MY AMERICAN DREAM BY PAUL PERSONNE
Avec son nouvel album « Lost In Paris Blues Band », notre légende nationale, Paul Personne, a réalisé son vieux rêve de gamin : enregistrer les standards qui l’ont inspiré avec la plus belle brochette de musiciens yankees qu’il pouvait imaginer. En attendant la sélection blues des Rolling Stones, qui sort en décembre, les 13 compositions interprétées par Paul Personne, Robben Ford, John Jorgenson, Ron Thal et la complicité de Beverly Jo Scott n’ont pas fini de nous donner de merveilleux bleus au cœur en revisitant Howlin’ Wolf, Ray Charles, Bobby Womack, Muddy Waters, Elmore James mais aussi Janis Joplin, Tom Waits ou encore Bob Seger. Un cocktail blues aussi entêtant que cool.
To blues or not to blues ? That’s the question qu’on ne risque pas de poser à Paul Personne. Déjà, dans les années 80, Christina Lebrun titrait dans BEST « Personne c’est quelqu’un ». Dés le tout début, Paulo s’est effectivement distingué par son incroyable expertise guitaristique, alliée à une culture musicale vaste comme un océan, forcément bleu. Plus de trois décennies passées, comme le bon vieux bourbon, Paul Personne s’est doucement bonifié. Des heures, des nuits des années, à se casser les doigts sur le métal des cordes, n’ont fait qu’affuter son style. Avec Paulo, on se retrouve toujours littéralement cerné par les guitares, comme sur ce petit doc en forme de « blind test » d’instruments, que j’avais tourné sur lui, déjà, en 1996 ; il s’intitulait « Autres instantanés », en clin d’œil à l’album « Instantanés » qu’il venait de publier. Vingt ans plus tard, c’est dans le cadre vertigineux de chez Gibson, où les guitares les plus somptueuses emplissent tout l’espace, chacune étant comme une sorte de filigranes du et des musiciens qui les ont tenues, dans un cadre aussi cosy qu’élégant, que je retrouve Paul Personne pour évoquer cette nouvelle et manifestement inespérée aventure américaine en compagnie de ce « Lost In Paris Blues Band »…lequel, comme son nom l’indique…
Tous ces Américains en train de zoner à Paris
« Toujours parano de l’avion ? C’est pour cela que tu as fait venir tous ces grands musiciens yankees à toi au lieu de partir là-bas enregistrer avec eux ?
(rire) Eh bien, non, en fait ce n’est pas moi qui les ai fait venir. L’histoire est partie des concerts « Autour de la guitare » organisés par Jean Félix Lalanne. C’est lui qui a tout monté. Moi, je me suis retrouvé dans cette aventure, parce que j’y avais déjà participé voilà quatre ans durant deux jours à l’Olympia. J’avais trouvé cela très cool, l’éclectisme, l’humilité des musiciens. Jean Philippe est un mec charmant, un bon chef d’orchestre. Il m’avait reproposé de participer à l’aventure, mais en me précisant que ce coup-ci il voulait monter une tournée avec des Américains qu’il avait contactés : Larry Carlton, Robben Ford…et il commence à me balancer une liste de noms. Il me dit : mais j’aimerais vraiment que tu en fasses partie. J’ai immédiatement donné mon accord. Il m’avait appelé un an à l’avance tout de même. Je me suis donc retrouvé embrigadé dans cette tournée, je crois que c’était en octobre 2015. On a fait quelques petites répètes. Il devait y avoir 21 Zéniths, tout de même. ; une grosse machine, avec les tour-bus, tout le cirque. On a commencé, on a fait quelques dates. C’était très agréable. Tu rencontres les gars. Moi j’avais Larry Carlton qui venait jouer sur un de mes titres. Robben sur un autre. Il y avait Axel Bauer aussi. C’était très sympa de partager les titres ensemble. C’était l’esprit de Jean Félix Lalanne. Et c’était également un beau spectacle. À part, qu’au bout de quelques dates, on reçoit un mail qui dit : « Je suis désolé, les amis, mais je suis obligé d’annuler une dizaine de concerts parce que tous les jours je perds trop d’argent. Il y a des endroits où cela ne sera absolument pas rentable. » Il y était vraiment de sa poche et il voyait le gouffre financier que cela allait donner. Donc tout est parti de là, en fin de compte. Je me suis retrouvé au chômage technique à la maison et, un matin, j’ai dit à Gloria : « quand je pense à tous ces talents, tous ces Américains qui sont en train de zoner à Paris, à jouer les touristes pendant 15 jours à ne rien faire. » C’est de cette constatation que tout est parti.
Donc, tu t’es dit : je vais les occuper.
C’est encore Gloria qui m’a dit : « pourquoi ne les invites-tu pas pour faire une jam, histoire de rigoler ? Tu bookes un studio et vous vous amusez l’espace d’un après-midi. » Moi j’ai un petit sourire narquois : dans le genre: personne( à part Paul?:NDR) ne dira jamais oui. Puis Medhi, de chez Verycords, m’appelle et, à la fin de notre conversation, je lui lance : tiens, tu connais la joke du jour ? Et je lui raconte. Il rigole et raccroche. Mais, dix minutes plus tard, il me rappelle: « tu sais que j’ai repensé à ta connerie, mais c’est carrément génial ! Si tu veux le faire, moi je suis à 200% avec toi. Je mets tout en œuvre pour qu’on le réalise. On essaye de trouver un studio et tout. On en parle aux Ricains. Il rappelle dans l’après-midi pour me dire : j’ai eu JC à Ferber et on peut avoir trois jours de dispo les 5,6 et 7 novembre. Je sentais que cela devenait possible. Avec juste un paramètre à checker : obtenir l’accord des Américains. Simon, le boss de Verycords a eu alors l’idée d’organiser un diner spaghettis/vins de Bordeaux à la maison, plus conviviale, plus cool pour en parler autour d’une petite bouffe, plutôt que dans un hall d’hôtel. Robben Ford est venu, tout comme John Jorgenson. Larry Carlton n’était pas dispo, car il était parti faire un bizness sur une musique de film. Et Ron Thal bouffait avec Christopher Cross, mais il nous a rejoints à la fin du repas. Au bout d’un moment, je leur ai annoncé le truc. Et tout de suite ils ont fait : « great…super ». C’était plein de sincérité. Et on a commencé à mouliner sur l’idée de reprendre des standards du blues. Quand ils ont réalisé que nous avions trois jours pour bosser, ils étaient super excités. Medhi a vu tous les détails financiers avec eux, mais ils ont été hypra-cools. Sans aucun esprit mercantile. Il y a eu vraiment un truc humain qui s’est produit, un partage. Ils m’ont demandé ce que je voulais faire, si j’avais une liste de titres. J’avais effectivement une trentaine de titres en tête, mais ça partait dans tous les sens. Avec une dominante blues, mais aussi en me faisant plaisir en misant sur du Tom Waits ou du Dylan, par exemple.
En fait, tu nous fais ton David Bowie « Pin Ups » à toi ! Les chansons qui ont marqué ton adolescence et ta vie, que tu avais envie de faire.
C’était exactement ça. Dans ma liste il y avait Muddy Waters, Freddie King, Dylan, Tom Waits, Fleetwood Mac aussi. C’était tous azimuts.
Comme ce que tu fais avec tes propres chansons, tu n’es pas un intégriste du blues, au contraire.
Voilà. Je leur ai donné la liste. Moi je ne pensais pas me faire un album. Pour moi c’était un peu comme une bulle dans le temps, une sorte de récréation, un truc qui peut faire du bien dans la vie comme d’aller faire le con avec de super musiciens. Avec Medhi, on se disait que peut-être il y aurait cinq ou six titres à garder et qu’on verrait ce qu’on en ferait. On pensait sortir une sorte de maxi 45 tours. Mais on s’est retrouvés avec 15 titres en trois jours, à l’arrivée et cela faisait un album.
Dream team
Je suis bluffé, moi je croyais que vous l’aviez fait en au moins 15 jours.
Surtout, on ne l’a pas fait comme la plupart des gens, je prends John pour faire un titre, Ron pour un autre. Quand on s’est retrouvé au studio, ils m’ont dit : « alors, Paul qu’est-ce qu’on fait ? ». Je n’allais pas leur dire : « Ron, tu dégages, Robert, tu dégages parce que là moi je n‘ai envie de jouer qu’avec John (rires). Allez boire un café ! » Tous ces mecs, avec leur guitare sur les genoux, me regardaient . C’était comme une sorte de « dream team ». John m’avait dit : je peux te faire de l’orgue Hammond, du piano et même un peu de basse si tu veux, je ne suis pas obligé de jouer de la guitare sur tout. Je pouvais aussi compter sur Kevin Reveyrand, le bassiste et Francis Arnaud, le batteur qui nous accompagnaient sur la tournée. Et pour l’ingé-son, j’ai d’abord pensé à Steve Prestage, qui a bossé à Abbey Road, mais hélas il n’était pas libre. Je ne cherchais pas un producer, mais un complice, un ingénieur du son. Mehdi téléphone à JC, le taulier de Ferber et JC lui parle d’un jeune mec qui bosse avec lui qui a fait Louise Attaque et plein de gens, son nom est Guillaume Desjardins, un mec pointu qui sait travailler le vintage. Et surtout l’avantage, c’est qu’il connait le studio par cœur ; donc il sait où placer la batterie, pour assurer un enregistrement live, il sait où placer les mecs. Donc j’ai parlé à Guillaume, en fait, il m’avait déjà vu un jour à Ferber où je faisais une cession pour « Autour du blues ». Dès que je lui ai parlé de mon histoire, il m’a dit : « tu peux me faire confiance, moi de la prise vintage c’est mon truc ». Comme on voulait tout enregistrer live, que je devais chanter en même temps que les musiciens, on devait tenir compte de la « re-pisse » par mon micro, pouvoir choisir la bonne prise,
On ne pouvait pas compter sur des over-dubs. Et ça s’est fait comme ça. Guillaume, assisté de Mathieu a fait un super boulot. Moi je suis arrivé et c’était comme si on m’avait déroulé le tapis rouge. J’ai fait le son de ma gratte, j’avais Robben à droite, Ron par là. Francis, le batteur, Kevin à la basse, j’avais aussi John à gauche. On avait juste placé quelques paravents. Et les Ricains m’ont dit : alors, par quoi veux-tu commencer ? Et j’ai trouvé cela génial que nul n’essaye de me passer dessus ; ils respectaient vraiment le fait que c’est moi qui leur avais demandé de participer à un de mes projets. Ils n’ont jamais cherché à tirer la couverture à eux. C’étaient des monstres de musiciens, pourtant aucun n’a tenté de me dire : t’as vu p’tit gars comment je joue ?
Beverly Jo Scott
Pousse toi un peu, je vais te montrer ce qu’est un vrai guitariste. Chacun est resté à sa place. Après le premier soir, je me suis mis à rêver d’une chanteuse. Je savais que Beverly Jo Scott était à Bruxelles, je me disais que ce n’était pas loin. J’étais au restau, BJ m’a répondu vers minuit. Elle m’a dit que normalement elle était bookée, mais qu’elle allait essayer de déplacer ses rencards pour nous rejoindre. Elle ne voulait pas rater cette aventure. Une heure plus tard, elle rappelait pour me dire qu’elle serait demain à Ferber. Et l’après-midi, elle a déboulé. J’avais plusieurs trucs en tête, dont ce morceau de Bob Seger que Bette Midler chante dans « The Rose » ? « Fire Down Below ». Avec sa voix , je savais qu’on pouvait s’amuser là-dessus. Il y avait aussi « One Good man » de Janis qu’on avait déjà chanté sur scène ensemble. Et avec les musiciens se serait les doigts dans le nez. Une fois qu’on a fait ces deux titres, Beverly m’a dit : avant que je ne parte, tu n’aurais pas un truc cool à me donner ? Je reprends ma liste de morceaux. J’avais effectivement « Evil Gal Blues » d’Aretha Franklin. Mais là John nous dit : attendez, je vais vous faire écouter la version de Dana Washington.
Qui est l’originale…
Oui la première, très jazz-blues. Alors John se met au piano. BJ se place tout à côté de lui. Et c’était génial. On s’est tous mis autour et a enregistré dans la foulée. Moi, à aucun moment je n’ai eu envie de chanter sur ce morceau tant BJ était géniale. On a fait une prise et basta. Comme « Downtown », de Tom Waits, qui s’est imposé comme le morceau de présentation, où tout le monde mettait un peu son grain de sel vocal. Robben y est un peu allé en trainant la patte. Il ne savait pas s’il voulait chanter ou pas. Mais il s’est lâché et c’est ainsi que j’ai pu lui demander de faire ce duo avec moi sur « Trouble No More ».
Qui est super cool avec ce côté dialogue.
Tout s’est vraiment fait dans le feu de l’action. Il n’y a eu aucune préparation pour faire cet album. Les trois jours de studio ont filé comme l’éclair.
Trois jours seulement pour faire un truc qui sonne aussi bien. Franchement, en l’écoutant j’ignorais absolument que vous l’aviez fait en aussi peu de temps. Mais c’est ce qui fait la force de cette sélection de chansons, c’est ce qui leur donne ce naturel et cette fragilité si attachante.
Cela n’a pu fonctionner qu’à cause de ces mecs, qui jouent à la perfection. Tu n’as rien à leur expliquer. On a fait une répétition et une prise. Parfois, on a gardé la première, car elle nous semblait plus spontanée. D’autres fois, on a choisi la deuxième, car elle nous semblait plus finalisée. On a gardé nos petites erreurs, car cela rendait les choses vivantes.
Toute l’idée était de s’amuser
Un petit mot sur le choix éclectique des chansons. La plus récente étant celle de Tom Waits qui date de 1980. C’était touchant de retrouver Tom Waits sur « Heartbreack and Wine », l’homme que j’ai rencontré en 77 au Tropicana Motel et qui m’a donné envie d’écrire sur la musique. Même combat pour le « Night Moves » de Bob Seger, un album que j’ai usé jusqu’au fond du sillon. On sent bien que sur chacun de ces titres tu as cherché à te faire plaisir.
Oui, et surtout, sans faire un truc scolaire ni un exercice de style, dans un cadre blues exclusif. Toute l’idée était de s’amuser, de se lâcher avec des chansons qui partaient un peu dans tous les sens comme « I Don’t Need a Doctor », dans sa version Ray Charles. Je n’avais jamais osé reprendre du Ray Charles auparavant. J’aimais aussi la version d’Humble Pie, bien hard de Steve Marriott avec Peter Frampton. Mais je voulais un truc cool et funky pour cette chanson. Tout l’album est très laid-back, c’est peut-être le trait d’union entre ces chansons. Je ne voulais pas d’un album qui te plaque au mur dans une exhibition de bollocks ! On devait rester à la fois humbles et naturels. Et cela a été le cas tout le temps. Y’a rien d’énervé. « Watching the River Flow » est un morceau que je jouais avec le Bracos Band (en 1977: NDR), c’était marrant pour moi de le refaire après toutes ces années.
La seule galère c’est que tu vas avoir du mal à réunir tous ces musiciens pour une tournée.
Pour le moment, hélas, c’est impossible. Cela reste un truc virtuel, comme une bulle dans le temps. Il y a eu un truc magique. Pour le moment, je le prends comme un truc à part qui ne verra jamais le jour sur scène. Mais on peut toujours rêver de les réunir un jour pour faire un Olympia. »