LE MYTHE VELVET UNDERGROUND
Fameux chroniqueur rock, Stan Cuesta sort un magnifique ouvrage intitulé « Lou Reed The Velvet Underground », signant une discographie aussi vertigineuse qu’exhaustive et passionnée du fameux « rock and roll animal » et de son groupe mythique, parue aux Éditions du Layeur, un must.
Un mot résonne à jamais dans ma tête: Dynaflex. Au début des années 70, les albums solos de Lou Reed comme ceux de David Bowie, tout deux sur le label RCA, étaient pressés en imports US dans un nouveau et révolutionnaire vinyle baptisé Dynaflex. Et, comme son nom l’indique, non seulement ces 33 tours étaient flexibles, mais surtout ils résonnaient d’une qualité jamais atteinte à l’époque. « Transformer » et « Rock and Roll Animal » de Lou Reed comptaient parmi les premiers albums de ma collection, comme « Ziggy Stardust » et « Hunky Dory » et ils étaient tous en Dynaflex. Bien entendu, ce n’est pas seulement ce procédé innovateur qui distinguait les disques de Lou Reed, mais bien la qualité intrinsèque de son rock inégalé. Et, à l’instar des Beatles, vraiment découverts à la sortie des premiers solos des Fab Four en mode flashback, nous avons succombé au Velvet Underground séparé après avoir découvert Lou Reed en solo. Groupe mythique, groupe à part, groupe inconnu je me souviens que lors de mon premier voyage à LA en 1974, là-bas nul n’avait jamais entendu parler du Velvet Underground. 45 ans plus tard, le Velvet porte toujours admirablement son patronyme de groupe underground le plus célèbre de la planète. Et ce livre classieux de Stan Cuesta retrace en disque à disque l’épopée de cette formation rock inégalée. Rencontre avec l’auteur.
« D’abord, cher Stanislas, ce n’est pas ton véritable blaze ?
Mon vrai prénom c’est Daniel, mais Cuesta est mon vrai nom.
Pourquoi Stan ? Stan the Flasher ? Stan Ridgway ?
Non, pas du tout, juste une déformation de Cuesta. Au départ, quand j’ai fait mon premier 45 tours, j’étais chanteur et j’avais un métier très sérieux à côté, je ne voulais donc pas que les gens sachent que je faisais ça en même temps ; c’était les années 80, où chacun prenait juste un nom tout seul, comme Lio, Elli machin et tout, donc Stan. Et, du coup, quand j’ai commencé à écrire dans Rock & Folk, j’ai signé Daniel Cuesta mon premier papier, mais comme Manœuvre m’appelait Stan, c’est lui qui m’a baptisé ainsi en quelque sorte.
Alors tu es né où ?
À Madrid. Mais je suis arrivé en France à l’âge d’un an. Ma mère était Française et on est rentré à Paris et je n’ai aucun souvenir de là bas. J’ai grandi en banlieue, puis à Paris avant de m’expatrier à Montpellier où je vis depuis quinze ans.
Banlieue où ?
Mes grands-parents étaient à Créteil, à Saint-Maur-des-Fossés à côté de la Marne. Et, ensuite j’ai grandi à Boulogne-Billancourt et ensuite Paris.
Premiers émois musicaux ?
Quand j’étais gamin, dans les années 60, c’était un mélange de mes parents qui écoutaient Mozart, Brassens et moi qui découvrait les Beatles, mais aussi bien Claude François, en même temps.
Premiers singles achetés ?
Le tout premier, je m’en souviens très bien, c’est Johnny Halliday en 71 « Fils de personne », ce n’est pas la pire.
Oui, « Fortunate Son » ça va, ce n’est pas trop honteux.
Et mon premier 33 tours, c’est Deep Purple « Made In Japan » un an après, en 72. Premier Rock & Folk en 73, par là.
Premiers concerts ?
Ah…il y a la version chic, qui consiste à dire les Who au Parc des Expositions, avec « Quadrophenia » superbe, même si l’endroit était naze. Et puis, la vraie vérité, c’est qu’il y a eu juste avant un concert dans mon lycée auquel j’ai assisté avec une double affiche Ange et Mona Lisa, c’est beaucoup moins chic !
Ange c’était plutôt cool.
Oui, « Ces gens-là », la reprise de Brel, avec deux orgues, j’avais douze ans et j’étais fasciné. En plus, c’était plein de grands à cheveux longs qui fumaient et j’admirais autant le public que le groupe. C’était à Jean Baptiste Say, où était mon copain Jérôme le batteur des Avions et Tristam (Nada) des Guilty Razors, un lycée du 16éme arrondissement, mais bizarrement où ils mettaient tous les ratés (rires) soit les fils de bonne famille qui avaient mal tourné, soit les mecs dont on ne voulait pas ailleurs . Et on avait un amphithéâtre, où il y avait des concerts et du ciné-club, c’était super. Et, au moment où j’ai passé le bac, j’ai vu mon dernier concert au lycée, c’était Suicide Romeo, les temps avaient changé.
Études ?
J’ai fait des études d’ingénieur, c’était super sérieux. Math sup, Math spé, puis école d’ingénieur. Mais j’avais commencé la musique avant avec Jérôme, mais j’ai dû arrêter à cause des études. Et comme j’ai arrêté, Jérôme a rejoint les Avions. Après, j’ai commencé à bosser, notamment à Radio France, mais dans la technique et c’est là que j’ai repris la musique. Je m’occupais de l’achat de matos pour les studios. J’étais un mec en costard cravate. Parallèlement, j’ai repris la musique, je me suis même mis à faire des disques d’où le pseudonyme.
Des disques en solo ?
Oui, avant j’avais des groupes, mais tu sais les groupes s’étiolent et tout donc finalement …c’était le début des home studios, on avait tous des premiers ordinateurs …
Le TEAC à cassettes aussi….
Non, j’en avais un à bandes qui pesait un âne mort ! Les premiers Atari, les trucs où on se faisait chier à synchroniser tout, un peu petit savant fou dans son studio à faire ses morceaux tout seul. J’ai fait des 45 tours à la fin des années 80 et un album au début des années 90 chez EMI… Ah c’est des collector’s ( rire). L’album « Le voyage intérieur », c’était en 94 chez Fnac music…qui a mis la clef sous la porte, six mois après la sortie du disque. En même temps, j’avais rencontré Manœuvre, car nos femmes respectives se connaissaient. C’était le moment où il reprenait Rock & Folk et il m’a proposé d’écrire pour le magazine. Il avait envie d’avoir un peu des musiciens dans son équipe. Il a pris Soligny et moi pour avoir des gens qui étaient à la fois musiciens et qui écrivaient sur la musique. Donc, je suis rentré un peu par hasard, mais c’était chouette, car je le lisais quand j’étais gamin. Ma première interview, c’était Ray et Dave Davies et, comme c’était à peu près mes héros les Kinks, je n’en menais pas large. Mon premier gros article…pour un album pas terrible d’ailleurs, sorti chez Columbia, intitulé « Phobia », mais donc j’ai pris ce pli-là de m’intéresser aux vieux. J’étais le spécialiste des vieilles gloires des années 60 qui étaient encore à peu près en état dans les années 90. Et j’en ai rencontré beaucoup. Et puis après, j’ai tenu la rubrique « rééditions » c’était un peu dans le même domaine troisième âge. Manœuvre a aussi relancé la collection des livres Albin Michel Rock & Folk tombée en déshérence pendant plus de dix ans et il m’a dit « il y a un groupe sur lequel aucun journaliste ne veut écrire, est-ce que tu veux le faire ? ». C’était Queen. Le groupe un peu honni des rock critics. Moi j’ai pris ça comme un challenge, je n’avais pas d’a priori. Sauf que, c’est vrai c’était un groupe considéré comme ridicule, par certains côtés. Mais c’était chouette de le faire, même si tous les mecs des Inrockuptibles se foutaient de ma gueule. Et après, j’ai pris l’habitude, quand je faisais mes bouquins, d’aussi bien d’apporter des projets personnels, ou d’accepter des commandes qui paraissaient loin de moi et qui en fait me permettaient d’apprendre des choses.
Combien de bouquins publiés ?
Une vingtaine. Mais, j’ai aussi fait beaucoup de traductions.
Est-ce que cela nourrit vraiment son homme ?
Les livres sont très mal payés…à moins de faire un énorme succès, mais ça ne m’est pas encore arrivé. Un bouquin de musique si tu en vends 4 ou 5000 tu es super content. Pour en vivre, il faut multiplier plein de choses. Par contre, les traductions sont payées au « poids » si je puis dire et si tu traduis un gros bouquin tu peux en vivre correctement. En fait il faut faire plusieurs trucs à la fois, écriture traduction et un peu journalisme.
Tu nous as fait un Rita Mitsouko qui vient de sortir ?
En fait, on m’a confié une collection. Par un heureux hasard, j’ai rencontré les gens de chez Hoëbeke, qui appartient maintenant à Galimard, qui m’ont demandé si cela m’intéressait. Une autre étape que d’écrire des bouquins c’est d’en commander, de suivre le projet du début à la fin. La collection s’appelle Les Indociles, c’est une collection qui s’attache à parler de gens forts dans tous le sens du terme et on a commencé avec deux Français : Higelin et Catherine Ringer. Et j’ai écrit le premier, car c’était plus simple au départ, mais maintenant je vais surtout commander des bouquins à raison de deux par an. Et les deux prochains seront consacrés à des internationaux ; anniversaire oblige, ce sera Jim Morrison et Janis Joplin. Pour revenir à Catherine Ringer, je me suis aperçu qu’en fait, il n’existe pas vraiment de livre sur elle. Il y avait quelques trucs sur les Rita, mais surtout des bouquins de photos, et pas de vraie biographie consacrée à Catherine Ringer.
C’est plus facile ou plus difficile de défricher un terrain « vierge » ?
C’est plus sympa, c’est un vrai travail de documentation. Après, j’ai aussi fait plein de livres sur des sujets déjà traités. Quand j’ai fait Queen ou Nirvana je n’étais pas le premier, mais là tu essayes de trouver un angle différent. Cobain, en gros tout le monde prenait l’axe du drogué qui s’est suicidé, moi je me suis dit : « tiens, on va parler de musique, pour changer ! ».
C’est justement ce qui m’a séduit dans le Lou Reed…mais on va en reparler…
C’est un truc bizarre, mais beaucoup de critiques rock ne parlent pas de musique : soit qu’ils n’y connaissent pas grand-chose, soit que c’est plus intéressant de parler de trucs people ou de dope. Ça a toujours été un peu ma spécificité, même s’il n’y a pas que moi. Évidemment, je mets du contexte, quand je chronique un album. On est obligé de parler un peu de la vie du mec, mais surtout j’écoute sans a priori, en oubliant ce qui a été dit. Il y a des albums mythiques, mais qui n’ont pas de raison d’être mythique, mais que tout le monde encense depuis 50 ans. Et on te dit que c’est formidable, alors tu répètes que c’est formidable. Mais tu en écoutes un et tu te dis : non cela n’est pas si formidable que ça. Mais le contraire se produit aussi.
Oui il y a des albums méprisés qui sont des petits joyaux. Wings « Wild Life » tout le monde se foutait de sa gueule à l’époque alors que tu l’écoutes et il est d’une fraicheur, d’une poésie bouleversante et étrangement contemporaine aujourd’hui.
C’est marrant que tu parles de ça, car je vais appliquer exactement le même principe que j’ai fait pour le Velvet aux Beatles l’année prochaine. Ça va être énorme : je fais une discographie complète chronologique avec tous les Beatles et tous les solos au fur et à mesure de leur sortie.
Tu vas prendre des nègres à mon avis…
(Rires) Je ne suis pas sorti de l’auberge, surtout que, de temps en temps, il y a un petit 45 tours inédit au milieu et que je me dis : ce serait bien de le mettre celui-là quand même. Je pense que cela va faire un pavé ! Ce sont des boulots que je fais quasiment pour le plaisir me fichant de savoir si cela est bien payé ou non. Quand j’étais gamin, j’écrivais sur les disques que j’aimais, alors c’est comme si je continuais.
Tu as un regard plus de musicologue que de chroniqueur.
C’est marrant, c’est le mot qu’employait Manœuvre pour se foutre de ma gueule à l’époque. Il m’avait surnommé le musicologue, pour lui c’était presque une injure ! Mais ce qui m’anime c’est de surtout éviter tout suivisme et tout snobisme.
Par exemple, dans le livre sur Lou Reed, l’album « Rock and Roll Animal » je ne trouve pas que tu en dises suffisamment de bien.
Pourtant, je l’ai beaucoup aimé, contrairement au deuxième live qui est très mauvais alors que c’est le même concert, incroyable ! Mais oui, car il y a cette petite tendance jazz rock dernière qui est un peu gonflante.
Ce que tu qualifies de « jazz rock », moi je dirais plutôt pompeux ou prétentieux, avec cette intro qui n’en finit plus, cette guitare presque comme une BO de Cecil B De Mille, les gros sabots…mais cela fonctionne. J’étais DJ parfois dans des clubs à l’époque et tu faisais danser les gens avec ça. J’ai vu Lou Reed à l’Olympia en 74, le concert filmé par mon copain Freddie Hausser et c’était de la bombe atomique.
Il n’a jamais été diffusé.
Si, dans son émission « Juke Box »
Je me souviens des Stones aux abattoirs aussi filmés par Freddie. Pour revenir à Lou Reed, il y a un album que tout le monde encense c’est « New York ».
Oui, je t’ai aussi trouvé un peu tiède sur celui-là
Je le trouve ennuyeux cet album. Je comprends la réaction des gens, car les albums précédents sont assez mauvais. Là, il retourne à un truc assez sobre, sans sons de batterie affreux, comme il a pu avoir. Il fait un truc très rock and roll, la pochette est belle et quelques textes chouettes, mais je m’ennuie un peu dans cet album. Moi, ce que j’aime chez Lou Reed, c’est lorsqu’il est produit par d’autres gens qui lui amènent quelque chose. C’est évidemment Bowie sur « Transformer » avec Mick Ronson qu’il ne faut pas oublier. C’est Bob Ezrin sur « Berlin » et Godfrey Diamond sur « Coney Island Baby » qui est mon préféré.
Ah, moi aussi, indiscutablement.
C’est d’ailleurs l’image qu’a choisie l’éditeur pour la jaquette du livre. Quand on lit le bouquin, il est clair que c’est vraiment mon préféré. En fait, Lou Reed, quand on le laisse faire, il fait deux guitares, une basse, une batterie et il va tout droit. Et, parfois, c’est ennuyeux. Mais, quand il a des co-producteurs qui lui amènent quelque chose, c’est souvent très intéressant. Quand il n’est que chanteur, quasiment. Le Velvet, c’est autre chose, œuvre de jeunesse, etc…mais après, sur sa carrière solo, je préfère presque quand il est pris comme auteur et chanteur et qu’il ne se produit pas lui-même.
Je t’ai trouvé un peu dur sur « New York ». Ce qui fait un bon album est-ce que ce n’est pas de bonnes chansons ? Or il y en a au moins trois sur le disque. Trois excellentes chansons « Last Great American Whale » « Dirty Boulevard » et une autre…
Oui, j’aime beaucoup « Halloween Parade » qui est un peu jazzy.
Donc trois bonnes chansons sur un album de Lou Reed, on n’avait plus l’habitude.
Oui, c’est ça, c’est par comparaison qu’on dit que c’est un bon album. Ce qui est bien aussi, c’est que tous les albums des années 80, il faut vraiment se les fader, il y en a beaucoup qui ne sont vraiment pas bons comme « Mistrial » par exemple.
À chaque fois tu as une bonne chanson…mais hélas juste une bonne chanson !
Voilà. Je me suis dit : allons voir quand même et je les ai tous ré écouté, du début à la fin , c’était assez soufrant par moment, mais de temps en temps, je trouve une bonne chanson, et je me dis : ah, voilà ; cet album est tout de même très dur à avaler, mais il y a quand même cette chanson qui sauve un peu la mise.
Mais, cher et estimé collègue, on peut dire la même chose des Rolling Stones des années 80/90 où tu ne trouvais qu’une bonne chanson par album. Ils ont même réussi à en faire un sans AUCUNE bonne chanson : « Bridges To Babylon ». Je ne l’ai même pas conservé tellement il m’a énervé. Lou Reed c’est pareil. Bon, il y a « Metal Music Machine » !
Là, c’est aussi un peu du snobisme de dire que c’est un super disque.
Justement, j’aimerais que l’on trace un parallèle entre le son assourdissant de ce double LP, qu’il a sorti à l’époque pour se foutre de notre gueule, et son ultime album publié avec Metallica absolument inaudible. Là je me suis dit : il nous refait le coup « Metal Music Machine » !
J’y ai pensé ! Bon, je ne suis pas trop Metallica, ce n’est pas ma tasse de thé , mais je me suis dit : j’écoute, j’oublie tout ce qu’on m’a dit et je juge. Le plus incroyable, c’est qu’il y a des gens qui aiment cet album. Mais, à priori il a rèussi l’exploit de décevoir à la fois les fans de Lou Reed ET ceux de Metalllica, personne ne s’y retrouve. J’ai écouté et trouvé ça ni fait ni à faire.
C’est quand même sa dernière œuvre !
Eh oui. Cela dit, même avant j’ai un peu du mal ; je trouve qu’il n’y a pas grand-chose de super dans les derniers albums.
Moi, j’ai pleuré le jour de sa mort, c’était une partie de ma vie qui s’arrachait. Passons à John Cale, puisque le live embrasse aussi les carrières des autres membres du Velvet et j’ai halluciné sur la quantité industrielle de ses albums publiés !
Ce n’était pas si difficile pour moi, parce qu’en fait, j’ai toujours eu un faible pour John Cale, donc j’avais déjà la plupart de ses disques. Il y a des choses formidables chez John Cale, comme la période Island des 70’s. C’est un des mecs que j’ai vu le plus en concert, j’ai dû le voir une dizaine de fois, je l’ai rencontré deux fois aussi, c’est un peu mon chouchou. Après, c’est aussi une tête de nœud, il a été une fois odieux et une fois charmant. Il fait des concerts qui sont souvent insupportables et des disques qui peuvent être très mauvais. Gamin, dés que j’ai été accro au Velvet, j’ai été autant fasciné par John Cale que par Lou Reed. Pour l’un, musicien classique, pour l’autre son côté américain. À une époque j’étais très branché musique contemporaine et j’aimais bien le coté mec qui sait tout faire de Cale.
Combien d’albums ?
En tout ? Je ne sais pas. Je n’ai pas calculé. J’avais une liste, mais cela me faisait peur de compter donc je ne voulais pas connaitre le nombre exact.
Ton favori ?
Pour des raisons personnelles, c’est le premier que j’ai eu, « Helen of Troy », le 3éme 33 tours Island. Et j’aime beaucoup « Slow Dazzle » aussi, les deux albums avec Chris Spedding à la guitare que j’adore. Deux albums formidables, qui sont aussi les deux premiers que j’ai achetés à l’époque.
Et « Paris 1919 » qui est sans doute le plus connu ?
Oui, bien sûr, même si ce n’est pas celui que je trouve le plus évident. C’est à la fois Européen avec l’orchestre et aussi Californien avec Little Feat sur plusieurs morceaux. John Cale a passé quelques années en Californie, il était DA chez Warner à la grande époque, c’était marrant de retrouver ce gallois déraciné au milieu des palmiers, ça n’a pas duré très longtemps.
Quel rôle avait Cale dans le Velvet ? Comment se partageaient-ils la tache avec Lou Reed avec leurs egos respectifs ?
J’ai traduit l’autobiographie de John Cale, parue au Diable Vauvert où il lâche un peu sa bile contre Lou Reed, car à chaque fois qu’ils ont collaboré, cela s’est mal passé. Lou Reed a toujours tiré la couverture à lui. Et cela s’est reproduit à chaque fois. Si tu regardes tous les albums du Velvet, tu as l’impression que Lou Reed a composé tous les titres, ce qui est plus ou moins vrai. Et que John Cale est une sorte d’instrumentiste qui rajoute deux ou trois trucs. Ce qu’ont apporté les coffrets réédités ensuite, où tu as les débuts, tu vois qu’ils étaient vraiment tous les deux à égalité, que John Cale chantait presque autant de titres que Lou Reed, qu’il en composait aussi. Mais, ce qui se passe, c’est que les credits ont un peu bougé pour que Lou Reed signe plus de chansons. Nico est arrivée et s’est mise à chanter les chansons que John Cale chantait auparavant et il s’est retrouvé un peu marginalisé. Il n’a fait que deux albums puis Lou Reed l’a viré. Et cela se reproduit sur « Songs For Drella » l’album hommage écrit à la mort d’Andy Warhol qu’ils signent en commun. Et John Cale repart la fleur au fusil en disant on fait tout à deux, etc… et dés le début Lou Reed commence à le faire chier, disant : non, moi je veux produire l’album, je veux diriger, etc… Une tournée est prévue et Lou Reed ne veut pas la faire, alors le truc tombe à l’eau. Et la troisième fois, c’est la reformation du Velvet Underground, quelques années après, et ça repart en couille exactement pour la même raison. John Cale veut faire de nouvelles chansons pour que le Velvet soit un groupe créatif et Lou Reed, au contraire, lui fait jouer ses chansons de l’époque Doug Yule, jusqu’au moment où il laisse tomber le truc. Car, ce qui était prévu après le live de l’Olympia, c’était de faire un MTV Unplugged qui aurait été un truc assez marrant. Cale avait commencé à sortir tous ses claviers bizarres, des Celesta, des trucs, qui auraient pu faire un grand disque, mais ils se sont engueulés sur le fait que Lou Reed s’entêtait à produire l’album. Il voulait avoir le contrôle total de tout, et cela ne s’est jamais fait, alors que l’aventure Velvet Mark II aurait pu durer.
Un petit mot sur Nico, moi je pensais qu’elle avait fait une poignée d’albums et trois live et on découvre une discographie hallucinante.
Alors côté albums studio, il n’y en a pas tant que ça, sept ou huit albums, mais le reste, ce ne sont que des lives, qui sont un peu de l’exploitation. À chaque fois je les écoute et je me dis : celui-là, c’est vrai, qu’on peut y trouver de l’intérêt, car il y a ci ou ça, mais il y a une vingtaine d’albums en public à Berlin, à Manchester, au Japon qui sont, soit redondants, soit pas toujours intéressants. Nico n’avait pas un répertoire énorme et elle faisait toujours les mêmes avec ses reprises de « The End » des Doors « I’m Waiting For the man », « Heroes » de Bowie et quelques chansons à elle qui n’étaient pas vraiment des tubes. En plus, elle n’aimait pas « Chelsea Girl » qui est un super album à cause des arrangements, donc elle ne reprenait aucune des chansons.
Tu l’as vue sur scène ?
Je l’ai vue au Rex Club dans les années 80, ce n’était pas un très bon souvenir. Elle n’était pas en très bon état, elle était toute seule avec son harmonium. C’était un petit peu chiant, il faut le reconnaitre.
Ce que tu viens de dire, on change années 80 et on remplace par années 70, et moi je te raconte la même histoire . J’ai 14 /15 ans et je vais à un concert à l’Opera Comique baptisé « la galère cosmique » avec un tas de groupes allemands progressifs à l’affiche comme Agitation Free ou Amon Duul et Nico, triste comme un jour de pluie, toute seule sur scène à faire pleurer son harmonium…La force de ce livre, c’est qu’on découvre des Velveters inconnus, comme un certain Doug Yule ! Comment peut-on faire partie du groupe underground le plus célèbre au monde et demeurer un parfait inconnu ?
C’est marrant, il a vraiment raté le coche. D’abord, il a été adoubé par Lou Reed, pour remplacer John Cale. Il était un petit peu le double de Lou Reed, qui le présentait comme son petit frère. Longtemps, il reste dans l’ombre, ne compose rien pour le Velvet, mais Lou Reed lui laisse chanter certaines chansons, qui sont très belles d’ailleurs « New Age » ou « Candy Says » par exemple.Il reste dans l’ombre du Velvet, mais c’est lui qui garde le groupe quand ils se barrent tous. C’est incroyable, c’est un processus d’élimination : Reed a éliminé Nico, puis Cale, avant de finalement s’éliminer lui-même et il reste Yule, qui reprend les commandes du groupe et qui continue à tourner. Avec Moe Tucker et Sterling Morrison, ils refont des nouveaux morceaux, mais cela n’a rien à voir, si tu écoutes l’album « Squeeze » c’est du Paul McCartney…
…avant de tourner Eagles …
Oui, avec son groupe American Flyer.
Mais en fait qui était ce mec ?
C’était un gars de Boston. Le Velvet très vite a quitté New York. Quand ils se sont séparés d’Andy Warhol, cette période new-yorkaise s’est terminée et ils ont trouvé un public de fanatiques à Boston comme à Cleveland. Ils ont quasiment habité Boston à un moment, de 68 à 70, avant leur retour à NY quand ils rejouent au Max’s Kansas City. Quand John Cale est viré, ils cherchent un bassiste. Et leur manager en plus c’est Steve Sesnick qui joue un grand rôle dans l’histoire du groupe, puisque c’est lui qui va monter Lou Reed contre les autres. Et c’est lui qui recrute Doug Yule, qui était juste un jeune musicien, qui jouait dans Glass Menagerie, un groupe du coin. Ce dernier finira même par embaucher ses potes de Boston pour la deuxième incarnation du Velvet avec Willie Alexander, qu’on connait bien en France, puisqu’il a fait des disques chez New Rose. Doug Yule vient de là ; c’était un petit jeune. Donc, il n’allait pas faire chier, il allait faire le job et pas vouloir s’imposer comme John Cale, à vouloir composer, etc…il était totalement à la solde de Lou Reed et c’est ça qui lui plaisait. Peut-être que c’est ce manque de personnalité qui a servi de frein à sa carrière. Il est toujours vivant, il fait toujours de la musique à Seattle, où il s’est installé. Ce qui est marrant, c’est ce disque « Squeeze ». Un pote m’avait fait une cassette avec un morceau de cet album, « Oh Caroline », marqué Velvet Underground, et ,pendant six mois, j’ai cru que le Velvet, c’était ça. Et, un jour, l’ami en question m’a offert cet album « Squeeze », que j’ai pas mal écouté, car il n’est jamais ressorti en CD. Maintenant, avec les plateformes de streaming, on peut l’écouter sur Spotify. Mais, pendant 30 ans ce LP a été une sorte de serpent de mer.
Et il a vraiment inspiré son nom au groupe de Chris Difford et Glenn Tillbrook ?
Oui, c’est de là qu’ils tiennent leur nom Squeeze, qui est pour le coup un super groupe pop anglais que j’adore.
Avec le recul, est-ce que le Velvet est le plus grand groupe underground du monde qu’on a eu raison de vénérer ou, dans le fond, ce n’était pas si bien que ça ?
Ah non, moi je trouve que c’est vraiment un groupe super, même si je suis un peu partial, car je suis arrivé dans le rock dans les années 70. C’était l’époque où on avait l’impression que tout était fini. Les Beatles s’étaient séparés et on écoutait les albums solos, en recherchant un peu de magie. Et le Velvet était inconnu, mais c’était une sorte de Graal. Dans les années 70, on s’échangeait les pirates où il y avait « I’m Sticking With You » qu’on achetait à l’Open Market. Il y avait cette dimension mythique, à chaque fois qu’on découvrait un morceau du Velvet, on trouvait ça fabuleux, il y avait un son que nul autre n’avait, un truc un peu perdu. »
LOU REED & THE VELVET UNDERGROUND
par Stan CUESTA aux Éditions du Layeur