YELLO MAGIQUE ORCHESTRE

YelloVoici 40 ans dans BEST GBD rencontrait Dieter Meier le prof Tournesol du rock suisse. Avec ses complices Boris Blank et Carlos Peron il formait alors le triangle magique et électronique de l’avant-garde d’une nouvelle vague sonic et forcément exotique puisqu’elle venait de l’autre côté des Alpes. Dans la foulée de la sortie de son premier LP « Solid Pleasure » paru en France chez Celluloïd , Yello – sans w à la fin- prouvait, sous l’objectif de Pierre René-Worms, qu’il était incontestablement déjà à lui seul un véritable orchestre magique.

Yello by Pierre-René Worms

Yello by Pierre-René Worms

Socialistes version kolkhosienne qui dénoncent le système capitaliste qu’est le musicbiz, electro-rock rebelles, ils possèdent leur propre studio à Zurich mais ne jouent jamais ensemble, préférant l’option épistolaire de l’envoi de cassettes par la poste… Yello a donc inventé le travail à distance bien avant l’ère d’Internet… ça fait rêver. Mais pas que : à son contact un GBD prophéte pouvait alors lui demander à l’aube des années 80 :« Dans quelques mois, vous aurez chacun un  téléphone-émetteur dans votre  poche  et  vous  communiquerez  entre  vous  de  n’importe  quel point du globe. » Personnage à part de la galaxie rock, Dieter Meier incarnait alors de toute sa « suissitude » tout le futur d’une musique électronique qui ne ressemblait à aucune autre. Flashback…

 

Publié dans le numéro 158 de BEST sous le titre :

 

TRIANGLE MAGIQUE

 

En rencontrant  Dieter Meier,  le côté  vocal  du  triangle  infernal,  Yello, je m’attendais à un choc semblable à  celui  du  troisième  type.  Résumons quelques théorèmes de base :

1 : La somme d’un Yello est égale à la somme de ses trois côtés.

2  :  Méfiance…  tant  va  le  Yello  au phono qu’il finit par imploser.

3 : Un Yello vaut mieux que deux tu l’auras peut-être…Yello

Et voilà pourquoi par cette chaude après-midi de juillet,  j’attendais  mon  bonhomme,  en portant un  BEST à  la  boutonnière,  à  la terrasse  d’un  café  de  Ménilmontant… Yello  (note  à  bénêts),  comme  ne l’indique ni son nom, ni sa pochette, est  un  groupe  Chuisse.  Ah  bon  ! Tiens,  ils  ne  sont  pas  californiens comme  ces  Residents  du  diable, ces  Tuxedo.  ces  Moon,  ces  Indoor et  ces  Life?  Et  non.  Non  (non)  3 fois non… Yello  est  un  trio  zurichois,  nourri exclusivement au chocolat à la Williamine Morand  !  Yello  pratique  la  communication  musicale  séquencée  et électronique  pour  projeter  un monde  kafkaïen  au  creux  du  sillon de  son  premier  LP.  C’est  étrange, ça  dérange,  peu  importe  si  la  voix de  Dieter  est  méconnaissable  sous le flot des trucages divers, Yello ne ressemble  à  rien,  et  rien  pourrait être, à coup sûr, le quatrième membre de ce groupe. Entouré par la foule de  l’après  déjeuner,  le  décor  est planté  à  ras  de  chaussée  d’où  débouchent camions de livraison, véhicules divers, à la seule exclusion de chars d’assaut et  de  Concorde  au  décollage. Une serveuse, sortie droit d’une  file de  figurants  d’Hollywood,  s’enfile notre  commande  :  «  Et  deux  cocas… ». Dieter est un élégant moustachu  :  pantalon  vert  toile,  chemise à  manches  courtes  et  cravate  fine, what a dandy!

« Tout a commencé voilà trois  ans  par  un  premier  et unique concert. Ensuite, nous avons passé deux années à peaufiner notre musique.

Comment  avez-vous  suivi  la  « Ralph  Connection  »,  la  boîte  des Residents?

Les deux  autres ( soit Boris Blank et Carlos Peron :NDR)  étaient  à San  Francisco  pour  les  vacances. Comme  ils  étaient  très  fans  des Residents ils sont allés chez Ralph records pour une visite de courtoisie. Ils en ont profité pour leur faire écouter nos premières bandes. Deux ans plus tard, dès que notre premier album fut mis en boite, nous nous sommes  mis  à  la  recherche  d’un label  et c’est ainsi que Ralph records nous  a  offert  la  collaboration  qui nous convenait le mieux.

Il n’y  a pas  de maisons de disques en Suisse?Yello

Si, mais uniquement des distributeurs de grosses boîtes, au budget trop limité pour faire de la production  intelligente  et  prospective. Pour  l’instant,  ils  ne  s’intéressent qu’au  heavy  métal,  des  groupes comme Krokus. C’est bien fait, avec autant de précision que nos montres, et tu connais leur réputation, mais c’est aussi parfaitement chiant.

Vous  avez  la  chance  fantastique  de  posséder  votre  propre  studio, c’est important pour vous?

Et comment! Parce que notre studio est notre instrument, nous devons pouvoir y accéder aussi facilement qu’un guitariste de rock à sa guitare. Lui peut la brancher à n’importe quel moment sur son ampli et jouer ce qui lui plait. Je crois sincèrement qu’il faille utiliser le studio comme le peintre utilise son « atelier » (en français dans les propos). Tu ne vas pas en studio avec un  projet défini  et rigide,  car  cela t’empêche de vivre tous les risques et toutes les aventures qu’un peintre  pourrait  dessiner  sur  sa  toile. Notre  studio  24  pistes,  c’est  une assurance tous risques contre l’infâme pression de la chose, de l’argent, qui règne dans les autres studios.  Grâce  au  Yello  studio,  nous pouvons  travailler  selon  nos  propres normes. Notre manière de bosser  ressemble  étrangement  à  ces joueurs  d’échecs  séparés  par  des milliers  de  kilomètres  et  qui  en­ voient chacun de leurs coups dans une  lettre.  Car  nous  ne  répétons jamais ensemble, tout comme nous ne jouons jamais ensemble. Au dé­but, nous nous réunissons pour parler du concept de l’album. Ensuite Boris (Blank) s’enferme au studio et y développe ces idées pour composer tous les morceaux Puis il m’expédie  une  cassette  à  Berlin,  par exemple, où j’ai vécu un an pour les besoins du tournage d’un film que je dirigeais.

Quel genre  de film  était-ce  ?

Un « thriller ». Son titre, c’est «Now and Everything ».  Il doit sortir bientôt  en  Allemagne.  Donc  Boris m’envoie sa cassette et je lui téléphone pour lui donner mon avis sur ce que j’aime ou, au contraire, sur ce qu’il faut changer. Quelques semaines ont passé et je reçois une seconde  cassette  que  j’écoute  sur mon walkman, ainsi je commence à trouver mon chemin dans cette musique : j’écris les textes, et je pars en studio poser les voix. Je me retrouve seul face à mon ingénieur du son (je  ne  supportais  personne  avec moi). Boris a écouté, nous en avons rediscuté pour les derniers détails.

Dans quelques mois, vous aurez chacun  un  téléphone-émetteur dans votre  poche  et  vous  communiquerez  entre  vous  de  n’importe  quel point du globe.

J’en rêve ! J’adore cette manière de travailler. Il se trouve qu’elle est aussi très efficace. Avant de chanter avec Yello. l’appartenais à un groupe qui fonctionnait selon les schémas traditionnels: jams,  perte de temps et glandage garantis.

Le prochain LP ?Yello

Nous venons juste de finir de l’enregistrer.  On  doit  mixer  la  semaine prochaine. Nous avons aussi un projet de spectacle avec un côté visuel  très  prononcé.  Parce  qu’en général, tous ces mecs sur scène, derrière  leurs  synthés  sont  si  ennuyeux Cela revient à regarder pendant  deux  heures  le  cockpit  d’un 747  :  c’est  marrant  cinq  minutes, mais on retourne très vite s’asseoir au fond de l’avion pour aller ronfler. Nous  n’avons  pas  envie  de  faire bailler les gens, c’est tout ».

Le Yello  à venir s’appelle  « Claro, qué si  », comme  le chacha  électronique  qu’il  contient  Yello  tire  son patronyme du  verbe  to  yell  avec  un  écho en  prime  ou au choix  une  sonorité  italienne pour le « o » final.  Quant au troisième  larron  dont  personne  ne  parle jamais,  Carlos  Peron  (crédité  comme  responsable  des  effets  et  des bandes),  que  dire  sinon  qu’il  commet  effectivement  tous  les  bruits fous  que  l’on  entend  partout  chez Yello.  Il  se  balade  dans  les  rues avec un magnéto et enregistre n’importe  quoi.  Carlos  est  en  quelque sorte le  fleuriste du groupe, un décorateur  sonore.  J’ai  eu  la  chance d’écouter  les  rough  mix  du  nouvel LP  sur LE  magnéto  à  cassette  immortalisé par le concert d’Alan Véga à Rock in Loft, celui qui s’arrêtait sans arrêt,  causant bien  des déboires au pauvre  Alan qui, malgré  tout,  punk un jour… punk toujours, ne raffole pas tant que cela qu’on lui crache  dessus.  «Claro  qué  si  »  est aussi  cinématographique  que  le premier LP. Il nous raconte un gangster  acculé,  un  camion  fou  à  la «  Duel  »  et  une  auto-perspective live  from un  bar.  Sortie  prévue  autour  de  février  82.  alors  en  attendant,  vous  pouvez  méditer  longue­ment sur le  premier Yello…  ou faire comme Carlos et  vous mettre à traquer  les  sons.  Quoi  qu’il  en  soit  et comme  son  nom  ne  l’indique  pas. Yello  est  véritablement  un  orches­tre magique. J’ai offert un ticket de métro à Dieter   (Trop de frais ! N.D.L.R.) pour qu’il  puisse se rendre à son rendez-vous avec Thierry  Mugler. Yello doit en effet sonoriser sa prochaine collection.  S’il  devait  arriver  en  retard, je crois  bien que  notre Suisse  avalerait  sa  montre.  Comme  je  ne  lui souhaite  pas  une  chose  pareille…

Publié dans le numéro 158 de BEST daté d’aout 1981BEST 158

 

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