DAHO AVANT LA VAGUE CAPTURÉ PAR PIERRE RENÉ-WORMS
Intitulé « Daho avant la vague 78-81 », et publié aux éditions RVB Books, cette incroyable collection de documents et de photographies prises par Pierre René-Worms documente le (très) jeune Etienne Daho (junior) juste avant qu’il ne commence à percer pour devenir ce pape de la pop à la Française unanimement consacré par toute la presse, des Inrocks au Fig Mag en passant par Match, Télérama et bien d’autres dans la foulée de la blitzkrieg de « Blitz » son 12 éme album studio. Portrait de Pierre René-Worms, photographe d’exception précurseur, au flair légendaire, dont les clichés de Ian Curtis, Cesaria Evora ou Etienne Daho justement ont toujours su nous interpeller !
Petits crobards craquants, photos intimes et naives, premier test pressing, première cassette, clichés rares avec Elli, Denis ( Jacno), Frank Darcel, artefacts des premières Transmusicales, dans la foulée de son évanescent nouvel album « Blitz » Etienne Daho a ouvert son coffre à jouets vintage, exhumant pour nous et avec la complicité active de Sylvie Coma ( la bise sweet Sylvie ) et de Pierre René-Worms tous ces trésors pour tout adepte du Dahoïsme qui se respecte. Rencontre avec le photographe Pierre René-Worms…
« Dans quelles circonstances t’es-tu retrouvé à Rennes en 1980 ?
C’était pour un reportage pour le magazine Actuel à l’époque. J’avais fait, un an auparavant, un premier reportage sur un nouveau groupe de la scène rennaise qui s’appelait Marquis de Sade, pour l’université de Lettres de la ville de Dijon ; donc, un an après, Actuel m’a envoyé couvrir la seconde édition des Transmusicales qui devaient avoir lieu à Rennes en décembre 1980. Et je devais faire une photo réunissant tous les « enfants » de Marquis de Sade, tous ces jeunes groupes qui rêvaient de marcher dans les pas de MDS. Et l’idée était de faire une photo avec tous ces groupes et, parmi tous ces groupes, un garçon était tout seul dans son coin.
Ce n’était pas pour la fameuse couve d’Actuel où les MDS en « jeunes gens modernes » posaient avec leurs mamans ?
Non, c’était trois mois avant la fameuse photo de « une » sous-titrée « les jeunes gens modernes aiment leur maman » où il y avait MDS, Elli et Jacno, les Modern Guys et tout ça…là, c’était en novembre 1980, un mois avant les Trans pour annoncer le festival et présenter la nouvelle scène locale. Les Nus, l’Ombre Jaune (Daniel Chenevez), les UV Jets, les Sax Pustuls etc…et Etienne Daho Junior. Qui était le seul artiste qui n’était pas un groupe. Il avait fait une petite maquette, dans son coin, qu’il avait payé de sa poche, en finançant le studio et en demandant à des musiciens de Marquis de Sade, déjà, de l’accompagner à leurs moments perdus, gracieusement, pour enregistrer cette maquette qu’il m’avait fait découvrir juste après la séance photo.
Il t’avait expliqué à l’époque pourquoi « junior » ? Il y tenait beaucoup.
Oui, il y tenait, car c’était un peu sa marque de fabrique ce « junior »
Pourtant son père n’était pas prénommé Étienne ?
Son père ne s’appelait pas Étienne, je ne crois pas, justement, je suis sûr que non aussi, mais c’était déjà un des particularismes d’Étienne d’être différent des autres et atypique. Déjà, dans sa tenue. Il n’était pas du tout habillé comme les rockers rennais de l’époque. Le jour de cette photo, il avait plutôt l’air d’un petit cousin de Ricky Nelson ou de Buddy Holly, très rock américaine fin des années 50, début des 60’s, il était vraiment différent des autres. De plus, parmi tous ces « Enfants de Marquis de Sade », il était le seul à avoir enregistré sa maquette en Français alors que les autres optaient systématiquement pour l’Anglais.
L’Ombre Jaune pourtant chantait aussi en Français, non ?
Je crois qu’à l’époque ils chantaient en anglais. Les premières maquettes de Daniel Chenevez étaient plutôt tournées vers le côté anglo-saxon. Étienne était totalement atypique dans le look, comme dans la musique, des groupes rennais d’alors. Même si Niagara a fait une carrière pop-music par la suite, à l’époque c’était quand même plus rock et plus sombre. À part les Sax Pustuls qui étaient funky et déconnants, Étienne avait aussi une fibre musicale, très rockabilly années 50 au niveau du look, mais résolument pop dans ce nouveau rock français.
Je crois qu’il bossait alors chez Rennes Musique. Toi tu es rentré de Rennes et tu m’as tanné pour que j’écoute sa cassette, que je le reçoive dans mon émission « Planète Ivre » sur Radio Ivre 88.8, la pirate parisienne et que j’écrive un premier papier dans BEST, ce que j’ai fait aussi.
Rennes était à l’avant-garde du rock anglo-saxon post punk et new wave. C’était vraiment la ville où ça se passait. Même à Paris, on n’avait pas vraiment ça, même à l‘époque du Rose Bonbon, du Palace et des Bains-Douches, Rennes était plus en pointe que Paris et que bien évidemment Toulouse ou le Havre. Même Lyon, qui avait une solide scène rock, n’arrivait pas au niveau de Rennes qui est ainsi devenue la capitale du rock en France.
Dans un de mes premiers papiers pour BEST, dans la fameuse rubrique « Le rock d’ici », je faisais déjà le pari de Daho, est ce que toi au moment de ces débuts tu pensais que sa carrière irait aussi loin, aussi longtemps ?
Aussi longtemps, non parce que 40 ans après que Etienne Daho, ex junior, soit aujourd’hui Etienne Daho, le pape de la pop, le parrain…
Ah oui j’ai vu passer tous ces qualificatifs journalistiques laudatifs avec la sortie du nouvel album « Blitz », c’est carrément hallucinant !
J’avoue que je goûte cela avec un certain plaisir. C’est un juste retour des choses. C’est quelqu’un qui n’a jamais fait de concession et qui a toujours fait la musique qu’il avait envie de faire. Et comme il l’entendait, avec les personnes avec lesquelles il souhaitait travailler. Étienne a été un grand défricheur de nouveaux courants musicaux, qu’il a mis à sa sauce à chacun des albums solos qu’il a faits pendant 40 ans. Aucun disque d’Etienne Daho ex junior n’est musicalement de la même veine. À chaque fois il absorbe et il digère les courants musicaux novateurs de l’époque qu’il revisite à sa sauce. C’est assez extraordinaire, et plutôt encourageant pour la musique en France, qu’un artiste ait réussi à faire ça 4 décennies en se renouvelant tous les quatre cinq ans à chaque album, contrairement à Johnny Hallyday ou un Souchon qui ont toujours fait du Souchon ou du Hallyday, Etienne Daho à chaque fois crée une nouvelle musique.
C’est le côté « juke-box » d’Étienne !
Voilà, et c’est pour cela que sa photo fétiche, qui n’est pas dans ce livre, car ce ilvre retrace uniquement la période 78-81, c’est lui à quatre ans, à Oran au Cap Falcon, dans un bar, à côté d’un juke-box !
Tu aurais pu la faire celle-là ! pourquoi n’étais-tu pas avec ton appareil photo dans ce bar ?
Parce que j’avais deux ans à l’époque et que l’appareil photo que j’utilise n’était pas encore fabriqué. Étienne est de janvier 57, moi je suis de septembre 59, on a deux ans et demi d’écart, mais dans la tête, l’un comme l’autre, je pense qu’on est encore de grands adolescents.
Justement on va parler de « Daho avant la vague » qui est une incroyable collection de photographies
On a cherché avec Étienne des images qui n’avaient jamais été publiées auparavant, parce qu’un certain nombre de ces images ont, tout au long de ces 40 ans, eu leur propre vie, de manière autonome, aussi bien dans des magazines que dans des livrets de pochettes de disques. On est allé rechercher des images qu’on avait justement mises de côté pour cette grande occasion puisqu’on évoquait ce projet depuis une vingtaine d’années. Mais on ne s’est jamais pressé pour le faire, la carrière d’Etienne Daho aurait très bien pu s’arrêter il y a vingt ans et ce livre n’aurait jamais eu aucun intérêt, il se trouve qu’après toutes ces années, il reste toujours en pointe, qu’il y a ce nouvel album intitulé « Blitz » qui vient de sortir et, que pour lui, c’était le moment effectivement d’évoquer cette période « avant la vague », avant que justement cette vague ne l’engloutisse pendant ces 40 dernières années pour faire de lui un des chanteurs les plus novateurs au moins de la scène hexagonale.
Comment Sylvie Coma, qui publie un petit texte dans le livre, s’est-elle retrouvée dans la boucle ?`
Elle s’est retrouvée dans la boucle bien avant moi figure-toi, cher Gérard !
Non !
Si ! Car Sylvie Coma, contrairement à moi, qui était un vrai parisien, vivait à Rennes et, même si j’ai appris à l’occasion de la sortie de ce bouquin, que j’avais un arrière-grand-père qui avait été maire adjoint à Rennes et que son fils, mon grand-père, y était même né. Sylvie Coma a rencontré Etienne Daho bien avant moi, puisqu’ils sont de la même année et qu’ils étaient ensemble au lycée Chateaubriand à Rennes. Ils ont sympathisé. Et Étienne qui cherchait déjà à cette époque à intégrer le milieu de la musique, mais il était surtout fan et pas encore artiste. Avec Sylvie, il avait voulu organiser un concert de rock à Rennes d’un groupe français dont tout le monde parlait à l’époque, un groupe qui avait fait la une du Melody Maker qu’il vénérait, c’était les Stinky Toys. A deux, ils ont eu l’idée d’organiser eux-mêmes un concert des Stinky Toys à Rennes, parce qu’ils avaient proposé à Hervé Bordier ( « inventeur des Transmusicales avec Jean Louis Brossard : NDR) de le faire, mais qu’i n’était pas intéressé. Sylvie et Étienne ont donc eux-mêmes organisé leur concert à la salle de la Cité. Ils avaient tout prévu au niveau de l’organisation technique du show sauf qu’ils avaient juste ommis un petit détail : la billetterie. Ils avaient juste oublié de faire imprimer les billets d’entrée et 400 personnes attendaient à l’entrée de la Cité. Ils n’ont absolument pas su gérer et, finalement, tout le monde est rentré en force, sans payer. L’un et l’autre ont trainé des dettes pendant au moins une année, avant de pouvoir rembourser tout ce qu’ils devaient pour la location de la salle, le matos et le cachet du groupe. Sylvie a ensuite participé à l’enregistrement du premier album « Mythomane » en tant que pianiste. Et Étienne a même composé une chanson qui lui est dédiée, c’est « Signé Kiko ». Donc Sylvie était dans la boucle, avec Étienne, bien avant moi et c’était donc naturel que nous réalisions ensemble tout les trois ce projet . On était très proche durant l’enregistrement de ce premier Daho tout cet été 81. Étienne habitait chez Sylvie, moi j’y étais également très souvent aussi. C’était une suite logique qu’on travaille ensemble sur cet « Avant la vague » !
Comment s’est passée la sélection de ces images et de ces souvenirs, comme la carte d’étudiant d’Étienne ?
Chacun avait ses souvenirs. Étienne gardait depuis longtemps précieusement des choses pour ce projet qu’on avait imaginé il y a une vingtaine d’années. Chacun avait ses archives, on s’est mis autour d’une table et on a travaillé ensemble pour chacun imbriquer le mieux possible ces images dans le projet pour lui donner un côté « archives personnelles », une démarche assez inédite pour un artiste confirmé. On a bossé avec les planches contact et les diapositives des reportages de l’époque entre 78 et 81. Étienne en avait déjà repéré certaines depuis longtemps.
Est-ce que tu as redécouvert certaines choses ?
Oui, une photo de moi, faite par Etienne Daho à Lorient en Bretagne. Et, effectivement, en se penchant sur les planches on a ressorti des choses dont on n’avait pas perçu l’intérêt direct à l’époque. C’est la force de la photo où chaque image prend une valeur différente avec le temps. Un artiste apprécie aussi son image différemment selon la période de sa carrière. Tu laisses passer certaines choses jusqu’à 25 ou 30 ans, que tu n’apprécies plus entre 30 et 55 ans, mais qu’à 60 tu es content de ressortir ! Étienne est quand même quelqu’un qui aime se jouer et contrôler son image, c’est aussi ce qui fait sa patte. Musicalement, il aime bien être novateur, mais il l’est également au niveau visuel . Quand on travaille avec Étienne, on est totalement en confiance. Je l’ai aidé à cette époque à se construire un début d’image, avant la vague, avant qu’il ne soit vraiment signé en maison de disque . Moi, je bossais à cette époque-là pour Actuel, pour Rock & Folk, dans la scène rock, avec des artistes reconnus, et effectivement j’ai fait le pari de travailler professionnellement avec un artiste inconnu, car je pensais qu’il avait du potentiel, même s’il était en devenir. À l’époque, il y avait des centaines d’artistes qui voulaient éclore et faire carrière, moi j’ai fait ce pari-là de travailler avec Étienne. Ce livre est le fruit de cette collaboration quarante ans après. J’avais aussi parié à la même époque sur un groupe anglais que j’avais rencontré à Londres, qui n’avait pas encore sorti son premier album, dont personne n’avait jamais entendu parler et qui s’appelait U2. Ce qui m’intéressait c’était de découvrir les nouvelles tendances et les futurs talents.
Comme Joy Division ?
Joy Division avait déjà fait un album lorsque je les ai rencontrés à Paris, mais c’est vrai que j’étais le seul photographe français à avoir travaillé…
Oui parce que tu étais le seul intéressé !
J’étais le seul intéressé, car je voulais accompagner les groupes en devenir. Et pas travailler avec des groupes établis.
Est-ce qu’il y a une photo emblématique PRW, la plus…Worms 😉
Etienne Daho sortant de concert dans les loges des Transmusicales. Mais je pourrais bien dire Joy Division avec les photos de Ian Curtis.
Moi je pensais à çelle-là !
C’est ce qu’on dit généralement ! On m’associe souvent avec lui. Mais je peux également être associé à Youssou N’Dour. Ces photos ont 40 ans et pour certaines elles continuent encore d’exister, mais j’en crée d’autres chaque semaine, c’est un travail sur la longueur, je ne regarde pas trop sur le passé même si certaines images ont pris de la patine.
Pas de nostalgie ?
Aucune, pour moi, on a fait ces images tout juste hier ou avant-hier et on est toujours des post-ados qui entrent dans la vie active, on réagit toujours avec cette insouciance relative, on demeure toujours adolescents dans nos têtes. »
« Encore un qui n’a pas de souci à se faire : Etienne Daho gentil page des 80’s un peu timide (..) c’est super, peut-être plus proche de Polnareff que du Clash, mais peu importe. Les étiquettes sont faites pour être décollées » écrivais-je en 1981, dans ce tout premier papier qui était consacré à Etienne dans le BEST 151…allez ,on va dire que le flair légendaire de GBD et de PRW ne s’est pas trompé !
« Daho avant la vague 78-81 »
par Pierre René-Worms et Sylvie Coma
éditions RVB Books
Etienne DAHO « Blitz » nouvel album