DAVID BOWIE : « Blackstar »
« Blackstar », le 25éme album-studio de David Bowie publié vendredi dernier compte sans doute parmi ses projets les plus ambitieux. Certes, on songe à la fameuse trilogie de Berlin « Low », « Heroes » et « Lodger », sauf que cette fois notre Thin White Duke va encore plus loin…exploration de cette « Etoile Noire » qui ne connaîtra pas assurément de guerre des étoiles.
C’est une odyssée spatiale, aux confins d’une galaxie neuve. Peut être le plus extrême des albums de l’œuvre de Bowie…mais réussie, contrairement à l’expérience avortée de Tin Machine. « Blackstar » partage le même ADN que « The Next Day »…mais puissance dix. Voici donc le fruit d’une pure expression artistique qui se soucie bien peu des passages radios ou de l’attente des fans. Bowie surprend, car il sait toujours être là où on l’attend le moins. Et, cette fois, le jazz expérimental se fond carrément dans l’art-rock. Conçu dans deux studios New Yorkais, The Magic Shop et Human Worldwide Studios, « Darkstar » est bien entendu produit par le fidèle Tony Visconti. Exploration de cet astre sombre.
I’m a Blackstar
« Blackstar », la chanson-titre ouvre cet album sur une voix aérienne. L’« homme qui venait d’ailleurs » est incontestablement de retour, sur une mélodie complainte répétitive plaquée sur un beat expérimental modèle krautrock neo-Kraftwerk. C’est une prière laïque sur une trame de synthés lyriques et impériaux. Un rythme ponctué de barrissements de saxes qui s’étire sur 9’58’’ peuplés de fantômes échappés dans l’espace… « Blackstar » est un étrange patchwork, car une voix s’élève soudain à 4’ 50’’ scandant : « I’m a Blackstar I’m not a gangster ». C’est du pur Bowie, comme un petit fils du Major Tom mais…zarbi oui, comme Bowie qui échapperait à l’attraction terrestre. À la fin du titre, une flute s’oppose à un saxo agonisant. En fait, « Blackstar » est un hybride de deux chansons accolées l’une à l’autre, soudées à jamais par ce groove du 3éme type.
Cold funk électrique
Suit « Tis A Pitty She Was A Whore », au titre inspiré d’une pièce de théâtre du 17éme siècle où le saxe et la batterie s’affrontent en combat singulier sur un beat spatial où les superbes vocalises de Bowie se fondent dans un jazz libérateur. C’est du quasi expérimental, à des années-lumière de la recherche tubesque, mais c’est tout simplement fascinant et débordant d’émotions comme une éruption volcanique. Montée en puissance jusqu’au paroxysme d’un saxe animal en folie lâché dans cette jungle créée de toutes pièces par l’ami Bowie. On avait déjà découvert « Lazarus » avec son intro ascendante de saxe plaqué sur une super mélodie rythmée par les déflagrations des guitares. Sombre et pourtant lumineux, c’est peut être cela le concept de « Blackstar » ? Avec un son complètement entêtant, à la fois aquatique et spatial, aussi puissant qu’une une tempête solaire. Le 4éme titre, « Sue (Or In A Season Of Crime), sorte de cold funk électrique et secoué, est peut-être le plus abrupt du CD. Il sonne comme une complainte aussi terrifiante qu’un esprit soudain échappé d’une Quatrième dimension. On retrouve toute la magie de Bowie avec « Girl Loves Me », où sa voix seule plane en avant bien au-dessus des instruments.On songe à « Hunky Dory », comme une vision en ombres chinoises d’un cauchemar symphonique peuplé de démons et autres figures des ténèbres. « Girl Loves Me » est ponctué de petites nappes de synthés comme autant de cordes pincées. Cette girl est elle vivante ou bien dead ? Bowie veut-il franchir le Styx pour la retrouver ? That’s the question !
La revanche du retour d’Aladdin Sane
Comme s’il avait conservé le meilleur pour la fin, comment ne pas se laisser éblouir par « Dollar Days », LA perle de cet album sombre et torturé. Pure beauté sur un saxe tendre et délicat où une guitare acoustique sublime à la perfection les vocalises du mythique Thin White Duke. C’est une parfaite mélodie qui donne franchement la chair de poule. Certes, quelques gammes de piano viennent compliquer le tout pour conserver le côté expérimental du CD, mais cette fois, il se lâche en pure poésie pop. C’est si beau qu’on en pleurerait, surtout en songeant aux fumiers qui voulaient enterrer notre Bowie au prétexte qu’il aurait souffert d’un cancer généralisé que la sortie du lumineux « The Next Day » a démenti de la manière la plus cinglante. Alors, on assiste à la revanche du retour d’Aladdin Sane sans doute… « I’m dying too » chante Bowie en écho sur sons saturés…mais l’amour est bien plus fort que la mort, n’est-ce pas ? Enfin, la superbe et déchirante « I Can’t Give Everything Away » ponctue cet album étonnant sur une batterie syncopée en apothéose de ce projet sombre et lancinant. C’est une imparable montée en puissance où le duo voix et saxe s’affrontent à la vie à mort pour une superbe composition grande finale, ambitieuse comme une symphonie Pink Floydienne percutant un mur du son futuriste. Sur ce CD expérimental aucune composition ne dure moins moins de 4’40’’. « Blackstar » ne se distinguera pas par ses tubes à la radio, mais il fait par contre tomber les étoiles des chroniques des rock-critics de toute la Planète qui saluent unanimement le génie de Bowie.