GENTLE GIANT LE GEANT ENDORMI Épisode 3
Gentle Giant, né des cendres de Simon Dupree and The Big Sound, formé par les trois frères Shulman en 1966, est un de ces groupes-météore fabuleux qu’affectionne tant OldClaude… sur lequel il a décidé de braquer son projecteur rock, histoire de réveiller un peu ce « géant endormi »… depuis 1980. Retour vers le futur de la formation de Londres qui nous a légué une collection de 11 LP capturés en dix années d’exercice impeccable de ce rock que l’on qualifiait de « planant » au siècle dernier…. Épisode 3 : Le Géant rentre dans le rang.
Par OLDCLAUDE
Après avoir enregistré 9 singles entre 1966 et 1969 (dont un sous le nom de The Moles, en 1968), et 1 album, en 1967 (tous chez Parlophone), ils se séparent. Leur musique, agréable mélange de soul, de rhythm n’blues et de pop psychédélique n’avait pas beaucoup d’atouts pour se distinguer de centaines d’autres groupes qui évoluaient dans les mêmes eaux. Les trois frères et le batteur Martin Smith forment donc Gentle Giant en février 1970. Ils sont rejoints par le fraîchement diplômé en composition de l’Academy of Music, Kerry Minnear (claviers, chant), puis par Gary Green, guitariste formé dans des groupes de blues, et signent chez Vertigo. Les frères Shulman sont, musicalement, des autodidactes, que ce soit sur le saxophone, pour Phil, la guitare, pour Derek, la trompette, le violon, la basse et la guitare, pour Ray. La rencontre avec Kerry Minnear va orienter d’une façon décisive l’approche musicale de Ray Shulman. Non content d’être, sans doute, le plus doué, instrumentalement, des 3 frères, son admiration pour Kerry et ses connaissances théoriques, vont le conduire à s’essayer également à la composition, « à la manière de Kerry », ce qui explique qu’à partir de In A Glass House, la quasi-totalité des compositions du groupe sont signées Shulman – Shulman – Minnear, le premier cité, Derek, s’occupant des textes, depuis le départ de Phil, les deux autres ayant la haute main sur la musique, sans qu’il soit possible de déterminer, de Kerry ou de Ray, qui a écrit quoi.
« Je possède 59 albums de Gentle Giant. Pas de panique, il y a des doublons, des remixes (Steven Wilson a souvent fait du beau travail), des compilations, des lives, beaucoup de lives (avec un son souvent pourri, mais pas toujours). Donc vous n’êtes pas obligés. Mais, relisez bien le titre de cette partie. Les quatre albums dont il sera question sont des musts absolus, des trucs qui font partie des discothèques genre « Les 100 meilleurs albums de rock de tous les temps ». Vous êtes prévenus. On y va. » OldClaude
Épisode 3 : Le Géant rentre dans le rang
« Interview » produit par le groupe, et enregistré par Gary Martin à Advision, comme d’habitude, paraît en avril 1976 et commence à porter les stigmates de l’absence de reconnaissance du groupe au Royaume-Uni. Le concept qui porte l’album, en fin de compte, pas plus faible que celui de Three Friends, transporte tout de même un peu de l’aigreur qui gagnait nos amis, et la qualité des chansons s’en ressent quelque peu. Cela dit, j’adore In’terview, et vous ne me ferez pas dire que c’est un mauvais album. La tournée qui a suivi a montré des musiciens en pleine possession de leurs moyens, réalisant l’un des plus grands albums live de tous les temps, mais n’allons pas trop vite…
« Interview » ouvre le disque. Un rock de grande qualité, mais on remarque que la musique s’est « simplifiée ». Dans un cas comme celui-ci, je ne dirais certainement pas que c’est dommage, car la mélodie, l’énergie, sont bien présentes. On y entend la voix de John, et ce morceau sera souvent joué sur scène.
« Give It Back » m’arrache une légère grimace, avec son reggae à la sauce européenne ; Derek n’y est pas à son aise, mais Kerry est toujours aussi inventif.
Avec « Design » on revient au Gentle Giant que nous aimons, au GG médiéval, qui va si bien à la voix de Kerry. Puis Derek intervient sur un fond de percussions.
« Another Show » maintient l’excitation, alors qu’“Empty City” nous met en présence d’un type de chansons peu exploré jusqu’ici par le groupe, plus tournée vers la création d’une atmosphère. Brillante réussite.
« Timing » s’approche de la powerpop, sans pourtant renier sa généalogie, ce qui en fait une pièce intéressante. Je n’en dirais pas autant du titre qui ferme l’album, « I Lost My Head », long de 7 minutes, et dans lequel, en fin de compte, il ne se passe pas grand-chose.
On en arrive donc à ce disque, sorti en janvier 1977, que je nommais, quelques paragraphes plus haut « l’un des plus grands albums live de tous les temps », « Playing The Fool – The Official Live »
Enregistré à l’automne 1976 lors de 4 concerts à Düsseldorf, Paris, Bruxelles et Munich, il donne une image du groupe au meilleur de sa forme, et permet de constater que les inévitables modifications apportées aux chansons pour leur adaptation à la scène ne nuisent aucunement à celles-ci, bien au contraire ; « Excerpts From Octopus » le démontre à l’envi.
« Just The Same » est parfaitement réussi, avec beaucoup d’énergie. Le quintet à son meilleur niveau ! « Proclamation », couplé avec « Valedictory » est sans doute un peu simplifié par rapport à la version studio, mais n’en ressort pas amoindri.
« On Reflection » dont on pouvait craindre l’adaptation pour la scène est assez profondément bouleversé, débutant par les flûtes à bec, le violon et le violoncelle, et se poursuivant avec le fameux a cappella conduit par Derek. Et, franchement, je n’arrive toujours pas à savoir quelle version a ma préférence. Puis suit le morceau le plus long et peut-être le plus impressionnant du disque, les « Excerpts From Octopus », un medley rassemblant six chansons d’Octopus, débutant par une courte version de « The Boys In The Band » ; arrive ensuite le fameux duo de guitares entre Gary et Ray, de « Raconteur, Troubadour » suivi d’un court passage d’» Acquiring The Taste » avant le phénoménal « Knots » et une transition vers « The Advent Of Panurge » et le non moins fameux « quartet de flûtes à bec ».
Puis vient « Funny Ways », tiré du 1er album, chanté, ici, par Derek (et battu par John, ça fait une différence !). On remarquera le solo de vibraphone de Kerry.
Arrive « The Runaway » dont Derek ne nous cache pas qu’il est tiré de In A Glass House, grâce aux bandes enregistrées. Encore une démonstration d’énergie rock, qui se fond adroitement dans « Experience », laquelle ne perd pas grand-chose par rapport à la version studio.
« So Sincere » subit également une adaptation assez réussie à la scène ; les voix sont, comme d’habitude, impeccables, et le duo guitare-clavinet est l’une des grandes choses de ce disque, avant le final de batterie et percussions, avec solo de xylophone au milieu.
« Free Hand », au contraire, ne subit que peu d’altérations, consécutives à son adaptation scénique. Gary y brille particulièrement. « Sweet Georgia Brown » s’explique par une panne des claviers de Kerry. Et boum ! Ray démarre avec son violon ; ça n’a sans doute jamais été répété, et tout est parfaitement en place, et surtout, le public réagit tout de suite, manifestant son plaisir grâce à un standard vieux d’un demi-siècle. Et ce disque indispensable finit avec un medley “Peel The Paint/I Lost My Head” (Three Friends/ In’terview)
Et puis on aborde « The Missing Piece », paru en août 1977, toujours enregistré par Gary Martin, mais pas dans leur studio habituel. Beaucoup de gens disent qu’il s’agit du premier album dans lequel Gentle Giant essaie de ne pas être Gentle Giant, et c’est un peu vrai, mais The Missing Piece est loin d’être un album raté, comme les critiques se plaisent à le dire. C’est même un sacré bon album de rock n’roll, qui commence par « Two Weeks In Spain ». Effectivement, les splendeurs mélodiques et harmoniques dont le groupe nous a abreuvées sont réduites à leur plus simple expression, mais, est-ce pour autant une mauvaise chanson ? Non. Sur « I’m Turning Around », ils se mettent dans les pas de Genesis en pondant une power ballad qui aurait tout pour être un hit (mais qui n’en sera jamais un). Puis vient « Betcha Thought We Couldn’t Do It » sur laquelle, je suis d’accord, il est nécessaire de jeter un voile pudique, suivi par « Who Do You Think You Are », pas indigne mais assez peu intéressante. « Mountain Time » est, à ma connaissance, la seule chanson de Gentle Giant sur laquelle on entend des chœurs féminins. Je précise qu’il ne s’agit aucunement d’une remarque sexiste et ne ferai aucun autre commentaire. « As Old As You’re Young » ressemble plus à du Gentle Giant, avec son Moog et la voix de Kerry, mais où sont passés les instruments acoustiques ? Vers la fin, Derek intervient avant l’orgue d’église de Kerry. Au-dessus de la moyenne. Et puis, arrive la chanson qui justifie, à elle seule, l’achat du disque, « Memories Of Old Days », et, pendant près de 7 mn 20, on est avec le Glorieux Gentle Giant (mais sans John Weathers, tiens ?)
https://cahierscritiquesmusicales.com/blog/memories-of-old-days-gentle-giant/
« Winning ». Est-ce qu’ils ont écrit ça parce qu’ils étaient dans un studio paumé des Pays-Bas, au lieu d’enregistrer dans leur cher Advision ?
Et, tout de même, ça finit bien, avec « For Nobody » ! Certes, sans la complexité du Gentle Giant d’il y a quelques années (comme si ce groupe, si européen, s’était américanisé, écoutez les voix avec le phasing), mais j’aurais aimé que tout l’album fût comme cela.
L’avant-dernier album de Gentle Giant paraît en septembre 1978 et se nomme « Giant For A Day ». Pour vous dire où on en est, il n’y a eu aucune tournée pour accompagner sa sortie. Il s’agit d’un album de Gentle Giant d’où Gentle Giant est absent, ce qui ne veut pas dire qu’il ne renferme pas quelques bonnes chansons. Un élément nouveau : il ne faudra pas moins de trois studios pour l’enregistrer.
« Words From The Wise » n’est pas fondamentalement mauvais, une sorte de power-pop comme en faisaient des groupes américains FM. J’aime beaucoup « Thank You » parce que j’aime le folk-rock, mais à ce moment du disque on peut commencer à se poser LA question : « Où est passé Kerry Minnear ? » « Giant For A Day ! », je ne sais pas quoi écrire.
« Spooky Boogie » est un instrumental dans lequel Kerry pointe (enfin) son nez. « Take Me » est écrit conjointement par Derek et John, et ne présente aucun intérêt. Quant à « Little Brown Bag », c’est peut-être le pire morceau du disque, celui dans lequel ce groupe, autrefois si ambitieux, passe à l’ennemi avec armes et bagages.
« Friends ». Le miracle !
https://cahierscritiquesmusicales.com/blog/friends-gentle-giant/
Écrit et chanté par John Weathers, c’est une superbe chanson folk, magnifiquement accompagnée par Gary.
« No Stranger » est pas mal du tout dans le genre pastiche de 10cc. « It’s Only Goodbye » est une sorte de power ballad dans laquelle Gary réinvente le très fameux thème du Layla de Clapton. Et, enfin, on aurait pu se passer de « Rock Climber », que Derek ne chante pas très bien. Dommage.
Et enfin, vint en mars 1980, l’ultime album, Civilian. L’accueil critique et public fut si mauvais que certains magasins refusèrent de l’avoir en stock. Produit par le groupe, il fut pourtant enregistré aux maintenant légendaires Sound City Studios, en Californie, avec Geoff Emerick aux manettes. Ça donne pas Abbey Road à tous les coups ! J’avoue que c’est l’album de Gentle Giant que j’aie le moins écouté. Je n’ai donc pas grand-chose à dire de « Convenience », ni de « All Through The Night ». En revanche, je m’arrête quelques instants sur « Shadows On The Street », qui remet en lumière le talent de Kerry aux claviers, et sa voix unique. « Number One » retombe dans le formatage. « Underground » a un parfum new wave un peu frelaté. « I Am A Camera” est un peu plus intéressant, et je donne à « Inside Out » la palme de « meilleur titre de l’album » pour sa capacité à créer une vraie ambiance avec ses harmonies vocales. Très chouette, vraiment ! Mais ça se termine avec « It’s Not Imagination », malheureusement. [Mon exemplaire cd se termine avec « Heroes No More », une chanson d’une bien meilleure tenue, mais qui semble ne pas figurer sur l’édition originale de Civilian]
Conclusion
Arrivé au bout de ce survol, lequel ne concerne que les 12 albums « officiels » de Gentle Giant, j’aurais juste envie de dire que ce groupe extraordinaire, merveilleux, était en avance sur son temps, ou plus justement, et pour filer une métaphore œnologique, qu’il avait besoin de vieillir calmement et de développer des saveurs et des parfums qui ne se révèlent qu’aujourd’hui. Car comment ne pas constater qu’au XXIème siècle, les amateurs de Gentle Giant sont peut-être encore plus nombreux qu’au XXème ? Y compris, et surtout, parmi les innombrables musiciens qui leur rendent hommage. Comment ne pas s’étonner que les reprises de leur répertoire par des chorales, des orchestres classiques se multiplient chaque année ? Comment oublier les multiples analyses musicologiques qui s’extasient sur leurs compositions, nourries de formes de musique ancienne qu’aucun autre groupe n’a utilisées d’une aussi magistrale façon ? Gentle Giant a forgé mon goût musical, à égalité avec 3 ou 4 autres artistes ou groupes d’une magnitude autrement plus brillante, et que la hiérarchie officielle place à des kilomètres au-dessus d’eux. Mais on viendra me dire qu’il faut être musicien pour apprécier un groupe d’une telle complexité ; j’ai déjà répondu à cette observation dans mon blog, moi qui suis très peu musicien, en faisant un sort à cette apparente complexité. Richesse n’est pas synonyme de complexité, et la richesse de Gentle Giant est et restera inépuisable.
Voir sur Gonzomusic GENTLE GIANT LE GEANT ENDORMI Épisode 1 GENTLE GIANT LE GÉANT ENDORMI : Épisode 1
Voir sur Gonzomusic GENTLE GIANT LE GEANT ENDORMI Épisode 2GENTLE GIANT LE GÉANT ENDORMI Épisode 2