BOB MOULD LE DUR D’HUSKER DÜ
Voici 30 ans dans BEST, et tout juste un mois après avoir chroniqué son sidérant « Workbook », GBD rencontrait enfin à Paris Bob Mould, son héros du rock énervé de Minneapolis, en rupture de ban de son ex-vrombissante formation Husker Dü, pour ses premiers entretiens de navigateur solitaire et sonic. Flashback intense !
À la fin des 80’s, après six albums juste explosifs, Hüsker Dü, constitué du guitariste-chanteur Bob Mould, du batteur Grant Hart et du bassiste Greg Norton, se sépare comme si souvent dans la tourmente, pour causes conjuguées de toxicomanie de certains de ses membres, plombé par de nombreux problèmes personnels, moult désaccords sur les crédits de l’écriture des chansons, la direction musicale, sans oublier le tragique suicide du manager du groupe, David Savoy. Depuis mon arrivée à BEST en novembre 1980, j’avais toujours craqué sur Husker Dü et pas seulement à cause de leur origine minneapolitaine. Hallucinant power-trio, le Dü savait comme nul autre mêler ses racines traditionnelles de blues et de rock à une punkitude insurgée pour créer le plus explosif des cocktails, que j’avais souvent analysé et testé pour le fameux mag de la rue d’Antin ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/best-vs-rock-folk-ou-la-rue-dantin-vs-la-rue-chaptal.html ). Aussi, lorsque Bob Mould, après avoir désintégré son groupe, signe chez Virgin pour publier « Workbook » son tout premier LP solo ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/bob-mould-workbook.html ) , je ne pouvais forcément résister à l’envie de lui tendre mon micro pour cet entretien aussi exclusif que vintage où il se montre largement prophète en matière d’écologie dénonçant avant l’heure tout ce qui tue notre planète trente ans plus tard : le trou grandissant de notre couche d‘ozone, la cruauté des labos envers les animaux et le fait qu’on est toujours incapable de recycler correctement le plastique qui inonde notre Terre.
Publié dans le numéro 254 de BEST sous le titre :
ART-DÜ
À vendre : ferme et vaste propriété , dépendances et poulailler, large superficie de prairie en bordure de lac somptueux. Tranquillité assurée. Contacter le propriétaire. »
Le proprio était justement en virée parisienne. Et j‘avais moult raisons de vouloir rencontrer Bob Mould, l’ex-spadassin du power trio magnifique et défunt, Husker Dü. Retour en arrière : au début des années 80 parallèlement à la fusion de Prince, Minneapolis voit l’émergence d’un rock garage et sauvage. Sur les scènes ouvertes, explose un rock hérité tout droit de Dylan et des Byrds et plus speedé qu’un trente-trois balancé en quarante-cinq tours. Les Dü ne font pas de quartier, leurs accords déchirés incarnent la révolte des bouseux trop longtemps isolés entre les forêts du nord et les plaines monotones du Midwest, un passage sans transition du Cowboy au Macadam. À mi-chemin entre les fuzzers furieux de Love and Rocket et les novo-hippies du Rapid-Eye-Movement, les Dü auraient dû, s‘ils avaient survécu, se tailler quelques citadelles de succès. Mais, après dix ans de combats rock, Bob Mould-guitares et chant, Greg Norton-basse et Grant Hart-claviers, chant, batterie tombent en panne d’adrénaline et le groupe s’auto-détruit dans quelques rumeurs au lourd parfum de dope. Durant deux ans Bob Mould s’isole dans une ferme paumée au nord du Minnesota, histoire de se vider la tête. Seul face au bois qui crépite dans la cheminée, il compose les chansons de son premier album hors-Dü. Solitude du rocker solo « Workbook » est une authentique splendeur. Pigmentation cachet d’aspirine, regard bleu fuyant, manifestement Bob est encore sous le choc du décalage horaire, et à cette terrasse de café parisien il a l’air d’un parfait extra-terrestre.
« Le tout dernier show de Husker Dü, c’était en décembre 87 à Columbia, un bled du Missouri. C’était pathétique, nous n’avions plus la flamme, alors j’ai quitté le groupe deux mois plus tard. On ne parvenait plus à s’accorder sur les mêmes choses !
Si les Beatles ont péri par les femmes, on dit que le Dü a dépassé la dose du côté de la défonce ?
(rire)… yeah, mais ça n’était pas moi, je le jure Votre Honneur. Et ça n’a pas déterminé l’éclatement du groupe, le problème de Grant y a tout juste contribué. On se sentait tous mal, il était temps de jeter l’éponge. Créativement, nous étions dans un cul-de-sac. « Zen Arcade » était sans doute notre meilleur LP, après nous n‘avons fait que nous répéter ; on ne savait plus s‘éclater. »
Bobby pousse ses premiers cris dans l’état voisin de New York où il grandit, avant de débarquer à Minneapolis pour étudier la sociologie à la fac. Grant et Greg n’ont jamais quitté les Twin cities-Saint- Paul/Minneapolis. Les trois kids se rencontrent dans un bar ; ils n’ont pas dix-huit ans et le Dü vit alors son âge de pierre.
« Au début des 80’s, beaucoup de nouveaux groupes aux USA semblaient partager une même vision de la musique. Car, si musicalement nous n’avions pas grand-chose en commun avec Black Flag ou R.E.M., nous avions tous ce même désir de secouer les consciences. », dit-il.
Pour chasser le fantôme du Dü, Bob Mould achète une ferme et joue les Davy Crocket dans la campagne minneapolitaine :
« Cet endroit a totalement bouleversé mon approche de la musique. Elle doit refléter exactement ce que tu vis et ce disque a le son du vécu, I’histoire d’un mec coupé du monde durant deux ans. J’ai mis tout ce temps à tenter de comprendre qui j‘étais par opposition à ce que je pouvais être auparavant. J’écrivais des poésies, des nouvelles et, un mois plus tard, j‘expérimentais des musiques. Entre temps, je m’occupais des poules et du travail de la ferme. »
« Workbook » sera enregistré au studio de Prince, le mythique et techno-palace Paisley Park, qualifié de « First Class » par notre Mould. Et si le Kid était effectivement présent dans son palais lorsque Bob y enregistrait, il s’est montré « très discret ». Le rock de l’ex-Dü y éclate, oxygéné et intimiste, rageur et baladeur, et ses textes jouent au jeu de massacre sur l‘Amérique du Jokerman-Reagan.
« Ces dix dernières années sont particulièrement déprimantes, l’argent est devenu une arme meurtrière pour diviser les peuples. Ceux qui ont du pognon ont TOUT et ils ont tué le vieux rêve de survie d’une classe moyenne. C’est déprimant, les gens commencent tout juste à s‘éveiller à des trucs simples et essentiels comme la protection de notre couche d‘ozone, la cruauté en labo envers les animaux, le fait qu’on est toujours incapable de recycler le plastique. Je pensais que toutes ces choses étaient du domaine du bon sens. Huit années de Reagan ont enfumé le peuple et les véritables problèmes ressortent du placard comme de vulgaires cadavres. Les déchets d’hôpitaux balancés sur nos plages de la côte est ne sont qu’un triste exemple et il n’est pas isolé. Sur le sable de nos rivages, on marche désormais sur les seringues, l’Amérique d’aujourd’hui c’est la « Nuit des Vivants Morts ». »
Back to the city tout de même, Mould-Robinson Rock Crusoé largue sa ferme après avoir trouvé son Vendredi vinylique :
« J’espère que celui qui l’occupera l‘appréciera autant que moi. Mais je suis certain qu’il y aura bien d’autres fermes pour moi dans le futur. »
Publié dans le numéro 254 de BEST daté de septembre 1989