LEMESLE (EN) CHANTEUR
À 80 ans, dont 60 passés à écrire pour les plus grandes voix de la chanson française, Claude Lemesle s’apprête à fêter son anniversaire au Café de la Danse, entouré de ses amis et interprètes. De Joe Dassin à Nana Mouskouri, de Michel Sardou à Serge Reggiani, retour avec lui sur un parcours jalonné de refrains d’une « chanson française » qui appartient désormais à notre mémoire collective. Entretien avec un Lemesle en chanteur par un JCM forcément enchanté…
Par Jean-Christophe MARY
Auteur de 4000 chansons dont près de 1 540 chansons enregistrées, président d’honneur de la SACEM, compagnon d’écriture de Pierre Delanoë et collaborateur privilégié de Joe Dassin, Claude Lemesle a signé des titres devenus incontournables : « L’été indien », « Et si tu n’existais pas », « Dans les yeux d’Émilie », « Big Bisou », « Je chante avec toi liberté », « Une fille aux yeux clairs » … Le 12 octobre prochain, il soufflera ses 80 bougies sur scène, guitare à la main, en reprenant quelques-uns de ses classiques. Un moment rare, à l’image de ce « douteur professionnel » qui continue d’écrire chaque jour, avec la même passion. Rencontre.
» Vous fêtez vos 80 ans sur scène, le 12 octobre au Café de la Danse. À quoi va ressembler ce tour de chant si particulier ?
C’est un tour de chant en deux épisodes qui va débuter à 14h30 pour s’achever à 19h. Lors du premier tour de chant de 14h30 à 16h, je serai seul en scène avec mon guitariste Philippe Hervouët. Lors du second je serai rejoint sur scène par des interprètes amis tels que Michel Fugain, Gilbert Montagné, Rose et Anne Sila,ainsi que quelques autres. Avec près 4000 chansons écrites, je n’ai eu que l’embarras du choix pour constituer les deux programmes (sourire).
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Parmi les 4000 chansons que vous avez écrites, comment avez-vous choisi celles que vous allez interpréter vous-même ce soir-là ?
Pour ces deux tours chants, nous allons piocher dans une cinquantaine de chansons d’humour et de couleurs différentes. Je ne vais pas tout révéler mais à travers ce spectacle, j’aimerais montrer l’étendue, la diversité de ma palette, entre chansons d’amour et d’humour, chansons loufoques, et d’autres plus graves. Je n’aime pas le terme de chansons engagées que je trouve prétentieux- mais disons des chansons sur des sujets sérieux et d’actualité comme la « Bête immonde » et la « Coline de la soif ». Brel disait à ce propos : « les messages je les laisse au facteur ». C’est ce que moi j’appelle pousser des « Cris », des cris de colère, des cris de révolte…J’aime bien la position de Boris Vian, quand il écrit de cet ordre-là. Hormis « Le déserteur », excellente chanson écrite au premier degré en langage parlé, Vian utilisait souvent le prisme de l’humour dans des chansons comme « La java des bombes atomiques », « Les joyeux bouchers ». J’aime voir les thèmes abordés sous cette forme-là. C’est au créateur de trouver un angle original à des chansons qui peuvent avoir des motivations plus sérieuses. Je crois avoir une grande diversité dans mon expression en matière de paroles de chanson. Je vais présenter tout ça à travers des chansons que j’ai écrites pour Joe Dassin, cela va de soi, mais aussi pour Michel Sardou, Gérard Lenorman, Michel Fugain, Gilbert Montagné, Nana Mouskouri, Alice Dona, Hervé Vilard et des artistes moins connus. J’ai écrit pour plus de 270 interprètes alors …si on voulait faire un panorama complet, on y passerait la semaine (rires !). Mais il y en aura pour tous les goûts.
Joe Dassin a été une rencontre déterminante. Comment décririez-vous votre complicité et ce qui a donné naissance à des classiques comme « Salut les amoureux », L’été indien », « Dans les yeux d’Emilie » ou « Et si tu n’existais pas ? »
C’était une très belle amitié entre Joe et moi. C’est complétement cliché de citer la phrase de Montaigne « Parce que c’était lui, parce que c’était moi… » mais il y avait entre nous une complicité très forte et très naturelle. On était le confident l’un de l’autre. Et Dieu sait si Joe était pudique et ne se confiait pas facilement. Notre relation allait bien au-delà de la collaboration, c’est une complicité une amitié très forte. C’était à la fois professionnel avec beaucoup d’attention à ce que l’on écrivait ensemble et à la fois très personnel dans les sentiments d’amitiés qui nous unissaient. C’était certainement une amitié plus Souchon/Voulzy que Lennon/McCartney (rires !).
Vous avez également écrit pour Carlos, Michel Sardou, Serge Reggiani, Nana Mouskouri, Julio Iglesias, Alice Dona, Isabelle Aubret, Johnny Hallyday…
Johnny, ça a été une période assez courte. La rencontre s’est faite grâce à Pierre Billon qui m’avait mis en contact avec lui. Nous avons travaillé ensemble à Nashville sur l’album où figure « Montpellier » que je chanterai le 12 octobre puis sur l’album « Entre Violence et Violon ».
Quelle chanson reste pour vous la plus emblématique de votre parcours ?
Ce n’est pas moi de le dire, c’est au public. Évidemment, il y a des chansons chères à mon cœur, pour des raisons personnelles comme » Salut les Amoureux » qui se rattache à mon histoire sentimentale. D’ailleurs Joe Dassin le répétait souvent : « Tout le monde croit que je chante mes chagrins d’amour, alors que je chante les chagrins d’amour de Claude Lemesle ». C’était aussi sa chanson préférée parmi toutes celles qu’il chantait.
En 2025, « Dans les yeux d’Émilie » enflamme encore les stades. Comment expliquez-vous la longévité de cette chanson ?
Beaucoup de monde pense que l’histoire a démarré avec le rugby alors que c’est sur les terrains de basket que cette histoire a démarré. Dans le sud-ouest avant un match, les joueurs de basket s’échauffaient au son des bandas ces fanfares spécifiques, qui ont commencé à jouer le refrain de « Dans les yeux d’Émilie ». Cette chanson a dû plaire au public du rugby qui s’en est emparé. Ça a débordé sur la coupe du monde de rugby, puis plus récemment lors des derniers jeux olympiques. Et aujourd’hui le phénomène va bien au-delà. Dans beaucoup de fêtes, en particulier chez les jeunes, la chanson est jouée plusieurs fois dans la même soirée. On m’a envoyé un jour une vidéo prise dans un grande fête à Armentières, et n’allez pas m’expliquer qu’Armantières c’est dans le Sud-Ouest (rires). Le public reprenait en chœur cette chanson. Elle a été numéro 1 dans les discothèques via le groupe Collectif Métissé. Il n’y a pas vraiment d’explications rationnelle car Emilie n’a jamais existé. C’est une histoire d’amour triste totalement inventée par Pierre Delanoë et moi qui avions choisi le prénom car il sonnait bien sur la musique.
Vous avez été le complice de Pierre Delanoë, figure tutélaire des paroliers français. Que retenez-vous de ce compagnonnage d’écriture ?
Nous avons beaucoup écrit ensemble pour Joe Dassin, pensant qu’écrire à deux se serait plus facile pour lui imposer des choses, ce qui était d’ailleurs un leurre total. Joe était très perfectionniste, alors Pierre et moi on s’encourageait l’un autre. On l’avait d’ailleurs surnommé « mec attachiant ». Mais qu’est-ce qu’il a eu raison d’être perfectionniste car aujourd’hui c’est complètement dingue de voir la pérennité du succès avec une immense diversité dans les thèmes, dans les couleurs musicales. Nous avons aussi écrit ensemble pour Nana Mouskouri, Nicolae Croisille, Nicoletta, Alice Dona et Richard Anthony, entre autres. De notre travail avec Pierre Delanoë, je retiens un grand bonheur de co-écrire ensemble, de chercher ensemble, ce qui est parfois douloureux et de trouver ensemble, ce qui est assez formidable. Ce sont de très, très beaux souvenirs. D’ailleurs, je vais chanter une chanson pleine d’humour que j’adore « Un lord anglais » co-écrite Pierre et moi pour le texte et co-composée par Joe Dassin et William Sheller pour la musique. À interpréter, cette chanson est un vrai bonheur.
Vous animez des « ateliers de chanson » bénévolement. Pourquoi est-il si important pour vous de transmettre ?
J’ai commencé il y a 37 ans avec Alice Dona. Il n’y a pas de structure officielle, je les anime de façon entièrement bénévole. Aujourd’hui, j’ai décidé de ralentir, je vais réduire les séances d’écritures à deux par mois. C’est important de connaitre les limites de ses forces quand on arrive à mon âge.
Votre livre « « L’art d’écrire une chanson est devenu une référence. Quels conseils donneriez-vous à un jeune auteur qui se lance aujourd’hui ?
Je lui conseillerai de lire mon livre (rires !). Ce livre sorti en 2008 est devenu une référence, c’est ce que l’on me dit. C’est un livre technique, ce qui à priori n‘est pas très sexy, mais il a un certain succès. C’est vraiment étonnant. D’ailleurs une nouvelle édition a été publiée en 2024.
Vous travaillez actuellement sur plusieurs projets, dont une comédie musicale avec Patrice Leconte. Comment continue-t-on à se réinventer après 60 ans de carrière ?
Alors il s’agit d’un conte musical « La jeune Fille Invisible » qui pourrait effectivement être une comédie musicale. Mais soyons honnête, nous n’avons toujours pas trouvé de producteur à ce jour. C’est devenu très difficile de monter une production sur un sujet original. C’est beaucoup plus facile quand on aborde un sujet connu.
Enfin, si vous deviez définir ce qu’est une chanson aujourd’hui, que répondriez-vous ?
Définir une chanson c’est un bien grand mot. Comme le disait Dassin une « chanson c’est une petite chose qui a une grande importance ». Il ne faut pas se prendre la tête parce que l’on est auteur de chanson. C’est effectivement une petite chose. Mais dans la vie des gens, c’est important. Une chanson part de la rue pour revenir dans la rue. Et dans le meilleur des cas et ça je l’ai dit un jour à Michel Fugain qui le répétait sur scène dans ses spectacles : « Un grand poème, c’est l’âme d’un homme, une grande chanson c’est l’âme d’un peuple ». Les peuples se retrouvent derrière les chansons qu’ils reprennent ensemble. Quand ils manifestent dans la rue, quand ils font la fête à la fin d’un anniversaire, les gens chantent. Et puis la chanson, c’est elle qui m’a permis de vivre. Donc je la remercie. Parce que ce n’était quand même pas gagné d’avance de vivre toute ma vie avec des chansons. Il y a eu un miracle. J’ai été très gâté et j’en ai bien conscience. C’est assez incroyable tout ça. Mais la plus belle récompense, c’est cette photo reçue de mon ami Patrick Simonin journaliste à Tv5monde, la photo d’un texte d’une de mes chansons qu’il a vu exposé sur le mur d’un petit village d’Ardèche. Une personne avait recopié à la main les six derniers vers de « Il faut vivre » que j’avais écrit pour Reggiani. Cette personne avait écrit ça comme ça pour donner un peu de courage aux habitants de la commune. Et ça c’est mieux que tout. Comme disait Joe Dassin : « on fait des chansons pour aider les gens à vivre ». Et là, c’est vraiment le cas. Ce qui compte c’est de faire les choses avec sincérité, avec authenticité, avec le cœur pour donner aux gens quelque chose qui les aide un peu à vivre. Avoir tenté de le faire et parfois réussi est ma seule fierté. »