DOMINIQUE DUFOREST: LA VOIX EST LIBRE Épisode 1
À l’instar des chats, c’est à croire que le félin Dominique Duforest possède au moins neuf vies. Celui que la plupart d’entre vous connaissent sous son pseudo version deus ex machina de « La Voix » dans une téléréalité… pas si secrète que ça, aura au gré des diverses casquettes portées, plongé toute son existence dans la musique. Ce que les anciens appelaient « le métier ». Fils d’une mythique productrice de la RTF, il est tour à tour patron de discothèque, assistant impresario de Michel Berger et de France Gall, DJ star puis directeur d’antenne sur NRJ, avant de trouver… sa Voix. Désormais, justement la Voix est libre, ce qui lui laisse tout le gré de podcaster ses vibrantes histoires du rock. Épisode 1…De Jean Nohain à Barbra Streisand… en passant par Johnny, David Bowie, George Harrison et la Reine d’Angleterre… non, là je rigole 😝
Pour dire la vérité, toute la vérité… je le jure votre Honneur, Dominique Duforest et moi on se connait depuis pas mal de lustres… lorsque les lustres justement avaient encore du lustre… justement, lorsque sky was toujours the limit, lorsque les labels vendaient des albums par containers et pouvaient donc miser au sens propre sur leurs artistes et nous donner un accès privilégié pour les rencontrer. Mais nous nous éloignons du sujet, le fameux Dodo aux neuf vies. Pour avoir fait de la radio au siècle dernier, j‘ai appris à apprécier le ton aussi rassurant que caverneux de sa voix veloutée FM comme si on était à LA. Mais pas de chiqué ou quoi que ce soit, c’est la vraie voix de la Voix et pas du cinéma. Même dans la vraie vie. Et c’est justement cette voix-là qui nous retrace une épopée – pop… vous l’avez ? – sur sept décennies vouées à l‘univers de la musique, de son enfance dans les couloirs de la RTF aux plateaux télé de la plaine Saint-Denis, en passant par tant de studios radios multipliant rencontres et interviews à une époque bénie – que j’ai bien connue- où les rock stars ne parlaient qu’à un nombre de médias qui se comptaient sur les doigts d’une seule main. ATTENTION SPOILER… les évènements évoqués se déroulent incontestablement au 20ème siècle. Épisode 1…De Jean Nohain à Barbra Streisand… en passant par Johnny, David Bowie, et George Harrison.
« Où est né Dodo ?
Paris 14e, je suis un pur parisien ?
Alors, tu as eu une enfance quand même un peu privilégiée.
Alors oui, enfin… j’ai eu une enfance un peu un peu bizarre. Parce que ma mère travaillait à la télé… mais à la télé des années 50, avec Jean Nohain. Moi j’ai d’ailleurs fait ma première émission de télé lorsque j’avais 9 ans. Je suis né en 51 donc, c’était en 1960. Et c’était pour fêter les 60 ans d’un homme qui s’appelait Jean Nohain, qui a été un des précurseurs de la télé. S’il était né en 1900, donc en 1960, il avait 60 ans. Et il avait imaginé représenter des gens dans l’actualité de 1960. Qui étaient nés comme lui en 1900. Et c’est ainsi que j’ai fait ma première télé à 9 ans. En incarnant Antoine Pinay, qui était alors le ministre des Finances ? Cette même année, j’ai aussi offert des fleurs à
Jayne Mansfield pour les cameras de la télé: ma mère avait organisé pour la ville de Biarritz une manifestation qu’ils auraient voulu rivale au festival de Cannes, nous sommes en 59, l’hélicoptère s’est posé devant la piscine du Palais, quelques minutes plus tard elle va plonger dans la piscine et « comme par hasard » y perdre son soutif… En dehors de ça, je dois avouer que ma mère était plus une femme de télé qu’une mère. Et avec tout l’amour que j’ai pour elle, j’ai plutôt été élevé par des femmes, comme ma grand-mère et ma tante.
Ta maman Jacqueline Duforest était à la fois une fameuse productrice et programmatrice à la télévision française ?
Oui, elle faisait effectivement productrice programmatrice. Et attention, à la télé de cette époque-là et jusqu’aux années quatre-vingt, être producteur, ça ne veut pas dire, s’en mettre plein les poches comme c’est le cas aujourd’hui. Être producteur, c’est monter l’émission. Ma mère a d’abord travaillé à la RTF, puis à l’ORTF, mais elle était payée à la semaine. Au cachet.
Oui ,à l’émission puisqu’il y avait une émission par semaine.
Effectivement. Donc j’ai beaucoup grandi sur les plateaux de télé. C’est à dire qu’à 15 ans, je trainais tout le temps sur les plateaux. Je connaissais un peu tous les artistes de l’époque.
Tu as grandi dans un milieu super artistique, Johnny Hallyday te prenais sur ses genoux, Dutronc te faisait des blagues…
Je me souviens du premier autographe de Johnny que ma mère m’a rapporté. « A mon ami Dominique, amicalement » (En imitant la voix de Johnny : NDR)
Amicalement, il ne se faisait pas chier !
Ma mère avait organisé la fête d’anniversaire de ses 18 ans. Elle lui avait fait confectionner un gâteau d’anniversaire en forme de guitare. Et un jour dans les coulisses de Taratata, voici quelques années, je suis avec Johnny et on est là tous les deux dans un coin à discuter. Et je lui dis : est- ce que tu te souviens que ma mère avait fêté tes 18 ans en t’offrant un gâteau en forme de guitare ? Et il me répond le plus sérieusement du monde : je m’en souviens très bien car depuis j’ai un gâteau en forme de guitare tous les ans.
Merci Jacqueline ! (Rires)
Il avait fait sa deuxième émission de télé avec ma mère. Elle avait une petite émission qui passait à 19 : 45, avant le journal télévisé qui s’appelait « Télé Musique » et qui a duré deux ans dans laquelle elle faisait venir plein d’artistes nouveaux. Et un jour elle programme Johnny dont c’était la deuxième émission de télé. Il y a eu la célèbre émission avec Line Renaud et Aimée Mortimer « L’école des vedettes ». Ma mère ne connaissait pas grand-chose au rock and roll, ma mère c’était plus Jean Claude Pascal, Philippe Clay et Sinatra quand même. Donc pour le filmer, elle l’avait mis dans un garage avec des vieux pneus. C’était l’époque où Johnny portait encore son espèce de chemise en dentelle et sa guitare extraplate Ohio. C’était une sous marque qui ressemblait à une Fender sauf qu’elle coutait beaucoup moins cher.
Et à part Johnny il y avait qui dans tes souvenirs d’enfance ?
Des gens oubliés aujourd’hui, Luis Mariano, Georges Guétary, les Compagnons de la Chanson, Petula Clark… `
… aahhh elle c’est vraiment un amour ( Voir sur Gonzomusic ) …
Oui, je confirme. Voilà, je peux t’en citer plein comme ça, donc un peu tous les artistes de l’époque. Après lorsque j’ai commencé à avoir 15 ou 16 ans c’était Claude François, c’était Joe Dassin…
Tu avais des favoris parmi les Français ?
Non. Le seul qui n’ait vraiment interpellé, c’est Johnny, qui m’a, entre guillemets initié au rock. En fait, il y a deux français qui m’ont initié musicalement : Johnny pour le rock et Hughes Auffray qui m’a initié à Bob Dylan.
Y a pire…
… y a pire. Et en 63 ou 64, on habitait Biarritz et ma mère faisait des aller-retours de Paris. À l’époque, il n’y avait pas de TGV et cette fois elle devait rester plus longtemps à Paris, donc elle m’a confié à des copains et chez eux j’entends le premier album des Beatles…
… ah c’était justement ma prochaine question !
Et là c’est une déflagration dans ma vie, car ma vie change du tout au tout. J’exagère à peine, mais c’est une révélation !
Et du coup tu n’as pas demandé à ta mère de programmer plus de rock et moins de variétte ?
Non, je m’en foutais un peu. Moi j’avais ma vie. En revanche, je me souviens que je passais presque tout l’été chez une grande tante en Charente-Maritime, que j’adorais ; d’ailleurs je considère que je lui dois beaucoup. Elle m’a en grande partie élevée, en tout cas dans le dans le sens vers le haut. Et elle avait un vieux poste de radio, avec une espèce d’antenne en cuivre sur le dessus et c’est là que j’ai entendu pour la première fois « Satisfaction » des Rolling Stones.
Donc tu as vraiment tété aux deux mamelles… Beatles ET Stones !
J’étais peut-être plus Beatles que Stones, mais j’ai toujours trouvé cette opposition un peu débile. Et puis j’aimais les Kinks , j’aimais les Who, tout de suite je suis tombé dedans.. En plus, tous les disques arrivaient à la maison, je n’avais pas à les acheter parce qu’on recevait tout en service de presse.
Que sont devenus tous les collector’s de Jacqueline ?
Elle a tout vendu… au poids !
Mais non !
Pourtant je lui avais dit : tel disque et tel autre sont des pièces de collection. En vain ! Ma mère était toujours à courir après trois sous, un mec est venu qui lui a dit : je vous prends tout pour telle somme… et il a tout embarqué. Il y avait des pièces inestimables….
Oui des test pressing, des tirages limités…
… j’ai sauvé quelques trucs, mais très peu hélas.
Là tu as quinze ans et bientôt tu vas en avoir 17 et devenir DJ ?
… heu… on n’en est pas encore là ! Je vais faire plein de choses avant d’être dans le « métier » comme on dit.
Moi qui croyais naïvement que tu avais sauté direct dans le grand train du showbiz !
Pas du tout, car ma mère a tout fait pour m’en dissuader, pour que je ne rentre pas dans le « métier »
Je ne peux pas la blâmer 🤪… j’ai fait pareil avec mes enfants !
Donc j’ai exercé plein de métiers. J’ai été agent de voyage. Certes un peu people, puisqu’on servait Charles Aznavour, le producteur de « Rabbi Jacob » Bertrand Javal, c’était déjà un peu showbiz. Ensuite, j’ai été agent de fret aérien, puis j’ai monté un restaurant en Belgique avec un copain. Avant de glisser doucement vers le métier. J’ai été l’assistant d’un attaché de presse indépendant qui s’appelle Grégoire Collard. Et là c’était cool parce qu’on travaillait avec Gall et Berger, Christophe ce qu’il veut que je parle de son bouquin sur Berger ? Son seul défaut à Grégoire, c’est qu’il se considérait aussi star que les stars qu’il défendait.
Il n’est pas le seul, non ?
Ensuite, je suis devenu le directeur artistique des éditions United Artists France. On avait des bureaux Ave Victor Hugo, on était 6 pour 200 m2 de bureaux. Le gros truc du moment c’était la BO de « Rocky 1 » ( « Eye Of the Tiger » par Survivor : NDR). Je me souviens avoir placé deux chansons à Claude François pour son dernier album où il y a « Alexandrie Alexandra ». J’ai placé une chanson de Crystal Gayle « Don’t It Make My Brown Eyes Blue » … à Mireille Mathieu… qui s’est appelée « Dans tes yeux sombres un peu de bleu ». J’ai tout de même fait ça pendant deux ans, puis par une suite de hasards j’ai commencé à bosser dans les boites.
Je me disais bien…
Mais là, tout ce que je te raconte dure douze ans, ce n’est pas rien !
Tu as commencé super jeune.
Effectivement, puisque j’ai commencé à bosser à 18 ans. Par une suite de hasards que je t’épargne, je suis devenu directeur d’une des boites de Lucien Barrière à la Baule, avec Lucien lui-même aux commandes à l’époque. Et sa femme Martha, une ancienne acrobate hongroise à mourir de rire. Et ça marche très bien, par conséquent il me dit : est-ce que vous voulez faire Cannes ? Bien entendu, je fais Cannes et donc pendant 3 ans, je suis directeur de boite de nuit. J’étais très pote avec mon DJ et les fins de nuit vers 3h00 ou 4h du matin, on passait au rock. C’était Bob Seger Live. Steve Miller Band. Fleetwood Mac. Peter Frampton. Stevie Wonder.
On est en 1979.
Exact. Au bout de trois ans, c’était à cannes au mois de mai, je m’en souviens très bien, je dis à mon barman : qu’est-ce que je bois dans une nuit ? Il me dit : ah dans une nuit, tu te fais ta bouteille !
Mais non…
… mais si. Et tu ne te t’en rends pas compte, mais tu t’imbibes. Bref, je dis : j’arrête. Mais je n’ai pas de boulot. J’ai un peu de pognon parce que je ne gagnais pas trop mal ma vie. Je vais diner à la Siesta à Antibes qui faisait à la fois casino et boite. C’était une des seules boites de France à ciel ouvert. Et il y a un restaurant. Je vais au restaurant, je suis avec une chérie. Et là je tombe sur Katia et Jean-Paul Laleu, la future Katia Promotion qui étaient de très bons copains. Ils me disent : tu devrais rentrer à Paris, car ils lancent une radio. Ça s’appelle NRJ. Je réfléchis un peu. Ma femme est à la Baule, en train de faire ma deuxième fille, car elle voulait que cela se passe près de chez ses parents. Et donc je dis OK je remonte à Paris.
Et là, tu te retrouves au coin de ma rue, rue du Télégraphe !
Exactement. Je n’avais pas d’appart à Paris, j’habite chez Laleu. Et je m’éclate totalement. Parce qu’à l’époque, on programme à peu près ce qu’on veut. Il y a quelques disques obligatoires mais c’est tout.
Oui le Guazzini n’avait pas encore été inventé à l’époque !
Le Guazzini n’avait pas été inventé, mais il y avait le d’Amico à l’époque. Jean-Pierre d’Amico, ce chanteur connu sous le nom de Santiana, un personnage fantasque.
Et tu as vraiment une liberté sur NRJ, de to… de programmation ?
Oui, alors bon, il y a une ambiance générale que tu respectes, mais pas de directive, à part quelques disques à passer obligatoirement parce que Jean-Pierre d’Amico avait trouvé … comment dire…quelques petits accords.
Tout le monde faisait ça alors, Europe 1 avait ses propres éditions et matraquait forcément les chansons dont ils détenaient les droits.
Avec Disc AZ… bien sûr. Donc, je me fais ma place à NRJ, petit à petit. J’ai saisi l’occasion. C’est parce qu’à l’époque, si tu pars en vacances, si tu es malade, tu n’es jamais sûr de retrouver ta place en rentrant. Mon copain Mitsou qui était animateur sur l’antenne cachetonnait beaucoup dans les boîtes, ça marchait fort pour lui. Mais il me dit : putain, je ne peux pas faire l’émission de la soirée du 31 décembre, tu ne veux pas la faire à ma place ? J’accepte, naturellement mais je décide de chier mon truc et de programmer les titres par trimestre, en racontant les grands événements du trimestre écoulé. Mais les événements plutôt sympas quoi, je n’allais bien sûr pas évoquer les guerres. On est le 31 décembre c’est le réveillon, ce n’est pas vraiment l’ambiance. Je passe ensuite les 3 disques qui ont marqué ce trimestre ? Et je fais toute la soirée comme ça. Au standard téléphonique ça cartonne, il n’y avait pas d’internet à l’époque, les auditeurs téléphonaient pour se manifester. Par conséquent, trois jours après, j’ai mon émission régulière. NRJ grossit énormément. On quitte le XXéme arrondissement pour la chic Avenue d’Iéna. Un consultant américain vient formater l’antenne. Comme je suis le seul à parler à peu près anglais, je fais le go-between et c’est ainsi que je deviens un peu par accident Directeur d’antenne.
On est en 84 ?
On est en 84. Je fais tout le formatage de la radio avec ce Ted Ferguson. Comme l’antenne est devenue importante et que la radio est devenue importante, les grandes interviews viennent à nous.
Là, tu interviewes la Terre entière, quel était ton Top 10 des rencontres NRJ ?
Pour un type de ma génération, c’est évidemment McCartney. C’est évidemment Bowie. Que j’ai interviewé couché, parce que il était dans une suite, c’est un rituel que tu connais, comme nous étions les sponsors du concert. C’était au Grand hôtel place de l’Opéra. Je passais en dernier et il était crevé. Bowie me dit : ça t’ennuie si on fait ça sur le lit ? Je lui dis : avec plaisir. On s’est couchés comme deux romains avec la magnéto Nagra au milieu et on a fait toute l’interview couché. Il y a aussi Harrison. J’ai adoré cette conversation.
Moi aussi… j’ai adoré interviewer Harrison ; quelle douceur, quelle délicatesse, quelle modestie aussi. ( Voir sur Gonzomusic )
Je suis arrivé, c’était la mode des pins à l’époque et j’en avais un en forme de guitare. Il me regarde et me fait : are you playing ? (est-ce que tu joues) .et j’avais tellement honte de lui dire que je ne savais pas en jouer que je lui ai dit oui. S’il m’avait demandé de m’exécuter, je n’aurais pas été dans la merde ( rire)
Un type incroyablement humble et super à l’écoute. C’était pour quel album, moi c’était pour « Cloud Nine », et l’interview se déroulait au Ken Club.
Moi aussi c’était également pour cet album, mais à Londres dans les bureaux de la maison de disques.
Alors qu’il avait sorti des disques plutôt décevants depuis des années, il faisait un sublime retour en force avec celui-ci. C’est une des interviews à travers les âges qui m’a le plus marquée.
Autre entrée cruciale dans mon Top 10, même si c’était après NRJ puisque c’était pour RMC c’est Barbra Streisand. C’était aussi à Londres pour un film intitulé « Le Prince des Marais ( Prince Of Tide) » avec Nick Nolte. Quand elle est rentrée dans la pièce c’était WAW… il se passe vraiment quelque chose. Je commence l’interview mais je suis très troublé, pour la première fois peut-être je panique un peu. Je parviens tout de même à lui parler du film, mais je suis tellement troublé que j’appelle Nick Nolte… Nocke Nilte… elle me regarde interloquée… je la regarde, car je me suis rendu compte de ma bourde et on éclate tous les deux de rire en chœur. Et après l’interview c’était comme sur du velours… facile. Celui que j’ai regretté de ne jamais avoir fait, c’est Prince.
Moi je l’ai fait, cela s’est moyennement bien passé mais c’était au Privilège du Palace.
Oui je sais…
À suivre…
Voir sur Gonzomusic Épisode 2… De Stevie Wonder à « Rock and Pop Stories » … en passant par Secret Story !
DOMINIQUE DUFOREST : LA VOIX EST LIBRE Épisode 2