LE BARBIER DE SÉVILLE À NOUVEAU À L’OPÉRA
“Le Barbier de Séville” est enfin de retour à l’Opéra Bastille et de surcroit en version pop garantie anti-rasoir ! En effet, le chef-d’œuvre comique de Gioacchino Rossini revient à l’affiche de l’Opéra national de Paris dans la mise en scène virtuose et sur-vitaminée de Damiano Michieletto. Une lecture moderne, vive et teintée d’ironie, servie par une distribution vocale de haut vol et la direction du chef vénézuélien Diego Matheuz, le tout soigneusement épilé au maillot par les doigts experts de JCM.
Par Jean-Christophe MARY
Depuis sa création en février 1816 au Teatro Argentina de Rome, Il barbiere di Siviglia, opéra bouffe en deux actes sur un livret de Cesare Sterbini d’après Beaumarchais, reste l’un des piliers du répertoire lyrique. À l’Opéra national de Paris, l’œuvre a connu de nombreuses incarnations depuis le XIXe siècle, dont celle marquante de Jean-Pierre Ponnelle en 1986, ou encore la mise en scène de Coline Serreau dans les années 2000. En cette fin de saison 2025, c’est la production détonante de Damiano Michieletto, créée initialement à Salzbourg (2010) puis adaptée pour l’Opéra National de Paris qui s’installe sur le plateau de Bastille pour une nouvelle série de représentations du 10 juin au 13 juillet.
Originaire de Venise, berceau de la commedia dell’arte, Damiano Michieletto est sensible à la veine burlesque de la musique rossinienne. Fidèle à son approche incisive, Michieletto a transposé l’action de Séville dans un univers pop et délirant, inspiré du cinéma d’Almodovar, période début des 80’s. Les décors de Paolo Fantin évoquent un immeuble monumental avec bar à tapas, portes battantes, escaliers tournants, mobilier kitsch qui parasitent la frontière entre fiction et réalité devant lequel sont garée une voiture et une moto. L’immeuble de Bartolo, tuteur de la jeune Rosina, au sein duquel Figaro tourbillonne en électron libre, permet au metteur en scène de donner libre cours à son imagination débridée. En effet cette mise en scène endiablée alterne avec une extrême aisance entre un réalisme pittoresque et un fantastique onirique à travers ce décor plus vrai que nature qui fait du Barbier de Séville une comédie loufoque déjantée mais aussi criante de vérité. Michieletto joue avec les codes, déjoue les attentes et transforme l’intrigue en farce psychédélique, sans jamais trahir la mécanique musicale de Rossini. Les costumes de Silvia Aymonino participent de cette esthétique délibérément kitsch : jogging, lunettes oversized, robes flashy… Une galerie de personnages hauts en couleur défile sous les projecteurs de Fabio Barettin, qui accentue le côté “soap opera” de l’action. Une approche qui pourra déconcerter les puristes, mais qui révèle toute la vitalité et la modernité de l’humour rossinien.
Ces nouvelles représentations sont d’ores et déjà un triomphe annoncé. À la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, le Vénézuélien Diego Matheuz devrait insuffler à la partition son énergie fluide et son sens de l’équilibre. Issu du programme El Sistema, Diego Matheuz s’est imposé sur la scène internationale par sa clarté gestuelle et sa maîtrise du répertoire romantique. Habitué des grandes maisons (Berlin, Milan, Los Angeles), il devrait trouver ici un terrain de jeu idéal pour faire briller les éclats de virtuosité rossinienne sans jamais sacrifier la subtilité des phrasés. Dans le rôle de Rosina, deux mezzo-sopranos se relaieront jusqu’au 13 juillet : Isabel Leonard (du 10 au 25 juin), au timbre velouté et à la diction limpide, puis Aigul Akhmetshina (du 28 juin au 13 juillet), volcanique et charismatique, toutes deux parfaitement taillées pour la célèbre aria Una voce poco fa. Face à elles, Mattia Olivieri promets de camper un Figaro mordant, cabotin juste ce qu’il faut, avec une agilité vocale impressionnante. Le ténor Levy Sekgapane devrait incarner un Almaviva élégant et solaire, tandis que Carlo Lepore (Bartolo) et Luca Pisaroni (Basilio) devraient eux imposer leur autorité comique avec une précision rythmique millimétrée. On notera aussi la présence d’Andres Cascante (Fiorello), d’Anaïs Constans (Berta le 10 juin) puis de Margarita Polonskaya (du 13 juin au 13 juillet), sans oublier Jianhong Zhao dans le bref rôle de l’officier.
Ce Barbier de Séville bouscule les codes sans les trahir. Michieletto injecte une bonne dose de folie visuelle à cette comédie musicale avant l’heure, Rossini reste jubilatoire, et les voix promettent d’être vraiment à la hauteur. Dépêchez-vous vite de réserver…