TOM WAITS DU TROPICANA AU PALACE
Voici 40 ans dans BEST, GBD retrouvait Tom Waits rencontré quatre ans auparavant au mythique Tropicana Hotel de LA, lorsqu’il n’était encore qu’un touriste étudiant en droit. Désormais détenteur d’une carte de presse bleu blanc rouge, il pouvait légitimement poser toutes ses questions au fameux baladin à l’emblématique voix éraillée dans la foulée de la sortie de « One From the Heart » ( « Coup de Cœur ») le film de Francis F. Coppola dont il a signé la BO. Flashback…
Quelle joie de retrouver Thomas Allan Waits, alias Tom Waits et de pouvoir enfin officiellement l’interviewer ! Entre temps le fameux poète rock destroy avait enfin renoncé à l’alcool et il semblait bien plus en formes que lorsque je le croisais écroulé autour de la piscine du Tropicana Motel sur Santa Monica Blvd au croisement de la Cienega . Bien sur ce n’est pas la première fois que j’évoque cet hôtel légendaire qui accueillait depuis toujours les musiciens les plus allumés de passage à LA. ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Tropicana+hotel ). Étudiant en droit, j’y avais séjourné un mois avec mon copain Jean Philippe Rykiel ( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=Jean+Philippe+Rykiel++ ) et rencontré les Ramones, les Runaways, les Gang of Four… et un certain Tom Waits qui y avait élu domicile. Quatre ans plus tard, journaliste à BEST j’ai le privilège de tendre mon micro à Waits de passage à Paris pour un concert à Mogador et un live au Palace, pour une première interview qui fête désormais ses quatre décennies…
Publié dans le numéro 154 de BEST sous le titre :
COUP DE CŒUR ET THÉ
Lorsque je pénètre sous le porche de I ‘hôtel Christine, à Paris, pour retrouver Tom Waits, j’ai un pincement aigu qui m’accroche le cœur. Je n’ai pas oublié le lieu de notre toute première rencontre: une piscine bleutée sous le ciel turquoise, cotonneux de LA. Au 8585 Santa Monica Boulevard, à West Hollywood, Lee a la chance de posséder un motel quasi mythologique. Situé à deux pas du Strip, le Tropicana a toujours été envahi par les musicos les plus allumés : ceux qui vont griller leurs nuits sur les scènes du Starwood ou du Whisky A Gogo L’hôtel de Lee est presque miteux, mais tout le monde s’en fout. Cet endroit dégage tant de vibrations que ceux qui I’habitent n’ont que faire de la peinture verte écaillée et de l’air conditionné qui crachote. Le Tropicana, c’est Motel California. Un jour, peut-être, je vous raconterai comment Joey Ramone a débarqué un soir dans ma chambre pour me proposer le deal de sa vie: une paire de bottes pour un fond de Bourbon qui trainait au Frigidaire ou dans quelles conditions Joan Jett des Runaways s’est fait balancer dans la piscine par son mec de l’époque. Tom Waits avait I’habitude de s’affaler dans un transat. II passait le plus clair(!) de son temps à compter les nuages qui défilaient. Hier soir, j’ai assisté à son concert du Palace ; l’enregistrement de « Palace One », la nouvelle émission TV-Rock de WTF 1. Tom Waits était accompagné par Teddy Edwards au sax, Gregory Cohen à la contre- basse, Ronnie Barosse aux claviers et Harry Ravin au «boum boum ». Malgré l’extrême nullité de ce public d’invités qui se coinçait la tête entre les portes, le clochard à casquette était parvenu à nous transporter dans son ambiance piano-bar complètement touchante. Un feeling rythmé par le choc des glaçons au fond des verres ! Je retrouve Tom assis à une table en galante compagnie. Et, soudain, mes yeux chavirent et roulent comme deux boules de bowling: car ce que tient Waits à la main n’est rien d’autre qu’une tasse de thé. Il est rasé de prés. S’il est un peu crevé, ça ne l’empêche pas de sourire. Lorsque j’arrive, il lance au serveur: «Hé, vous n’avez pas de vin ? ».
Réponse de l’employé: « Désolé, Monsieur, mais nous n’en servons pas en dehors des repas. »
Puis Tom se tourne vers moi et me regarde fixement avant de me lancer : . « J’essaie vraiment de me souvenir qui tu me rappelles. Je suis certain qu’on s’est déjà vu quelque part ».
Je lui parle alors du Tropicana…
« Quel endroit incroyable ! Moi, j’y ai vécu 5 ans…
Où se trouvait ta chambre ?
Oh… heu… derrière…
Tu veux dire derrière derrière! ( rire)
Ouais. Au début, j’’avais une suite face a la piscine. Et puis j’ai déménagé vers I‘intérieur. Lee m’a fait un prix: 200 billets par mois, mais c’est bien parce que je faisais presque partie des meubles. Lorsque je me suis tiré du Tropicana, c’est pour aller à New-York. Quel flip pendant 4 mois. Cette ville est le pire endroit au monde où cuver son blues. Je suis reparti très vite a LA.
Tu es né à Los Angeles ?
Non, la première fois que j’ai chanté, c’était à Pamona ( à l’est de Los Angeles paumé entre l’Inland Empire et la vallée de San Gabriel) ! »
Tom Waits relève alors machinalement sa casquette et se met à chanter. Mon « pressman » enregistreur à K7 clignote comme un fou…
«Pamona Lisa they named you… Pamona Lisa they named you ».
Et tout le monde éclate de rire !
« Tu t’es amusé hier soir, sur scène, au Palace ?
C’était tout juste honnête. Un public d’invités, c’est toujours une bande de coincés. J’exècre ces soirées corporate où les gens viennent voir un show exactement comme s’ils allaient au zoo.
Parlons un peu de « One From the Heart » ( « Coup de Cœur) le film de Francis F. Coppola dont tu as composé la musique.
Francis et moi bossons ensemble depuis un an. C’est vraiment un mec bien. C’est aussi une chance pour moi parce que l’expérience se révèle très fructueuse. Lorsqu’il m’a appelé, on s‘est rencontré dans un troquet et il m’a raconté son scénario. J’étais flatté. Sur l’album « Heartattack and Wine», la chanson « On the Nickel » avait été écrite pour le film à petit budget d’un copain, Ralph Waite. Ma première tentative pour le cinéma. « One From the Heart », c’est l’histoire de deux êtres qui se rencontrent. Ils tombent amoureux et vivent ensemble pendant 5 ans. Et soudain tout casse ; de chaque côté, c’est la remise en question. Lui bosse dans un garage, elle dans une agence de voyages. Ils sont assez différents l’un de l’autre, mais surtout hyper-frustrés et désabusés. Ils rencontrent chacun quelqu’un mais I’essai se révèle désastreux. Lorsqu’ils se retrouvent, c’est plus par dépit que par amour. En fait, le film est une histoire d’amour classique, une romance très américaine.
Que penses-tu de I’irrésistible montée du conservatisme aux USA ?
L’administration Reagan ressemble à une série TV américaine. Nos rapports avec nos dirigeants s‘opèrent exclusivement par le canal de la télé ; en cas de crise grave, ce jour-la il y aura une panne! Il n’y a pas un seul parti aux States qui propose une politique cohérente et surtout originale. Les rats sont en place et les eaux grouillent de requins, voila tout!
Le LP « Heartattack and Wine » sonne beaucoup plus électrique que tout ce que tu as fait auparavant : c’est un essai ou une nouvelle direction ?
C’est un essai. La prochaine fois, j’utiliserai peut-être une machine à coudre, des avertisseurs de bagnoles ou des vitres qui volent en éclats. Et qui sait.. peut-être que mon beau-frère y jouera des bouteilles de vin. ( Effectivement, deux albums et deux ans plus tard pour l’hallucinant « Swordfishtrombones », pour lequel je retrouverai à nouveau Tom Waits, produit par l’ingénieux Mitchell Froom l’album sera rythmé par d’incroyables beats métalliques industriels : NDR)
Comment se passe ta vie à LA, maintenant ?
Kathleen et moi vivons à Union Avenue. On bouffe chez Deny’s ( chaine de restaus US bons marchés : NDR). On vit comme les autres. On se lève le matin et ma femme fait du café pendant que je lis le LA Times. Elle s’en va bosser, moi je reste à la maison et je nourris le chien.
Non, tu as un chien ?
Non, mais ça ne m’empêche pas de le nourrir quand même ! Le week-end, je fais du golf avec Frank Sinatra. »
Tu parles ! Waits est dix fois plus menteur que le pire des arracheurs de dents. Le choc de sa vie a eu lieu le 10 août dernier à LA. C’était au « Always and forever yours baby’s wedding ». Le mariage de Tom et de Kathleen était célébré par le pasteur général révérend Donald Watermelon (pastéque) Johnson. Lorsque je demande à Tom s’il parle le francais, il se remet à chanter. Pour une fois, j’échappe à la 2 millionième imitation de Maurice Chevalier par un yankee. Waits chante n’importe quoi dans un français yaourt mais qu’est-ce que c’est drôle. La veille de son concert à Mogador, Harry Ravin, son batteur, s’est cassé le pied. Quant à Ronnie Barosse, le clavier, après s’être engueulé avec Tom, il a accompagné son petit camarade dans un avion en partance pour LA. À Mogador, donc, le TW band était réduit à sa plus simple expression: un sax, une contre- basse et Waits au piano, à la guitare ou à rien du tout. Ce fut quand même magique. Lorsqu’il a chanté les paroles de « Better Off Without a Wife »: « Tous mes copains sont mariés/ Tous les Tom, les Dick et les Harry/ Tu dois savoir rester fort si tu veux rester célibataire », je n’ai pas pu m’empêcher de me marrer. Le blues de Waits est véritablement de la musique à boire. Chaque chanson est une peinture, une nouvelle que raconte sa voix éraillée d’alcolo pour nous faire doucement glisser vers lui. Si j’avais un bon verre de bourbon, ce soir, j’irais bien m’installer sur un tabouret haut perché pour le poser à coté du piano de Tom Waits. En attendant, il y a tous ses disques et la BO du film de Coppola qui sort cet été. Cheers ! »
Publié dans le numéro 154 de BEST daté de mai 1981