STEVE HEWITT : LE POUVOIR DE L’AMOUR

Steve Hewitt

Faites l’amour, pas la haine, tel pourrait être le message de Steve Hewitt. Le multi-instrumentiste et ex-batteur de Placebo vole depuis 2010 de ses propres ailes et avec ce second album de sa formation Love Amongst Ruin, elles semblent le porter inexorablement vers la victoire.

De Bowie au Blue Nile, en passant par Depeche Mode, Psychedelic Furs, Joy Division, Oasis, Cure ou Bowie, Steve Hewitt ne cache guère ses influences. Au contraire, il les revendique dans ce rock climatique résolument british qui sait aussi parfois se montrer aquatique voire aérien. Normal, LAR (Love Amongt Ruin) a ce pouvoir de vous arracher à l’attraction terrestre lorsque Steve laisse sa voix se noyer sous des vagues de guitares. Dans ce salon d’hotel parisien, si le chanteur-guitariste-claviers-batteur enchaine les interviews, ses yeux ne perdent jamais leur douceur. Discussion à bâtons rompus avec un musicien qui sait se montrer largement aussi attachant que sa musique. Et c’est rare ! (NB : cet entretien s’est déroulé avant les attentats du 13 novembre)

LAR LYW ALBUM COVER« Je sais que c’est banal comme question, mais elle est incontournable : où as-tu trouvé le nom du groupe ?

Je n’en sais trop rien, cela me paraissait naturel, car après tout ce temps passé avec Placebo et la manière dont cela s’est fini pour moi…

…abruptement ?

Abruptement, certainement. C’était un sacré divorce.

Comment l’avais-tu découvert par mail, par sms ?

J’ai été alerté par notre manager. Je venais de finir le « Meds World tour » aux USA, j’avais regagné le Royaume-Uni et deux semaines plus tard, je reçois un coup de fil : c’est notre manager qui veut que j’aille déjeuner avec elle. J’y vais et là d’un seul coup, elle me dit : bon, c’est fini, tu es viré.

Non ? Après douze ans ? C’est super élégant !

Je trouve également. Alors je lui ai répondu : c’est vrai ? Et là elle me dit : « Tu ne t’en doutais pas ? » Et j’ai dit : non. Et c’était tout. Point final. Donc tu peux aisément t’imaginer ce qui se produit lorsque ton univers s’écroule d’un seul coup. Je lui ai dit ensuite : mais où est le reste du groupe ? Pourquoi ne sont-ils pas là aujourd’hui ?

Si ça peut te consoler, ton collègue Pete Best a vécu la même scène avec Brian Epstein lorsqu’il s’est fait virer des Beatles pour être remplacé par Ringo  !

Fort heureusement, deux jours après avoir appris cette nouvelle, je commençais à comprendre que pour continuer dans la musique, je me devais d’aller de l’avant. C’est ce qui m’a inspiré ce nom, car je ne m’attendais pas du tout à recevoir cette nouvelle, je croyais naïvement que les mecs du groupe étaient mes amis. Voilà pourquoi j’ai choisi « L’amour parmi la ruine » , car même sur des ruines l’amour peut toujours s’élever au-dessus. C’était une véritable réponse poétique à ce que je vivais.

Mais lorsque tu faisais le batteur chez Placebo, tu jouais déjà de tous ces instruments ?

Ah oui, bien sûr. J’ai toujours joué de la guitare, de la basse, de la batterie, j’ai toujours chanté et assuré les chœurs. Même si, officiellement dans Placebo, je faisais surtout de la batterie et je composais aussi, bien entendu. Tu sais cela fait très longtemps que je joue dans des groupes.

Oui tu jouais dans certains groupes comme les Boo Radleys !

Exactement. Et bien avant Placebo !

J’ai regardé sur une carte et Northwich, la ville où tu es né, est très précisément équidistante de Manchester et de Liverpool.

Incontestablement, les Boo Radleys étaient originaires de Liverpool. Oui j’ai eu la chance d’appartenir à la fois à ces deux scènes pourtant si différentes.

J’ai toujours pensé qu’il existait un réel antagonisme entre les groupes de ces deux villes ?

Peut-être bien. Mais en étant au milieu j’ai eu la chance de vivre le meilleur de ces deux univers ! Mais oui, objectivement, la musique a été une influence majeure en grandissant entre ces deux villes si emblématiques pour le rock. Mais oui j’ai toujours été entre plusieurs groupes. J’avais rêvé d’être batteur. J’ai donc appris seul à jouer de la batterie, mais toujours entouré de guitaristes, de bassistes, de chanteurs. Si tu es un peu curieux, tu commences forcément à essayer d’en jouer.

J’ai essayé de me souvenir à quels fameux batteurs j’avais parlé en en fait il n’y en a que deux, Phil Collins pour Genesis et Don Henley pour les Eagles.

Et tu as oublié Dave Grohl. Mais j’ai aussi dû écouter Genesis et Eagles avec mes parents lorsque j’étais jeune. Phil Collins a toujours été présent dans nos vies, qu’on l’aime ou pas, mais il y avait toujours une radio pour le passer. Mais pour ma génération l’exemple le plus vibrant de chanteur-batteur est surtout Dave Grohl avec les Foo Fighters. Et heureusement qu’il était là avant moi pour me prouver qu’un batteur pouvait quitter son ancien groupe et rebondir en tant que chanteur.

Par contre ce qui est étrange dans ton album, c’est que la voix est mixée assez en arrière derrière les guitares, les synthés et tous les instruments.

Tu sais certains mixages collent mieux à certaines musiques. Si tu fais un pur pop hit alors forcément les voix doivent être complètement en avant par rapport à la musique. Mais si tu essayes de réaliser quelque chose de plus climatique, alors la voix devient juste un instrument parmi tant d’autres alors forcément elle se retrouve plus plongée dans la musique. C’est aussi la volonté de pouvoir réer quelque chose où les gens doivent un peu tendre l’oreille pour bien comprendre.

« Lose Your Way » qui ouvre ton album me rappelle un peu les Psychedelic Furs.

Cool. J’adorais les Psychedelic Furs !

Ils avaient même une compo intitulée « Lose My Way » !Steve Hewitt

J’ai grandi en écoutant des groupes tels que le Psychedelic Furs. L’influence si elle existe doit être de manière inconsciente.

Dans l’ensemble, je trouve l’album plutôt influencé par les années 80 de Depeche mode et de Cure.

Je suis un très gros fan de Cure. J’ai vraiment grandi en écoutant les Cure. Non que j’ai cherché à les copier, mais j’ai énormément appris en écoutant leurs albums.

En fait la seule influence commune que je peux trouver entre ta musique et celle de Placebo c’est Bowie.

Hé, c’est normal. Bowie ne fait-il pas partie des meubles ? Et puis c’est un tel caméléon qui se fond dans tant de modes et tant de sons. Il a dû influencer tant de groupes différents avec tous ses personnages, tous ses sons ! Bowie est tout simplement unique.

« Modern War Song » une de mes chansons favorites de l’album me rappelle un peu Depeche Mode par son coté « angélique »

En fait, le texte a été dicté par la musique, la chanson évoque la guerre vue par un soldat qui interroge un politicien : « pourquoi sommes-nous là à se battre ?  Et pourquoi vous vous n’êtes pas à nos côtés pour arrêter cette guerre ? » C’est le point de vue de la « chair à canons » et cela compte encore plus aujourd’hui. J’ai un gamin de six ans qui regarde la télé et comme moi à son âge en train de regarder une autre guerre, ce sont encore les mêmes images de combats et de désolation. C’est même encore pire, car on dirait qu’il y a encore plus de guerres aujourd’hui qu’il n’y en avait auparavant. Et le pire c’est qu’on s’y habitue. Et moi je n’ai pas envie de m’accoutumer à l’horreur.

Donc tu pensais à ton fils lorsque tu l’as écrite. Et tu lui dis : lorsque tu grandiras, s’il te plait, essaye de nous bâtir un monde où la guerre sera exclue.

Exactement. Je veux qu’il réfléchisse sur le point de savoir : pourquoi les hommes se tuent autant les uns les autres, et cela sans aucune raison.

Quel est le prénom de ton fils ?

Byron.

Il a intérêt à bien savoir écrire avec un tel prénom.

Assurément. En tout cas, il y a aussi de l’espoir dans cette chanson comme un désir de pureté retrouvée. D’où le côté angélique, sans doute.

Cela parait incroyable de pouvoir véhiculer de telles émotions juste par le son.

La musique n’est elle pas justement faite pour cela ? Pour moi la musique ne doit pas se résumer à de la merde qu’on peut balancer après usage !

J’aime beaucoup l’idée développée dans « Paper Tigers » tigres de papier !

C’est à nouveau l’observation de notre société, la chanson reflète le fait que les gens deviennent de plus en plus égoïstes, ne pensant qu’à eux-mêmes. Notre faculté compassionnelle est en plein déclin. « Paper Tigers » est une manière un peu intellectuelle d’expliquer aux gens que non ils ne peuvent contrôler le monde malgré ce mirage d’omnipotence que peut être internet. Nous devenons incapables de communiquer les uns en face des autres, d’homme à homme, lorsque nous nous retrouvons.

Musicalement, on songe un peu à Joy Division.

Ah, le son de Manchester ! Joy Division m’a également très massivement influencé, je l’avoue. Beaucoup plus que New Order d’ailleurs.

« So Close » est en total contraste avec le reste de l’album avec son début délicat et sa montée crescendo.

C’est une sorte d’assaut sonique. C’est la première fois que je chante avec cette tessiture, que je la pousse ainsi aussi haute. De plus, son schéma n’est pas le classique refrain/couplet, tout s’enchaine à la suite.- avec une réelle montée en puissance.

J’aime également « Menace Ballad » si rafraichissante et si lente au point d’en devenir presque aquatique.

C’est vrai, elle a un je ne sais quoi d’aquatique. S’il doit y avoir une chanson d’amour sur ce disque, c’est bien celle-ci. C’est une sorte d’appel au secours . Lorsque tu places quelqu’un sur un piédestal au point de te retrouver en état second, en adoration en quelque sorte.

Steve HewittEn tout cas, tu te distingues, car c’est la seule « love Song », le reste des thèmes de tes chansons partent dans tous les sens…et c’est justement ce que l’on apprécie chez toi, cette rare diversité. Mais cela tient à ta personnalité, n’est-ce pas ?

J’avoue. Car il n’y a pas que l’amour dans la vie, même si cela a souvent de l’importance. Il y a tant de choses à explorer, à expérimenter dans la vie. Je lis énormément, beaucoup de journaux également. Et je passe mon temps à en parler avec ma femme , avec mes proches, car le futur nous préoccupe et il y a tant à dire à ce sujet. Souvent, je suis frustré que cela n’avance pas plus vite dans la bonne direction. C’est là que tu te dis que les choses doivent d’abord changer à ton propre niveau et que tu dois en faire le plus possible pour tenter de réveiller les consciences. Et surtout d’essayer de faire avancer quelques idées positives.

L’inexorable montée de la violence dans le monde ne t’effraie pas ?

Bien sûr que cela me terrifie, je suis encore sous le choc des attentats de Paris avec Charlie Hebdo – l’ITW s’est déroulé le 26 octobre donc avant les derniers attentats du 13 novembre- par des gens qui cherchent à imposer leur religion à un pays où règne la liberté d’expression. Et où quelqu’un ose faire un dessin et il se fait assassiner pour ça ! Mais quand tu vis dans un pays différent de tes idéaux, cela ne peut fonctionner.

Vous avez le Londonistan dans la banlieue de Londres où règne quasiment la charia.

Oui, je le sais bien.

C’est pour cela que tu as écrit « Oh God » une chanson pour Dieu ?

Non ; « Oh God «  est une chanson qui évoque différents champs de bataille de par le monde et la chanson les transpose dans nos communautés, dans notre voisinage. C’est une observation pour souligner combien les gens pouvaient parfois se pourrir la vie les uns les autres. Et pourquoi ils ont toujours besoin de se battre de la sorte.

Et par conséquent, mon Dieu est toujours meilleur que ton Dieu ?

Oui, sans doute aussi. Alors voilà pourquoi je demande à Dieu : pourquoi ? Pourquoi cette personne me veut elle du mal ?

Musicalement, elle sonne assez Bowie mais avec un côté Depeche mode teinté de the Blue Nile…

Ah oui ? Ah j’adorais Blue Nile ; quel groupe fabuleux c’était. Ce sont tous des artistes avec lesquels j’ai grandi. Peut-être ce que je partage également avec eux c’est ce désir d’échapper à notre réalité. Quand tu écoutes de la musique, elle devrait avoir ce pouvoir de te transporter dans un autre monde. Lorsque tu penses librement dans ta tête, tu n’as plus besoin de croire que tu es coincé sur cette planète. Tu peux t’envoler vers un ailleurs. Qui peut être aquatique ou aérien et qui n’a donc pas forcément besoin de se situer aux confins des étoiles pour exister.

L’album te paraissait trop court, c’est pour cette raison que tu as aussi mis deux versions alternatives de deux chansons ?

Non. En fait j’ai retiré trois chansons, car elles manquaient de cohésion par rapport au reste. Et les deux reprises à la fin sont comme une vision alternative de ces chansons. Je précise que ce ne sont pas des remixes mais bien d’autres versions. C’est ma manière à moi de proposer un album différent, peut-être ? Et s’il n’est pas trop long c’est que tu dois l’écouter bien des fois pour capturer toutes les subtilités que je m’amuse à glisse parmi les pistes d’enregistrements de l’album.

Tu as dû passer des années en studio ?

Pas du tout, j’ai tout bouclé en un mois pour cet album. J’ai passé six mois d’écriture et ensuite tout a été emballé en quatre semaines. Et je suis revenu une semaine pour parfaire les mixes et c’est tout. Donc en tout j’aurai mis cinq semaines pour achever cet album.

Love Amongst Ruin part en tournée ?

Le 14 décembre, nous serons en concert au Flèche d’Or Café. Ce sera la dernière date de ma tournée européenne, puis ensuite nous partons aux États-Unis. Et nous revenons en France ensuite l’été prochain pour jouer dans des festivals. Je suis occupé également à produire, j’ai fait trois albums pour trois groupes différents comme Six By Seven, un groupe anglais, et Lys un groupe français et aussi Spiral 69 qui sonnent un peu comme Nine Inch Nails, Dede Devy une chanteuse des Barbades et enfin, je finis une compo pour le nouveau film des Avengers. J’essaye de me conserver occupé, on va dire ! Sans compter les enfants, j’en ai deux, un de 21 ans et un second âgé de 6 ans. Surtout celui de 21 ans d’ailleurs…rires ! Petits enfants petits soucis, grands enfants grands soucis comme le disait ma grand-mère !

 Love Amongst Ruin sera en concert le 14 décembre au Flèche d’Or Café

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