain métamorphosé en Thin Black Duke littéralement sous ses yeux,  en assistant en guest privilégié, les yeux éblouis et les oreilles comblées, aux répétitions de la vertigineuse tournée « Serious Moonlight Tour » à NY City qui accompagnait la sortie de ce « Let’s Dance ». Flashback…

let's danceAprès l’intermède « Scarry Monsters ( And Super Freaks) » qui marque le retour de notre vieil ami le Major Tom en junkie sur « Ashes To Ashes », Bowie ( Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/?s=David+Bowie ) se lance dans ce qui constitue sans doute l’aventure la plus importante de toute sa carrière soit « Let’s Dance »  (Voir sur Gonzomusic  LES 40 ANS DE LA RENCONTRE ENTRE DAVID BOWIE ET NILE RODGERS, et aussi TOUTE MA LIFE AVEC DAVID BOWIE ) . Car il faut regarder la situation en face. Incontestablement, il est un immense artiste unanimement reconnu sauf que… en dehors du Royaume-Uni et notamment en France ou aux USA, face à un Michael Jackson ou à un Paul McCartney, voire carrément un Johnny (si !), il ne vend pas des camions de disques. Et cette absence de reconnaissance mathématique doit sans doute lui peser. Alors Bowie va faire ce qu’il sait faire de mieux, surfer sur la vague pour mieux la dépasser. Au tournant des 80’s, le Club 54 à New York ou le Palace à Paris sont « the place to be ». Bowie rencontre alors Nile Rodgers ( Voir sur Gonzomusic  CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS… Part One et aussi  CHIC… MA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC NILE RODGERS Part Two) dans un de ces clubs « after-hours » de la « Grosse Pomme » et lui offre de collaborer avec lui sur son prochain album. Nile avait raconté au journaliste de BEST que j’étais devenu que Bowie lui avait alors proposé de faire un album complètement expérimental qui devait osciller entre funk et jazz, mais que la naissance d’un tube incontestable né d’un simple groove avait alors chamboulé ses plans. Forcément, il y a un avant « Let’s Dance » et un après. Capturé avec toute la bande de Chic ( Voir sur Gonzomusic  https://gonzomusic.fr/?s=chic ), avec ce 15ème album studio, comme le boxeur victorieux de sa pochette, Bowie devient enfin cet incontesté champion du monde, vainqueur par KO côté poids des charts et choc des ventes. Si je n’étais pas présent au fameux Power Station de New York où Nile avait ses habitudes en décembre 82 pour assister aux séances de « Let’s Dance », j’y étais passé en fait quelques mois auparavant, durant l’été, pour interviewer Nile et Bernard Edwards. Et à cette occasion, je m’étais également lié d’amitié avec le bassiste Carmine Rojas et le clavier Raymond Jones. Or ces derniers sont bien entendu crédités sur « Let’s Dance ».

David BowieEt c’est qu’ainsi qu’en avril 1983, pour BEST et Actuel et avec la complicité de ces très Chic amis, j’ai pu jouer les petites souris rock et me glisser dans le studio de répétition SIR de Manhattan histoire d’assister deux jours durant aux filages de ce qui deviendra le mythique « Serious Moonlight Tour ». Et interprétées pour vous, quasi seul, les compos de « Let’s Dance » généraient toute la puissance d’une centrale atomique. En plus du guitariste Carlos Alomar, sur ces répètes figurait l’époustouflant Stevie Ray Vaughn, graine d’Hendrix un peu bougon mais dont la lueur au fond des yeux ne laissait aucun doute sur son charisme total. Bien entendu je n’avais jamais vu Bowie d’aussi près. Et j’ai pu être bluffé par son incroyable maitrise, sa précision extrême dans ce qu’il pouvait exiger des musiciens. Bien entendu sans public, il se contente d’enchainer les morceaux. Mais quels morceaux ! Les titres de « Let’s Dance » sont un parfait cross-over entre funk et rock, une recette qu’un certain Prince Roger Nelson ne tardera pas à appliquer avec succès. Que dire de ce show surréaliste dans cette toute petite enceinte ? David est l’incontestable locomotive de cette machine parfaite, Nile la courroie de transmission pour un groupe qui pratique le groove comme un « way of life ». Sur « China Girl » la basse de mon copain Carmine mène le bal sous la sensualité de la voix de Bowie. Profitant d’une pause, Carmine me rejoint sur le canapé de cuir où je suis installé au fond du studio. Le bassiste a conservé la chaleur de ses origines porto-ricaines ; lorsqu’il discute, il se laisse toujours emporter et son sourire ne le quitte jamais. « Viens, je vais te présenter. » Et je serre successivement une bonne douzaine de mains. Tony Thompson, le batteur, ne lâche pas sa bière Bud’. Alomar est hilare et lance des vannes. Stevie Ray Vaughan, lui reste plongé dans son rêve. Les trois cuivres font la navette entre les chiottes et le téléphone. Nile Rodgers ne s’est pas encore pointé. Bowie est naturellement distant. « Neuf mois de tour, c’est long », confessait alors Carmine, « heureusement que nous avons un 727 pour voler où nous voulons. » Je le questionne : « Et visuellement, le show, à quoi ressemble t’il ? Les indications de mon copain sont en forme de puzzle ; par bribes, il me dépeint les décors, les costumes colorés, l’ambiance « Shangaï Express », l’Asie des années Trente et la fumée âcre des tripots d’opium.

David BowieC’est drôle, Stevie Ray est raccord : il a un dragon tatoué sur la poitrine. Il lui suffira de jouer la chemise ouverte pour se fondre dans le décor. (NDR : En fait, cinq jours avant le début de la tournée, Stevie Ray Vaughan déclara forfait. On alerta en catastrophe l’ancien compagnon, Earl Slick qui dût ingurgiter en quelques heures la répétition d’une bonne trentaine de morceaux !). Les 8 et 9 juin, le « Serious Moonlight Tour » ( Voir sur Gonzomusic 1983…LE JEUNE YOURI LENQUETTE ASSISTE AU LANCEMENT DU SERIOUS MOONLIGHT TOUR DE BOWIE ) séjourne deux jours à Paris. Les musiciens ont tout un étage privatisé de l’hôtel Warwick à côté des Champs. Après les shows parisiens, l’alcool, la beu et la coke roulent en abondance et l’on voit de ravissantes top-models passer d’une chambre à l’autre. Sans avoir le « Cocksucker blues » c’est sans doute l’une des rares fois où le sex, drugs & rock and roll tient vraiment toutes ses promesses. So let’s dance … again !

 

 

 

Publié dans le numéro 178 de BEST sous le titre :Bowie Let's dance

 

 

LE RETOUR DU MINCE DUC NOIR

 

 

 

Était-ce le bar du Peppermint Lounge, celui du 54 Th ou même le Danceteria, peu importe. L’homme blond au chapeau large accoudé au comptoir tournant le dos à la piste de danse n’était pas là pour mater. Le reflet dans la glace lui renvoyait son image, sa silhouette raffinée trahissait son origine européenne. La nuit avançait, rythmée par les mixes du DJ. De son bar, homme avait la perception des corps en mouvement accrochés au fil invisible du funk. Il sourit et se dit que, décidément, rien n’avait changé, la même cérémonie, le rite immuable depuis la toute première mesure du temps. La danse reste un exorcisme moderne, plus direct que la visite au psy, moins grossier que le sport. Balayés par les faisceaux de spots et de gyrophares, les couples bondissants funkaient sans se poser autant de questions. Heureusement l’homme au chapeau large s’y était intéressé depuis longtemps avec un certain succès. Cette fois encore, il se dit qu’il saurait les faire bouger. Let’s Dance ! Pas besoin d’agiter ma mémoire comme un shaker, j’en ai pris mon parti : lorsque j’entends Bowie, je me sens comme un de ces petits gars qui ne savait pas résister au joueur de flûte de la légende. J’aurais pu être intensément fan de Bowie s’il avait poussé l’esthétisme jusqu’ à disparaître comme le Thomas Jerome Newton de « L’homme qui venait d’ailleurs », enlevé par les Russes ou les Martiens. Aujourd’hui, je ne suis plus qu’un amateur. Ce qui ne m’empêche pas de marcher à tous les coups, qu’il joue au Père-Noël avec Bing Crosby ou qu’il s’acoquine à Queen, Bowie charmeur, Bowie énergie, Bowie le maitre danseur m’a servi de locomotive. « Hang On to Yourself », « Jean Genie ». « Rebel Rebel », « Fame », Bowie a toujours réussi à me jeter sur une piste de danse. « Let’s Dance » n’échappe pas à la règle. Quelques semaines avant l’album, j’ai pu déjà expérimenter le single « Lets Dance » sur la piste du Gibus « If you say run, I’ll run with you/ If you say hide we’ll hide ». Pour danser, cette fois, David Bowie s’est associé à Nile « Chic » et à la bande du Power Station de Bob Clearmountain. Quoi, Chic ? Après Sheila et Debbie Harry, les Manhattan funk-rockers vampirisent Bowie. « C’est du viol » le venin craché par ces mauvaises langues ressemble étrangement à celui qu’on répandait à l’époque sur « Young Americans ». En 75, Bowie ne faisait pas du Barry White de série « B » et, en 83, « Let’s Dance » n’est pas un sous-produit Chic, même s’il existe quelques similitudes frappeuses. Moins velouté que « Young Americans », moins sirupeux que le son Chic, « Let’s Dance » apparaît comme un bel étalon de funk-rock urbain vaguement influencé par Prince ou Rick James ; le Thin Duke n’aurait-il pas souhaité se changer en Thin Black Duke ?

 

David Bowie Carmine Rojas

David Bowie Carmine Rojas

Parano habituelle, le Bowie nouveau ne doit quitter son coffre blindé sous aucun prétexte. Mais la mansuétude du marketing est parfois immense pour les rédacteurs rock j’ai donc pu écouter l’album in extenso de midi au crépuscule. Let’s Dance ! Attaque de drums saccadés et cuivres palpitants, « Modem Love », le premier titre, est un pick-up truck qui démarre en trombe. Questions/ réponses, Bowie se joue des chômeurs qui palpitent « Oh oh oh oh, little china girl » Bowie avait écrit « China Girl » avec Iggy Pop en 77 pour son LP « The Idiot », mais la version de « Let’s Dance » est dix fois plus entraînante. Sous le beat, la guitare de Nile Rodgers glisse sensuellement vers le rock. Quant à la voix de Bowie, elle susurre doucement une love story exotique bourrée de tous les clichés du Shangaï Express. Sh-Sh-Shhhhh…

Les Beach Boys ? Chic choc ? Non, juste « Let’s Dance » • le title-track qui monte monte comme la fumée hors des bouches d’égout de Manhattan, « Let’s Dance » jusqu’à l’aube ou l’Apocalypse, 7 minutes et trente-huit secondes pour se décider sur le barrissement des cuivres. « Oooh oooh » et c’est à nouveau la fontaine de charme, le bain parfumé à l’eau de rose « Without You », le titre le plus lent de l’album est sans doute le plus tendre. Une ballade à la «Ashes to Ashes » à écouter lorsqu’on serre très fort la main de quelqu’un d’autre. « Without you », c’est la même race de solitude que celle du Major Tom ou du Cracked Actor ».

 

Earl Slick

Earl Slick

Bowie relance sans cesse les mêmes thèmes avec le tour de force de les rendre systématiquement novateurs. Quelque part dans un cerveau, une poignée de cellules jouent la machine à démonter le temps ; Bowie projette 1′ avenir au quotidien ne pas subir la mode, c’est apprendre à la dépasser. Comme seul vice : télécommander. Let’s Dance ! Masterplans pour « Ricochet », un funk chargé d’électricité sur fond de béton. Incontestablement New York City « Ricochet » n’aurait jamais pu être composé sans le speed et les taxis jaunes qui vous invectivent. Bowie se penche rarement sur le social, mais cette fois, « le monde fait la queue au coin de la rue pour un job ». « Ricochet » reflète toute la tension, les usines qui s’arrêtent et la violence en constante réévaluation. Sur fond de crise et de messages radios à la Eno/Byrne, on retrouve un peu le feeling de « Heroes » sur les ponts de cuivre jetés au-dessus de l’ile. Bowie n’est pas un super adepte du cover et pourtant, cette fois, il se laisse aller à reprendre le hit mythique de Metro, un groupe aujourd’hui défunt. « Criminal World » est, en tout cas, le titre le plus sexy de l’album, une séance blue porn, entre la voix démultipliée de David et le son quasi monocorde de la guitare de Rodgers. Fusion optimale funk-rock, is it « frock » ? Let’s dance sur la nouvelle version de « Cat People » ou « Shake It », une BO pour roller-skaters, juste un peu faiblarde pour les critères habituels Bowie. Back to the club, peu à peu, la piste se vide de son bouillon de culture humain comme un évier trop plein. L’homme au chapeau large a disparu depuis longtemps et, pourtant, dans son verre, les cubes de glace continuent à s’entrechoquer : Let’s dance for fear tonight is ail.  

 

Publié dans le numéro 178 de BEST daté de mai 1983BEST 178.

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