Rigoletto à l’Opéra de Paris
C’est sans doute très rigolo de s’attaquer à … Rigoletto ! JCM s’y est adonné et s’y est manifestement poilé 😂…. Inspiré du Roi s’amuse de Victor Hugo, Rigoletto marque un tournant esthétique dans la carrière de Giuseppe Verdi. C’est le premier volet d’une trilogie « populaire » que le compositeur italien poursuivra avec Le Trouvère et La Traviata. Un chef-d’œuvre passionné où se côtoient la haine, la violence, l’amour, la malédiction et la vengeance, le premier des opéras verdiens à sonder les affres du cœur avec autant de pudeur et de délicatesse.
Par Jean-Christophe MARY
Placée sous la direction du jeune chef Giacomo Sagripanti, cette collaboration entre le metteur en scène Claus Guth et l’Opéra de Paris est un pari réussi.
Dans le Palais de Mantoue, le bouffon Rigoletto est le complice des mœurs libertines du duc, son maître. Lorsque Rigoletto apprend que le duc tente également de séduire sa propre fille Gilda, le bouffon tend un piège mortel à son seigneur. Malheureusement, Gilda fait déjouer ses plans, au péril de sa propre vie. Fou de rage, Rigoletto promet à sa fille, horrifiée, de la venger. Cette vengeance se retournera tragiquement contre lui. Entre le duc, futile, licencieux, et Gilda, victime de l’ignorance dans laquelle elle est retenue prisonnière, se dresse une figure à deux visages : celle du bouffon bossu et celle d’un père obsédé par la malédiction. Monstrueux et déchirant, grotesque et sublime, le rôle-titre atteint son apogée dans l’air « Cortigiani, vil razza dannata », dont le mouvement descendant, de l’explosion de rage à l’imploration, affirme la capacité du compositeur à plier une forme héritée du bel canto à la vérité du théâtre.
Le parti pris de Claus Guth est de présenter ce mélodrame sous l’angle de la malédiction dont est frappé le personnage principal. A travers ce double de Rigoletto, le spectateur assiste au drame à travers les yeux d’un homme vieilli et brisé, entre le SDF et le sosie du Joker de Batman, un bouffon qui revis la tragédie qui l’a détruit et a causé la mort de sa fille. Le décor imposant, une immense boite en carton, est une véritable trouvaille. Toute l’histoire de Rigoletto tient dans cette boite de pandore qui s’ouvre sur l’acte 1 et se referme sur l’acte 3. La vision du metteur est structurée autour de la relation père-fille. Saisi de panique à l’idée de perdre Gilda, Rigoletto s’emploie à la mettre constamment en scène en petite fille, comme s’il voulait l’empêcher de grandir, de devenir une femme. Gilda réagit en dissimulant son désir naissant pour un étranger qui se révèle être le duc. Mais cette échappatoire est un leurre car le duc projette sur elle ses propres fantasmes. Elle passe ainsi d’une prison à une autre. Coté voix, on a plaisir de découvrir Dmitry Korchak reconnu comme l’un des ténors les plus doués de sa génération dans le rôle de Il Duca di Mantova. Ludovic Tezier, à la voix autoritaire et chaude, riche sur toute la tessiture, campe lui un Rigoletto particulièrement touchant. Sa gestuelle et sa théâtralité dévoilent un père sensible, aimant et inquiet.
Ce bouffon revoit défiler sa vie devenue une humiliante farce que seule la présence de sa fille peut adoucir. On retrouve avec un plaisir non feint «La donna è mobile », l’aria qu’il entonne dans le troisième et dernier acte, c’est l’un des airs d’opéra les plus populaires au monde. Nadine Sierra, l’une des plus belles voix de soprano à être apparue ces dernières années, endosse elle le personnage de Gilda, le premier grand rôle avec lequel elle avait débuté sa carrière en Floride, lorsque elle avait tout juste vingt-trois ans. Un rôle qu’elle maitrise parfaitement avec ces modulations riches, tout en finesse. Son « Caro nome » est génial. Sa technique est phénoménale, il suffit d’entendre ses trilles parfaits. Son interprétation est dramatique, émouvante et apporte de grandes émotions dans l’aria. Enfin, le géorgien Goderdzi Janelidze, baryton basse au timbre magnifique, compose-lui un Sparafucile inquiétant. Si on ajoute à cela un mariage qui allie costumes de la Renaissance et vêtements du 21eme siècle, la musique imposante et majestueuse composée par Giuseppe Verdi, une direction d’orchestre confiée à la baguette du jeune chef Giacomo Sagripanti, ces 9 nouvelles représentations raisonnent déjà aux airs de triomphe.