THE SMILE « Wall of Eyes »
Avec cet album somptueux aux frontières du jazz du space rock progressif The Smile fait partie de ces alchimistes sonic qui expérimentent, créent une musique dotée de sonorités chics et classieuses, a des années-lumière des modes et du temps. Aux commandes de ce nouveau projet, on retrouve Thom Yorke et Jonny Greenwood, les principaux architectes de Radiohead ainsi que le batteur Tom Skinner. Alors forcément ce The Smile ne pouvait que faire sourire notre JCM aux aspirations si éclectiques.
Par Jean-Christophe MARY
Avec son patronyme inspiré d’un poème de Ted Hughes, the Smile est le projet collaboratif de Thom Yorke et Jonny Greenwood (Radiohead) et du batteur d’un groupe de jazz, The Sons of Kemet, Tom Skinner. Après avoir peaufinés leurs titres durant la pandémie du COVID-19, le trio a fait ses débuts live au festival de Glastonbury (2021) avant de sortir un premier album expérimental « A Light for Attracting Attention » (2022), salué par les critiques. Si ce premier disque sonnait entre électro débridée et une certaine rage rock, « Wall of Eyes » est beaucoup plus calme, porté par des chansons nerveuses, des chansons habitées de visions apocalyptiques et autres cauchemars sans nom. Et ça commence dès le titre d’ouverture « Wall Of Eyes » sorte de berceuse aquatique où Thom Yorke exprime toute son anxiété alors que sa voix résonne au milieu d’étranges sonorités electro acoustiques. Dès la première écoute, ces titres expérimentaux pulvérisent les règles de la composition, repoussent encore un peu plus les limites de la pop. La voix tourmentée qui s’appuie sur les dissonances de Radiohead est ici totalement envoûtante. D’emblée, on reconnait la marque de Tom Skinner. Avec cette signature rythmique très particulière. « Teleharmonic » au charme décontracté présente lui une suite d’accords tumultueux, flottants sur une sorte de rythmique latino. Soutenu par des pulsations syncopée et crépitantes « Read the Room » égrène d’abord des arpèges de guitare tourbillonnants, avant de décoller dans une sorte de rock progressif, expérimental et totalement psychédélique.
Sur « Under Our Pillows » la guitare de Greenwood se contorsionne en arabesques scintillantes tandis que la voix chevrotante de Yorke survole l’ensemble. Puis la musique devient spatiale, accélère, ralentie et s’arrête brutalement. Si la ballade piano-voix “Friend of a Friend” à l’ambiance space jazz rock évoque de façon lointaine Paul McCartney « I Quit » est une ballade beaucoup plus sombre avec un piano d’outre-tombe, des cordes luxuriantes, marmonnée par la voix de Thom Yorke. « Bending Hectic » est à lui tout seul un voyage spatiotemporel de huit minutes. La chanson commence par un motif folk qui pourrait rappeler le « Everybody’s Talkin' » d’Harry Nilsson mais qui dissone, avant que la mélodie prenne doucement son envol. Puis la musique s’arrête, remplacé par un vaste mur de cordes hurlantes. Comme si le « A Day in the Life » des Beatles était mixé dans un grincement de guitare déformée. De part en part, on retrouve ici l’ambiance des musiques de films de John Greenwood où se déploient des arrangements orchestraux majestueux. D’ailleurs, la moitié de l’album est sublimé ici par les cordes du London Contemporary Orchestra. À mi-chemin entre le jazz et le space rock progressif, on traverse de longues plages musicales qui voguent au gré de l’instant comme hors de l’espace et du temps. Cette bande-son envoûtante et féerique démontre que The Smile est l’un des groupes de rock les plus fins et les plus inventifs du moment.