LE TOKYO MOTEL DES TOKOW BOYS
Voici 42 ans dans BEST, GBD misait et gagnait sur l’orientalisme rock avec ce groupe parisien qui s’inspirait largement de la culture urbaine Nippone, qui commençait tout juste à émerger avec les prémices du Yellow Magic Orchestra et les premiers films de Hayao Miyazaki, les Tokow Boys. Et ces « garçons de Tokyo », soit la chanteuse Rachel Ortas et le reste du groupe s’exprimaient pour la toute première fois dans la mythique rubrique « Le rock d’Ici » pilotée par l’ami Philippe Lacoche, illustrés d’un lumineux cliché signé Claude Gassian. Flashback…
Quelque part, c’était comme un écho aux Taxi Girl et à leur esthétisme Jap, qui allait bien au de-là du symbolisme de leur unique LP « Sepuku ». Il suffit de lire les entretiens de Mirwais ou de Daniel Darc pour se convaincre de leur passion orientale. Mais avec les Tokow Boys, les origines nippones d’Eric Tabuchi, le synthés-bassiste rendaient forcément légitime ces références lorsque le groupe émerge fin 79 porté par la voix haute de Rachel Ortas et avec le saxo Daniel Brunetti, un guitariste du nom de Franz Weisgerber et le batteur Luigi Morello. Hélas après un seul album « Cobra ! Cobra ! Cobra ! », que j’avais d’ailleurs déjà chroniqué dans BEST ( Voir sur Gonzomusic TOKOW BOYS « Cobra! Cobra! » ), les Tokow Boys explosent en vol et il faudra attendre 1987 pour voir le duo Rachel Ortas/ Eric Tabuchi ré-émerger sous leur nouveau patronyme de Luna Parker et de décrocher enfin un hit mérité avec l’excellent « Tes états d’âme Eric » ( Voir sur Gonzomusic LE LUNA PARK DES LUNA PARKER ). Cependant il faut se souvenir que sans les Tokow Boys il n’y aurait jamais eu de Luna Parker… bref, ce Flashback se révèle forcément indispensable. Bienvenue au Tokyo Motel imaginaire des Tokow Boys !
Publié dans le numéro 170 de BEST sous le titre :
TOKOW BOYS : OÙ SONT LES KIDS ?
Yellow Magic, Lizard, Susan, Sheena and the Rockets, Vicious Pink Phenomena à Londres et les Tokow Boys à Paris : les Japonais ne se cantonnent plus à l’hôtel Nikko et à la Tour Eiffel. Ils investissent les scènes et les platines, se répandent avec la virulence d’une bactérie grippale. Les Tokows sont de véritables Japonais. Les Tokows exècrent le saké et le nori. Faux japs, vrais japs, peu importe. Le nom, c’est pour l’évasion. Le concept pour l’exotisme. Un jardin japonais aurait sa place dans la jungle du rock hexagonal : l’idée a germé dans la tête d’Eric Tabuchi (père jap, maman danoise) de monter un groupe en utilisant ses origines paternelles. Yasse-Kasu débarque en France dans les années 50. Il peint des tableaux abstraits king size.. Vingt ans plus tard, son rejeton s’enferme dans la cave, avec des boites électroniques, pour faire de la musique. Tabuchi, à la petite école, on le prenait pour un Italien : Tabucci ! Et c’est vrai qu’il n’a pas l’air trop jap : grand, brun, le visage angulair. Tokyo, c’ets loin dans sa tête et sur la Planète. D’ailleurs, la seule fois où il y a mis les pieds, ilétait bien trop jeune pour en avoir une idée précise
Rachel vivait à quelques pas d’Eric : sud. Massy-pas-les-os. Ils se rencontrent dans un train de la ligne de Sceaux, un été 79. Petite, menue, Rachel fait tilt dans le regard d’Eric. Elle rentre de New-York, auréolée par l’ima-ge new look de l’Eldorado : soho rock et CBGB’s, les ombres de Patti Smith, Richard Hell et du Président Peanuts. Rachel a déjà sa toute petite voix qu’el-le place sur les compositions aux syn-thés d’Eric. Franz, le guitariste, rejoint bientôt cet embryon de groupe. Ils auditionnent Louis qui bosse comme assistant direc-teur artistique chez Polygram. Daniel, le dernier arrivé, a déjà gravé son sax sur les albums de Suicide Roméo et des Stinky Toys. Il possède son propre studio de maquettes. Les Tokow y feront leurs essais, six morceaux matéria-lisés sur une cassette qui se retrouve sur un bureau chez Clouseau. Début 80, Virgin France s’installe dans les locaux Clouseau et signe les Tokows, son premier groupe français. Le produit devait être hot, le groupe se retrouve à Londres pour enregistrer un single, « Elle Hotesse », produit par David « Flying Lizards » Cunningham. « A l’époque du premier 45 tours, nos copains nous taxaient de disco dub ». Daniel trace la genèse des T.B., tandis que Lola, son adorable progéniture d’un an, joue au docteur en gazouil-ant, quatre Tokows moins une = interview. Rachel est en Corse pour ses vacances. On tentera plus tard une liaison téléphonique. Franz n’a pas besoin de ses lunettes de tankiste pour renverser sa bière sur le jean de son petit camarade. Daniel Krone-baptisé continue son histoire.
« L’accueil fût à la démesure de nos illusions, pour le premier single. A notre décharge, Virgin avait un probléme de distribution et switchait à l’époque de Polydor vers Arabella. On a fait une série de gigs Gibus, Opéra Night. Suite à l’insuccès du disque, Alexis nous propose le tube avec lui : « Je suis le docteur qu’il vous faut », claironne-t-il. Le 45 tours géant, « Petite Rockette », aura son embryon de succès. Après une tournée de première partie avec Orchestral où l’on jouait sur nos 4 mètres carrés syndicaux de gazon ignifugé. On attaque l’album à Ferber pendant plus d’un mois. Virgin nous a fichu une paix royale, l’album sort en mars 82 ». Dès lors, les Tokows s’enfoncent dans le marécage de la promo. Leur unique télé est annulée « pour cause de grève d’une certaine catégorie du personnel de la S.F.P. ».
« Qu’est-ce qui bloque les Tokows ?
Eric : C’est con à dire, mais je crois que c’est encore plus difficile pour nous, parce qu’on nous a collé une image de parisianisme.
Franz : On est maudit, sans foutu papier on n’a pas eu de passage radio, on est comme en Sibérie. Si les mecs ne parlent pas de nous, c’est qu’ils ne font pas leur boulot d’informer. Je suis sûr que, si nous étions un groupe d’Orléans, on aurait déjà eu les honneurs de la télé.
Daniel : Je crois que la confusion est due à une image fausse.
Que faut-il faire pour vous en sortir ?
D : Il faut venir voir ce qui se passe sur scène. En province, par exemple, l’ac-cueil est dix fois plus direct.
F : Il faut désenvoûter les Tokow Boys !
Vous êtes victimes de la désertion du rock?
E : Je crois que nous sommes surtout victimes d’une sorte de « blasation » des teen-agers. J’ai un frère de 17 ans. Ses copains et lui se fichent de la musique. C’est le tout dernier de leurs soucis la moto est dix fois plus importante.
Le rock a-t-il perdu son aspect révolutionnaire ?
E : Rien ne passionne plus les foules que France-Allemagne. Le rock en souf-fre autant que le théâtre ou le cinéma. Le jeu est truqué. li y a dix disques qui marchent sur l’année et les services marketing savent déjà lesquels. Alors, je comprends tout à fait ceux qui se branchent sur le « punk not dead » parce que c’est le mouvement le plus créatif en ce moment. On devrait avoir un public de kids, alors que le nôtre a le même âge que nous. Cette époque voit le retour des dinosaures. On chausse du 42, il faudrait tailler du 70 000 pour pouvoir les virer ».
Les absents ayant toujours tort, la conversation glisse sur Rachel et ses vocalises ascensionnelles. On explique que, sans elle, il n’y aurait pas de Tokow Boys, le groupe est un et indivisible. Mais Louis, Eric et Franz sont obligés de pratiquer des petits boulots pour survivre. Daniel est le mieux loti de la bande puisqu’il possède un petit restau branché, le Bleu Nuit, derrière la place de la République. Et Rachel ? Elle ne s’est pas manifestée pendant l’interview. Deux jours plus tard, elle téléphone à la maison. Sa voix dans le combiné est distante et fluette, on dirait Titi. J’attaque direct les doléances :
« Alors rachel, tu vas continuer à nous vriller les oreilles ?
Rachel : Ben non, justement. Maintenant, j’ai envie de chanter plus bas. Je ne veux pas être prisonnière du même registre, alors je m’entraîne tous les jours à chanter bas. Je cassais certaines oreilles, mais c’était prémédité. C’était peut-être un peu inaudible, mais j’étais prête à tout pour faire bouger les choses.
Tu veux dire que tu as même poussé le vice jusqu’à te forcer ?
R : Ah ouais, pour moi, c’était drôle de chanter comme cela, parce que personne d’autre ne le faisait. Mais, tu sais, en travaillant, on arrive à beaucoup de choses, y compris à chanter haut comme les autres.
C’est une évolution dictée par les chiffres de vente ?
R: Non, ça n’est pas une démarche commerciale, juste l’envie de changer.
Vous êtes des intello-rock ?
R: On n’a pas envie de dire les choses noir sur blanc. Il faut que les gens fassent l’effort de comprendre un peu tout seuls. Mais on n’est pas des intel-los. Moi, j’ai quitté l’école à quinze ans pour fuguer aux U.S.A. Tu n’as pas besoin des bancs de l’école pour apprendre la vie ».
Rachel n’est pas butée. Elle voudrait que les autres se mettent aussi au chant. C’est vrai que les Tokows manquent sacrément de choeurs. Notre Lolita refuse d’être une branchée, car elle ne veut pas ressembler aux filles qui boivent et brûlent leurs nuits dans les clubs. Des fois, ses origines corses se réveillent. Elle rêve de poser des bombes pour faire sauter tous les chieurs. Si un jour je reçois un colis un peu louche, vous saurez qui a placé l‘explosif. Tokow Boys, ce sont les garçons-vachers de Tokyo, mais les sens différents s’emboîtent comme des poupées russes : Tokko, en japonais, signifie aussi candidat au kamikaze, les garçons qui se dévouent au suicide. Allez voir les Tokows sur une scène à la rentrée, qui sait si pendant leur tournée l’un d’entre eux ne commettra pas le suicide rituel. Amateurs d’hémoglobine, réjouissez-vous, le rock and roll sait parfois être sanglant, slurp !
Publié dans le numéro 170 de BEST daté de septembre 1982
la première photo en haut, il s’agit plutôt des Modern Guy (ze Best!)
Mais oui… next time je mets mes lunettes…. merci BCP…. remplacé !