BRUNO BLUM : « Culte »
« Culte » le nouvel album de Bruno Blum, alias Doc Reggae, est un voyage sonique initiatique, entre dub et rock, world et inclassable, constitué de titres francophones (sauf un en tigrinya érythréen) enregistrés à la Simbad le marin dans 7 pays autour du monde : Paris, Los Angeles, Kingston (Jamaïque), Asmara (Érythrée), Sana’a (Yémen), au Cameroun et au Congo avec les meilleurs musiciens locaux (locos ?). Pour Bruno Blum himself : « Ces compositions évoquent les traditions spirituelles noires distillées dans ce cocktail hypnotique, perché, sophistiqué, teinté d’érotisme, d’intelligence et d’humour ». Selon l’auteur, « « Culte » est un acte de résistance artistique, littéraire, d’expression libre et indépendante guidé par la sensibilité et le talent face à des médias institutionnels et à un music business en ruines. Soutenez Bruno Blum » souligne Bruno Blum….alors pourquoi ne pas le découvrir sur ce média résolument « non institutionnel »?
Pas évident d’évoquer le nouveau Bruno Blum. Ce touche à tout…touche vraiment à tout… BD, rééditions et notes de pochettes, dessins, bouquins…et bien entendu musique, à l’instar de ce nouvel album si justement intitulé « Culte ». Comme le « Cargo Culte » de Gainsbourg ?
BB a, bien entendu, la réponse, pour son pote GBD : « Juste au cas où, tu serais tenté de forcer la comparaison entre « Culte » et Gainsbourg, sache que bien sûr Serge m’a marqué (« J’aime les poupées vaudou » a même été enregistré le même jour que j’ai revisité « Marilou Reggae » en 2003), mais le côté parlé vient de Lou Reed, Pierre Vassiliu, LKJ, Prince Buster et compagnie. J’ai essayé de faire un album vraiment original, enregistré autour du monde, mais pas au Hilton comme Lavilliers. Il sort en même temps que mon bouquin de dessins de voyages intitulé « Carnets exceptionnels de mes voyages » (aux éditions Magellan). »
Quand on lui rappelle ses débuts de rock-critic pour BEST, BB assure qu’il est désormais passé à autre chose :
« Je ne suis pas un critique chantant, je suis un auteur-compositeur-interprète-producteur-chanteur-guitariste-arrangeur-dessinateur-réalisateur-artistique qui a écrit sur le rock quand il avait vingt ans c’est différent. Ça nuit à mon image. Je souhaite simplement être jugé sur pièces pour mon style, mon écriture, ma musique. Pour info j’ai déjà eu deux succès internationaux et même trois. Sans parler de mon travail sur Gainsbourg, Marley et autres. J’essaie d’avoir une démarche originale avec « Culte » car la qualité des compos, du style et de la prod sont mes atouts ».
Analyse modeste du plumitif assumé que je suis
Voilà, cher ami lecteur, dans cette luxueuse kronik en version king-size, tu bénéficies à la fois « du point de vue de Bruno Blum » et, dans la foulée, de l’analyse modeste du plumitif assumé que je suis, soit deux visions du même album pour le prix d’un…preuve que Gonzomusic ne recule décidément devant rien !
Et ça démarre très fort, en ego-trip saccadé, à mi-chemin entre moiteurs du bayou et…le Bo Diddley du « Hey Bo Didley », avec « Doc Reggae fait du Vaudou », qui évoque en 7 minutes et 36 secondes irrésistiblement une autre composition de BB, elle aussi furieusement ego-trippée « Bruno Blum le super guitariste » sur le CD précédent « Rock and Roll Deluxe » tout juste paru …en juin dernier ! Avec ce « Vaudou », on se croirait projeté dans « Live an Let Die », s’attendant à chaque instant à voir surgir l’affreux Dr Kananga…Suit le dub « J’aime les poupées vaudou » où, selon l’artiste, « le reggae se fait marabouter » sur beat syncopé électro-choqué. Et le trip marabout se poursuit à travers la planète, direction l’Afrique avec « Doc Reggae t’a marabouté le showbiz », en version rumba zaïroise inspirée de Tabu Ley Rochereau et pulsé de chœurs féminins. Back to dub, plus Serge que Serge avec « Le Français langue de l’amour », où bonus rime joyeusement avec…cunnilingus, et telle celle d’Ésope, elle se révèle à la fois la meilleure et la pire des choses. OSNI (Objet Sonique Non Identifié) « J’écoute les oiseaux » est un étrange et déroutant blues acoustique, en slow motion, mais il faudra patienter jusqu’à l’étonnant « Haftime Allokhu ( Bruno’s Travel Agency)» pour découvrir ce qui constitue sans doute le titre le plus exotique de ce projet globe-trotter ; il est vocalisé en Tigrinya (Érythrée) sur un beat entre reggae délicat et le « lala la la la » de « Merde in France » de Dutronc…what a trip !
Délicat et mélancolique, « J’ai survécu », également capturé à Asmara, vibre sur un joli saxe pour nous offrir la composition la plus émotionnelle de ce projet. Direction l’Afrique du Nord avec « Méditerranéennes » où notre Doc Reggae se transforme en Enrico Macias pour décliner son amour assumé de toutes les identités orientales. « La vie d’artiste » ressemble à un des remixs de Gainsbourg reggae, signés justement Doc Reggae, un peu comme le retour du fils d’« Aux armes etc… » BB sur un mode hypnotique, mais autobiographique énonce mélancoliquement toutes les difficultés de survivre à cette « vie d’artiste », qui ne connait que la crise, sans jamais succomber à l’ivresse du poids des ventes et du choc des charts. Guitare acoustique et percus pour la climatique « Nuage d’Éthiopie » il nous fait voyager de ses mots déclinés. Avec « Doc Reggae Maraboutage », Bruno Blum enrôle l’ivoirienne à la voix puissante Julie Brou pour l’épauler dans cet insouciant mix de pure high life africaine…et de Bo Diddley bien entendu ! Enfin ce « tour du monde de Bruno Blum en un peu moins de 60 mn » s’achève sur l’inquiétant « Abgek Apap » soit « Papa Legba »…à l’envers. Pourquoi faire simple quand on peut faire « Culte » ?
L’album « Culte » est en écoute et en vente au prix de 7€ sur le site Bandcamp, (« qui vend des millions d’albums en rupture avec l’hégémonie des plateformes habituelles, trop chères, au pourcentage trop élevé et en situation de quasi-monopole ») dixit Bruno Blum.