LE RETOUR DU TAM TAM PLANÈTAIRE DE TOURÉ KUNDA
Pont-vivant entre le rock et l’Afrique, pionniers du tam-tam planétaire, les frères Touré Kunda sont de retour, après dix longues années d’éclipse, portés par « Lambi Golo », un solide nouvel album capturé entre le Sénégal et la France, riche de tout le savoir-faire de la famille éléphant et de la présence d’invités précieux, à l’instar de Carlos Santana, Manu Dibango ou Lokua Kenza. Pour GBD qui a défendu Touré Kunda depuis le tournant des années 80, quel plaisir de tendre à nouveau mon micro à Ismaël et Sixu…
Au printemps dernier, après avoir découvert « Lambi Golo », j’ai été irrémédiablement séduit par ce Touré Kunda nouveau (Voir sur Gonzomusic la kronik de l’album https://gonzomusic.fr/toure-kunda-lambi-golo.html ). Alors forcément, cela m’a donné envie de renouer le dialogue avec mes vieux complices des années BEST et RFI. Et c’est naturellement, dans un petit troquet juste à côté du boulevard de Belleville qu’Ismaël et Sixu m’ont donné rendez-vous pour évoquer toutes ces années écoulées et le rôle majeur joué par Touré Kunda dans l’essor de la world music. Et au-delà de l’allégresse de ces retrouvailles et malgré tous nos cheveux blancs, Ismaël et Sixu n’ont manifestement rien perdu de leur incroyable feeling. Mais tout naturellement, la première question concerne cette longue, trop longue décennie d’absence…
« Ismaël : On s’est arrêté, car à un moment donné de notre parcours, on s’est nous-mêmes aperçus que la musique ne se passerait pas comme auparavant. On en avait conscience et on a décidé de s’arrêter cinq minutes. Enfin presque dix ans. Pourtant durant cette décennie on a sorti deux albums, mais qui n’ont pas eu le retentissement qu’ils méritaient. Mais, il faut avouer qu’on les a fait aussi avec les moyens du bord, avec pas grand-chose. Ils étaient sortis chez Wagram. C’est pour cela qu’on est fier de notre nouvel album « Lambi Golo » ; il est sorti sur le petit label bordelais, Soulbeats, on y a mis tout notre cœur. On est aussi en tournée. Dire qu’on se désespérait en se disant « c’est fini ! ». Mais il y a des bêtes qui ne meurent jamais. Et nous, on fait partie de cela.
Ah oui, les éléphants sont réputés vivre longtemps !
I : Tu en sais quelque chose !
On s’ennuyait un peu de vous, on va dire.
I : Merci de l’avoir dit, car nous aussi on s’ennuyait de vous. Nous n’avions plus la bonne audience. Mais on a persisté. Car quand un éléphant va jusqu’à atteindre l’âge adulte, il ne devient plus un enfant. C’est ce qui nous a permis de tenir.
10 ans c’est très long ; vous vous occupiez des enfants ? Qu’est ce que vous avez fait ?
I : On s’est un peu occupé des enfants, effectivement. On s’est occupé beaucoup de nous. Et surtout, on s’est beaucoup occupé de musique. On a énormément travaillé pour arriver jusqu’à ce nouvel album. On voulait sortir des chansons qui aient la même qualité que ce que nous faisions dans les années 80.
Sauf que j’ai retrouvé deux chansons que je connaissais déjà « Em’ma » et « Labrador » !
I : C’est toi qui les as baptisées, car tu étais là à leur naissance. Pour nous, il y a des témoins. Ce sont des chansons qui nous ont marqués. C’est pour cela qu’on s’est dit qu’on ne pouvait pas les laisser derrière nous.
Vous aviez envie de le refaire, mais de manière différente ?
I : Différemment, oui. Tu as bien écouté la version de Carlos, avec nous ?
Oui, bien sûr.
I : Il en a fait quelque chose de majestueux avec cette version salsa à la Carlos Santana. Et si tu veux des trucs tout neufs, on ne va pas tarder à en balancer de nouveaux. On a des choses de prévues sur les rails.
Vous étiez des pionniers, les premiers Africains à récolter autant de succès en tant que groupe en France. Dans les radios, dans les journaux, dans les télés, dans les concerts… vous avez ouvert la voie à ce qui ne s’appelait pas encore la World music. On disait la sono mondiale à l’époque…comme disait Jean François Bizot dans Actuel.
I : Oui, tu as parfaitement raison. Il faisait partie de l’histoire. Sincèrement, si on me demande la liste des gens qui ont œuvré en faveur de la musique africaine et du groupe Touré Kunda, on y trouverait Philippe Constantin, Jean François Bizot à Actuel et Nova), Rémi Kolpa Kopoul à Libé, Jean Jacques Dufayet à Rock &Folk et RFI)…et toi à BEST et sur RFI ! Vous êtes cinq ou six, pas plus, à nous avoir tendu la main et tendu l’oreille, comme on dit. Vous savez de quoi vous parlez. On s’est passé la balle au rebond entre vous et nous. Et au rebond on arrivait à des résultats.
Mais de notre côté, celui des médias, on attendait un groupe comme vous. Vous étiez les premiers et après vous, une fois cette porte ouverte, beaucoup d’autres sont arrivés.
Sixu : C’est normal, on a ouvert et voilà. Il fallait dire à nos frères et sœurs que tout était possible.
J’allais dire…ces artistes, tu les considères un peu comme tes petits frères ?
S : Bien sûr, ce sont nos petits frères et sœurs. On a ouvert un boulevard pour cette musique du Monde et on a dit : on le partage, allez venez, on fait la fête tous ensemble. Il faut avouer que c’est un peu difficile quand tu es jeune de s’imposer avec sa musique. Quand tu commences à faire de la musique , tu entends tes parents te dire « oooouuuuu la la, il va où ? On préfère que tu ailles à l’école pour avoir un vrai métier ! » Il a fallu qu’Ismaël se manifeste le premier…car on se cachait pour faire de la musique. Et là on est devenu plus libre. Après quand nos parents nous ont entendu sur les antennes de Radio France Internationale ils ont dit « mais ce sont nos enfants » . Ils étaient soudain fiers, alors on en a profité pour leur demander de nous laisser libres de faire notre musique et ils ne pouvaient refuser.
I : C’est drôle qu’on se retrouve ici à Belleville, car la première fois que nous avons débarqué à Paris, nous étions justement ici, à deux pas dans une impasse là-bas. C’est le temps qui se perpétue. Nous sommes des croyants et comme le hasard n’est jamais hasardeux, ce n’est pas pour rien que tu nous as téléphoné.
Oui, je vous ai contacté, c’est normal , je ne pouvais pas rester indifférent après avoir écouté « Lambi Golo » .
I : Et tu nous as retrouvés.
Oui j’étais fier de vous. Te souviens-tu, Ismaël, des premières sensations ressenties à votre arrivée en France ?
I : Déçu…froid…triste d’avoir quitté le pays. À chaque fois, on a eu envie de rentrer. À chaque fois on s’est dit : ce n’est pas chez nous ici, partons. À chaque fois, on s’aperçoit que les gens ici ont besoin d’apprendre à vivre. Et on continue à le croire. Ici l’éducation est un cercle familial restreint, le père, la mère les frères et sœurs et les parents, nous aussi, mais en plus il y a les oncles, les tantes et tout le village qui donnent une pluralité à cette éducation. Elle est comme la sève de l’arbre que nous sommes.
Justement cette sève, elle nous vient de votre pays, la Casamance que vous évoquez souvent dans Touré Kunda. Et tout spécialement dans ce nouvel album. À quelqu’un qui ne connait rien de la Casamance, qui ne connait ni le pays, ni la situation politique, ni l’histoire, comment pourrais-tu résumer la situation là-bas et ce que cela représente pour vous ?
I : La situation de la Casamance se résume en trois volets. Le volet de la vie que c’est le volet de ceux qui la vivent de ceux qui la partagent qu’ils soient de là-bas ou pas. En ce moment ceux qui se la partagent c’est ceux qui ne sont pas de là-bas et ceux qui sont de là-bas aussi. Il y a eu un phénomène qu’on appelle un conflit. Ce conflit est un conflit de populations qui veut que cette ville, ce pays soit considéré comme toutes les autres villes du Sénégal. Et comme cela a trainé à se faire, la population est rentrée dans le maquis pour se libérer.
Donc l’idée n’est pas de devenir indépendant, mais juste d’être considéré comme les autres régions du pays ?
I : Si, mais comme la population ne parvenait pas à être considérée comme elle le souhaitait, ils ont dit : bon puisque c’est ça on va prendre les armes.
Il y a une telle différence entre le nord et le sud du Sénégal ?
I : Oui importante
Ce sont pourtant les mêmes religions.
I : Les mêmes religions, oui les catholiques, les protestants et les musulmans. Jusqu’au moment où le colon est parti et nous a laissés entre nous en nous disant…
….Démerdez-vous !
I : Exactement. Comment le sais-tu ? (rires)
Parce que je connais un peu l’histoire de l’Afrique.
I : Depuis ce temps alors on est en train de se dire : on va faire mieux. Et c’est pour ça que dans la plupart des titres du nouvel album, on fait un clin d’oeil à toutes les pages de la Casamance, toute l’histoire de la Casamance. Et nous espérons que nos chansons vont appeler à la paix, appeler à la réconciliation.
Au minimum il faudrait donc plus de respect et plus de liberté.
I : Exactement. Liberté, respect, solidarité et partage. Parce que la Casamance est la seule région que je connaisse dans le Monde entier où on peut aller habiter sans y être né. Fonder un foyer, vivre là-bas, aimer cette région, aimer les femmes de là-bas et faire une famille avec elle. On doit le reconnaitre. Et donc la Casamance depuis cette période on voit bien qu’il y a une inégalité dans le partage. Car dans le partage il y a des choses qui doivent nous revenir et qui ne nous reviennent pas. Comment cela se fait-il ? Pourquoi ? D’où ce conflit.
Justement, Ismaël, comment envisages-tu la résolution de ce conflit ?
I : Qu’on le veuille ou pas, elle va se résoudre. Les gars ont pris la décision de faire le choix des armes, mais ce n’est pas le bon choix. Car le bon choix aurait été de consulter les enfants de la région, un genre de référendum pour ne pas dire son nom. Car dès que vous prononcez le mot « référendum » vous rentrez dans une opération quelconque. Mais, nous on a une chanson intitulée « Soif de liberté », c’est nous qui avons soif de cette liberté. Mais ce n’est pas que nous seuls qui avons soif de cette liberté. Ceux qui ont soif de cette liberté c’est ceux qui y vivent, qui font des enfants qui grandissent et qui partent de là-bas, qui viennent en France.
Vous n’avez pas cette nostalgie de la Casamance, l’envie d’y être plus souvent ?
S : On y va souvent, très souvent même. C’est notre région.
Vous avez encore des maisons là bas ?
S : Oui, bien sur, on a des maisons, mais hélas, plus beaucoup de famille. Ils étaient âgés, mais nous avons nos enfants à nous et nos petits frères. On a aussi construit des maisons pour avoir un pied à terre quand on y va. Et on s’y rend dès que nous le pouvons.
Vous y faites de la musique ?
I : On ne fait que ça, car c’est notre littérature à nous.
S : C’est poétique, dans notre langue. Bien sûr, on ne fait pas des vers, des rimes croisées, mais on le fait à notre façon africaine. Car cette culture nous appartient.
I : Avec un Monsieur comme toi, je n’ai aucune crainte qu’elle soit mise en valeur. Je peux ressortir tous les articles que tu as écrits sur nous, toi même tu diras : mais comment avez-vous fait pour garder ça ?
Vous les avez gardés ?
I : Parce qu’ils étaient vrais, le message était constant.
J’étais tellement fier d’arriver à vous mettre dans un journal de rock où il n’y avait que des blancs ou presque…
I : C’est ce que tu nous avais dit lorsque nous nous sommes rencontrés. Et tu nous as toujours suivis au fil des albums.
J’aimais ce que vous faisiez. Si cela avait été de la grosse daube, je n’y aurai sans doute pas mis autant d’énergie je ne me serai pas forcé.
S : Vous les journalistes vous avez été nos témoins.
On n’est plus trop nombreux à pouvoir encore témoigner, à part Dufayet et moi, ils sont tous partis ! On va parler de ce nouvel album. Comment avez-vous réussi à avoir toutes ces célébrités ?
I : Après toute cette période de l’oubli, cette décennie passée où l’on s’est posé tant de questions, nous avons réactivé nos relations et c’est à cette occasion que nous avons rencontré Carlos Santana pour lequel nous avons fait une chanson sur un de ses albums et il est donc venu en faire une avec nous. Et Manu Dibango qui nous a utilisé plusieurs de nos chansons et que nous avons aussi utilisé pour une de nos chansons. Et nous avons aussi invité une jeune sénégalais qui s’appelle Alune Wade pour lequel nous avons énormément de respect. Il y a aussi Cheick Tidiane Seck , Lokua Kanza et Hervé Samb aussi Kiddus I, le Jamaïcain.
Un vieux rasta de la vieille !
I: Un vieux Jamaïcain, oui. Vieille marmite et bonne soupe .
Où avez-vous enregistré ce « Lambi Golo » ? En France ?
I : On a d’abord travaillé dans notre propre studio que nous avons depuis 25 ans, là où on fait nos répétitions, là où nous menons nos petites recherches.
Vous avez bossé combien de temps…un an ?
I : Plus d’un an.
S : 9 ans et demi, c’est énorme !
Vous n’avez pas travaillé dix ans sur cet album tout de même ?
S : On a voulu prendre notre temps, réfléchir et ensuite travailler, tout cela prend du temps. Ensuite nous n’avons jamais cessé de tourner et de jouer sur scène.
I : On n’a jamais cessé de jouer, c’est cela le plus important. C’est ce qui a servi de ciment aux Touré Kunda. Avec le temps on s’aperçoit qu’il suffisait de persister. On ne regrette pas d’avoir fait ce choix.
Justement l’accueil par rapport à cet album est super positif, non ? À la fois parmi les fidèles de l’époque, mais aussi auprès d’un public jeune. ?
S : Même nos enfants sont surpris, et pourtant ils ont 28 ans passés. Ils ne se rendaient pas compte de ce que nous faisions quand ils étaient petits. Là, ils découvrent vraiment ce que nous sommes.
Cela doit vous faire chaud au cœur !
I : Dix ans ce n’est rien et à la fois c’est toute une vie ! C’est une génération. Et c’est pourquoi on se retrouve aujourd’hui dans l’actualité, c’est la preuve que les gens en ont besoin. »