MON BATACLAN VA ROUVRIR EN NOVEMBRE

Cure au Bataclan

La direction du Bataclan a annoncé que la salle mythique et martyre rouvrirait ses portes dés le mois de novembre prochain, soit un an après l’attentat terroriste qui a emporté tant de victimes innocentes et blessé à jamais dans leur tête et dans leur corps des centaines d’aficionados du rock. À moins de 500 mètres de mon bon vieux lycée Voltaire avenue de la République, quasiment en bas de ma rue, le Bataclan est avec l’Olympia le lieu de mes tout premiers émois rock depuis mes 15 ans. Si les événements du 13 novembre m’ont profondément bouleversé, je sais que je reviendrai dans cette salle, car s’en abstenir serait offrir une trop grande victoire à ceux qui n’ont que haine à opposer à ce que nous sommes, ce que nous aimons, ce que nous représentons. Toutes leurs images de mort ne pourront jamais se substituer à tant et tant de souvenirs soniques et magiques de MON Bataclan, du tournant des années 70… à demain. Flash-back et flash-forward !

BataclanMa toute première vision du Bataclan, c’était dans le téléviseur en 619 lignes de mes parents. Patrice Blanc-Francart présentait alors sur la deuxième chaîne son émission « Pop2 » et en ce début d’année 72, il avait reformé juste pour nous le mythique Velvet Underground réussissant le tour de force de réunir Lou Reed, John Cale et Nico sur la scène du Bataclan. Le lendemain, dans la cour du lycée, en discutant je réalise que ce fameux Bataclan est situé juste à un jet de pavé modèle 68 de notre cher lycée. Et par la magie d’Antenne 2, qui produit en partie le spectacle pour alimenter « Pop 2 », le billet de ces concerts rock n’était qu’à 5 francs ( moins d’un euro). Dès lors, je suis devenu un visiteur régulier de cette salle si exotique avec son architecture de pagode asiatique. Et à l’intérieur j’étais bluffé par ces fresques « belle époque » incroyables, découvertes pour « de vrai » à l’occasion du tout premier concert de Roxy Music en France. Au printemps 1972, le groupe anglais de Bryan Ferry pouvait encore compter sur le génie créatif de Brian Eno, avant qu’il ne quitte le navire. J’ai encore des paillettes au fond des yeux, riches de cette vision d’un rock outrageux qui se revendiquait ouvertement « décadent »dans le but avoué de choquer le bourgeois. Quelques mois se sont écoulés, c’était déjà l’automne et « Pop 2 » avait programmé Genesis. Le groupe anglais venait de publier son LP « Foxtrot » et, comme sur la pochette du 33 tours, Peter Gabriel chantait « Watcher of the Skies » le visage dissimulé derrière un masque de renard, revêtu d’une longue robe rouge, une image oh combien surréaliste. Je n’avais pas assisté au concert du MC 5, un mois plus tard et je ne l’ai pas regretté. Non pas que je n’appréciai pas le rock violemment insurgé de la formation de Detroit, mais parce que le show a très vite tourné en bagarre générale.

« Seventeen Seconds »

NY Dolls

 

Au début de l’été 1973, je me souviens de ce live absolument mémorable des New York Dolls. La popularité de ce groupe avait soudain explosé, en droite ligne de New York à Paris. Avec un premier album et un look fatalement androgyne, dans le sillage de la pochette de « The man Who Sold the World » de David Bowie allongé en robe sur un sofa, les Dolls s’étaient imposés en couverture des deux principaux mensuels rock d’alors, « BEST » et « Rock & Folk ». Et, bien entendu, également sur « Pop 2 », avec un passage obligé au Bataclan absolument vertigineux. Le guitariste jovial Sylvain Sylvain, de son vrai nom Sylvain Mizrahi, un juif égyptien passé par la France avant d’émigrer aux USA, David Johansen le chanteur aux faux airs de Mick Jagger sous ses cheveux longs, sans oublier le guitariste mythique Johnny Thunders, les Dolls généraient tant d’énergie. Devant la scène, les militants du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) étaient électrisés. Seul nuage dans ce ciel rock radieux, répondant à la provocation d’un geste obscène d’un spectateur, Johansen lui a balancé son micro qui l’a atteint entre les deux yeux. Foudroyé jusqu’au sol, deux gars de la sécu l’ont évacué, comme si de rien n’était, David a récupéré son micro et le joyeux spectacle a continué. Ce fut mon dernier concert « Pop 2 », et j’ignorais néanmoins que ma relation avec le Bataclan se poursuivrait longtemps. Car, en 79, je deviens rock-critic et j’assiste, dans la salle du boulevard Voltaire, au premier show hexagonal d’un groupe Anglais inconnu qui publie son premier album: « Seventeen Seconds »(après son mini LP « Three Imaginary Boys »). Il s’agit de the Cure, bien entendu. Et ce fut un véritable électrochoc. Les projecteurs blancs braqués sur le public, le groupe en clair obscur en quasi ombres chinoises et des guitares vrombissantes, c’était puissant comme si j’assistais à un concert du Pink Floyd de Syd Barrett. Robert Smith si charismatique émergeait de ce brouillard lumineux, scandant son emblématique et quasi hypnotique « A Forest ».

Kalhaoui le Tunisien

 

Jane B au BataclanAu fil des ans, tant de concerts d’anthologie se sont déroulés au Bataclan, à l’instar de celui de Supertramp en février 1975…devant une cinquantaine de spectateurs, car les Anglais n’étaient pas encore connus dans l’Hexagone. Deux ans plus tard, ils se produiraient à guichets fermés. Jane Birkin y fit ses émouvants premiers pas sur scène, à l’âge de 40 ans, en 87 pour nous subjuguer de sa grâce espiègle. Je me souviens de la voix de Khaled si puissante qu’elle faisait vibrer le parquet et de la fougue de Rachid Taha, notre Elvis Presley beur national. Je n’ai pas non plus oublié ce concert d’Oasis où cet écervelé de Liam Gallagher vocalisait dos au public. À force de fréquenter cette salle si familière, j’ai fini par en rencontrer le patron : Joël Laloux, un feuj tunisien implacable en affaires, mais au rire si chaleureux. C’est là que j’ai découvert que le Bataclan était né d’une tradition familiale. Le père de Joël était un sacré personnage. Elie Touitou avait opté pour le pseudonyme de Kalhaoui Tounsi ( Kalhaoui le Tunisien) ; c’était un chanteur dont les disques étaient énormément vendus en Tunisie et dans tous les autres pays arabes. Les chanteurs juifs tunisiens prenaient toujours un nom un peu ambivalent. Ainsi Raoul Journo, les Arabes pensaient qu’il était arabe, car ils le prononçaient Raouf Journo, c’est presque pareil, sauf que Raouf est un prénom arabe purement tunisien. Chanteur, mais aussi « directeur artistique » pour la maison de disques Dounia, il va signer les plus grandes voix judéo-arabes, comme Farid El Atrache, Blond Blond, Reinette l’Oranaise ou Lili Labassi. Tout jeune, il avait été initié au jazz par les GIs de Patton débarqués en Afrique du Nord. Plus tard, il accompagnera même Harry Bellafonte aux percussions et rencontrera Marlon Brando. Il tend aussi la main à ce jeune pied noir qui n’était que Gaston Ghrenassia et qui devint l’immense Enrico Macias. Au moment des indépendances de l’Afrique du Nord, l’homme d’affaires avisé en lui, a le flair de racheter le label Dounia. Dès lors, Elie fait preuve d’une frénésie éclairée pour les métiers de la musique, rachetant les studios d’enregistrement d’Eddie Barclay ( pour le revendre ensuite, avant qu’ils ne deviennent les fameux Salons Hoche) ou des salles de concert comme le Palais Bergère…et enfin le Bataclan, dont il fait l’acquisition en 1975, avant de passer la main à son fils Joël qui a programmé trente ans durant une noria d’artistes chanteurs, rockers ou humoristes dans cette salle historique. En 2004, Joël Laloux part en Israël faire son alyah et s’installe Ashdod; il laisse la gérance du Bataclan au cool producteur de spectacles Jules Frutos et à son associé Olivier Poubelle. Avant de définitivement passer la main, en revendant en septembre dernier la majorité de ses parts à Lagardère qui a au moins l’intelligence de conserver Frutos et Poubelle.

Génération Bataclan Projet Bougie Ouverte

 

Au Bataclan, le spectacle continue et chacun s’approprie à sa manière cette salle historique. Ainsi, Ariel, le copain d’enfance de mes filles jumelles, qui est le neveu de Joël Laloux, lui se souvient de son Bataclan comme du terrain de foot magique de son enfance, lorsqu’il y tapait le ballon avec ses cousins, le dimanche après-midi dans une salle vide. Et ce sont toutes ces images-là qu’il nous faut conserver du Bataclan. Aujourd’hui, sur la page Facebook du Bataclan (https://www.facebook.com/lebataclan/photos/a.185893594774399.45216.185892584774500/1139308552766227/?type=3 )

Jules Frutos annonce que la salle de concert rouvrira ses portes au rock avec un concert solo du Libertines Pete Doherty pour le 16 novembre. Le sénégalais de choc Youssou N’Dour investira le Bataclan deux jours plus tard, le 18. On sait également que Nada Surf est déjà programmé pour le 2 décembre. D’autres artistes, d’autres dates viendront sans doute étoffer cette programmation symbolique. On parle également d’une soirée donnée le 13 novembre, jour anniversaire des attentats qui ont endeuillé Paris. Frutos achève bien entendu son communiqué par : « Et en ce jour particulier, nous ne pouvons bien sûr manquer d’avoir une pensée pour toutes les victimes du 13 novembre et leurs familles ». Mais, pour parfaire ce travail de mémoire, une association s’est constituée : « Génération Bataclan » qui regroupe victimes, parents de victimes, amis et sympathisants pour réunir des fonds dans le but d’édifier un « monument mémoriel » en face de la salle de concert, en hommage aux disparus du 13 novembre. « Mur de la Mémoire », « Kiosque à Musique », « Chaises de la Mémoire » ou encore « Un Instrument Vivant », en tout 10 projets ont été présélectionnés par les membres de génération Bataclan, mais chacun peut voter et/ ou faire un don sur le site web de l’assoce (http://www.generationbataclan.fr/Vote/ ) pour aider à choisir cette « œuvre mémorielle ». Et, désormais, même si ce lieu est sanctuarisé de fait, à l’instar du « Ground Zero » où se dressait le World Trade Center à Manhattan, le Bataclan restera toujours ce lieu où la joie et la puissance émotionnelle de la musique doivent régner, même si cela ne nous rendra jamais amnésiques pour autant. Nous n’oublierons pas tous les amis et tous les inconnus qui y sont tombés au champ (au chant) d’honneur, car toute l’énergie positive des chansons à venir, comme la clameur de vos applaudissements sonnera leur victoire posthume pour la liberté, contre la haine et l’obscurantisme. Longue vie à vôtre Bataclan !

Association Génération Bataclan

http://www.generationbataclan.fr/

Une pensée particulière adressée à la mémoire de Guillaume Barreau-Decherf et de Lola Ouzounian assassinés le 13 novembre 2015.

Guillaume et Lola

 

 

 

 

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.