PAUL COLLINS BEAT ET LA LEGENDE DES NERVES
Extra extra…reed all about it ! Voici 33 ans, je rencontrais Paul Collins et Peter Case, qui avaient fondé avec Jack Lee les mythiques Nerves, poil à gratter-rock californien au crépuscule des 70’s. Aujourd’hui ce héros du beat est back in Paris avec le « Euro Tour Feel The Noise 2015! » qui fait escale ce soir au Petit Bain, 7 port de la Gare, 75013 Paris, Retour vers le futur du rock, voici l’article original du mensuel BEST qui racontait pour la toute première fois dans l’Hexagone la légende des Nerves
SUR LES NERFS
« Les trois Nerves avaient tenté de communiquer leur influx rock’n’rollien à une Californie asthénique. Mais las d’être pendus au téléphone d’un business dur d’oreille, s’étaient séparés. Depuis, les hits de Jack Lee, des Plimsouls de Peter case et le Beat de Paul Collins sont devenus les ramifications du « système nerveux ». Une dissection de Gérard Bar-David
Nous sommes en 1974 et, dans la « City »- les vrais afficionados de San Francisco ne disent pas « Frisco » mais « The City » comme s’il n’en existait aucune autre NDR-, le psychédélisme moribond finit par se faire bouffer par le disco…Sur les murs, les derniers graffitis pacifistes sont recouverts des revendications des gays Américains. dans cet été chaud et sec de 1974, peut être vous êtes vous arrêté face à un distributeur de Coke. Au lieu de ranger le quarter, que la machine vous a rendu en même temps que votre can de Coca, vous l’avez lancé dans un chapeau posé à côté de musiciens de la rue. Ce mec un peu maigre, dont la mélodie a su vous arrêter, c’était Jack Lee. Avec ses deux copains Peter Case et Paul Collins, ils formaient the Nerves. Aujourd’hui, le groupe a éclaté, mais séparément les trois potes se sont accrochés : Jack a su dealer deux mega-hits à Blondie, Peter a formé les Plimsouls et Paul le Paul Collins Beat. Alors vieux radin, vous regrettez encore le quarter que vous leur avez laissé back in 74 ? Inutile de chercher plus longtemps leur nom gravé de bronze sur le macadam d’Hollywood Boulevard. Retrouvons nous plutôt sur un trottoir de California Avenue à San Francisco.
NERVEUX
Jack Lee a débarqué le premier, en droite ligne de l’Alaska. Peter le rencontrera au coin d’une rue et décidera de jouer avec lui, parce que le son de sa guitare le botte bien. Pour Peter Case l’air de San Francisco a des relents de liberté totale ; il a quitté Buffalo, dans l’Etat de New York, une ville industrielle où l’hiver gèle les hommes et les esprits. Après deux ans d’éco, à l’University of Buffalo, Peter réussit à décrocher une bourse gouvernementale. Il se retrouve avec un gros paquet d’argent en poche,1500 $. Jamais il n’avait vu autant de blé entre ses mains : dans sa tête, un circuit s’est disjoncté. Au lieu des bancs de la fac, Peter a préféré un coin fenêtre dans le premier Greyhound en partance pour Chicago; quelques semaines plus tard, sur sa lancée, il s’embarque sur le « Transamerica Express » qui le jette dans le hall de la gare centrale de San Francisco. Il lui reste 1000 $, mais San Francisco est une maîtresse capricieuse ; en deux semaines, il a dépensé son dernier billet vert. Peter Case et Jack Lee se retrouvent dans la dèche et les fast food, vivant d’expédients et de quarters négligemment jetés par les badauds qui remontent dans leur caisse pour écouter Gloria Gaynor ou les Village People en FM stéréo. Heureusement pour Peter, il reste encore quelques rockers dans la ville des collines. Mike Wilhelm, par exemple qui avait notamment été le guitariste des Charlatans – rien à voir avec le groupe British : NDR- , le premier des groupes psychédéliques de la grande vague de 66. Lorsqu’il lui file quelques tuyaux sur la meilleure manière de plaquer un accord, Mike est devenu lead guitar des Flamin’ Groovies, une influence que Peter n’oubliera pas de sitôt. Le dernier arrivé, c’est Paul Collins qui affronte le micro-climat de San Francisco après quelques années de New York City. Quand on ne connaît pas une ville, le meilleur moyen de se brancher, c’est d’aller jeter un œil chez un disquaire. Paul se retrouve au Don Wear’s Music City où il entre en franche collision avec un tableau de petites annonces. Sur un billet déchiré, quelques mots griffonnés : « Original drummer wanted for original music. ». Et un simple numéro de téléphone. Son sang de batteur ne fait qu’un tour ou deux et Paul se retrouve dans une cabine téléphonique en face du magasin. Okay, votre annonce m’intéresse, mais avez vous vraiment envie de bosser ? Je suis fauché et il faut absolument que je joue. De l’autre coté du combiné, Peter pas très bien réveillé balance des « yeahs » à répétition : « On passe ce soir au Rose and Thisle, tu peux venir si tu en as envie. » En fait, ce soir-là, Paul passera tout son temps à descendre des bourbons avec les copains qui l’hébergeaient. Les Nerves ont bien failli ne jamais se rencontrer ! Pourtant, dés le lendemain, Paul rappelle à nouveau son correspondant et prend un nouveau rendez vous pour une audition l’après-midi même. Intérieur petit appart peint en blanc, Paul sur une chaise bat sur…des annuaires téléphoniques. son sens du rythme accroche les autres. Le groupe se bourre d’amphétamines et répète 16 heures par jour. Peter au chant et à la basse, Jack à la guitare et Paul à la batterie, un trio passablement givré pour les standards de l’époque. Vitamines ou folie, les Nerves ont un nom qui leur colle à la peau, mais ils n’accrochent guère que quelques kids des high schools du coin. Les autres, ont les oreilles farcies exclusivement de Frampton ou de Linda Ronstadt. C’était le temps des super-groupes montés de toutes pièces et à grands frais par un business avide de cash flow. A San Francisco, pour le rock, c’est la traversée du désert. La « City » se transforme en gigantesque ghetto homo où le disco résonne en toile de fond, le poum poum bat comme un gros cœur qui rythme l’éxil gay. En effet, le conservatisme puritain bon teint des petites villes Américaines, pousse inexorablement les gays sur la route de Frisco. Les clubs de rock se transforment peu à peu en discothèques usines à danser.
Lorsque les Nerves se présentaient pour une audition, ça ne ratait pas: au milieu de la deuxième chanson, le taulier se levait pour allumer sa télé qui crachait du « Soul Train ». Salut les mecs, revenez quand vous aurez pigé ce qui marche. Pour un groupe de rock comme les Nerves, le dernier endroit où l’on pouvait encore poser ses instruments le temps d’un gig ou deux, c’était le bar sordide de banlieue. The Nerves pouvaient y gratter pour huit dollars et quelques bières parce que, de toute façon, ils coûtaient moins cher qu’un DJ disco … The Nerves faisaient aussi les boums de l’époque, les parties où ils exécutaient avec hargne des covers de Chuck Berry. Pas très excitant tout ça pour un véritable rock and roll band. Peter, Paul et Jack réalisent alors qu’ils se heurtent à des murs, que les maisons de disques se paient outrageusement leur tronche lorsqu’ils débarquent avec leur petite cassette. « Fuck … trois fois fuck » se dirent-ils en chœur, pourquoi ne pas enregistrer un disque nous-mêmes? Auto-production en 76? Pourquoi pas? Paul tape sa mère artiste peintre qui se laisse facilement convaincre, les autres se débrouillent. Jack dessine lui-même le logo des Nerves. Un matin, Peter débarque, complètement excité: « Ça y est… je « L »’ai trouvé ». « L », c’est le Calicorn Studio, un petit 16 pistes downtown où le groupe va enfanter son premier vinyle. Sur les affiches de cinéma de l’époque, on pouvait voir l’« Exorciste », aussi l’ingénieur du son chinois derrière sa console s’amusait-il entre les séances à imiter la petite fille du film – Linda Bair-qui fait « fuckkkkkk…me en gerbant sa purée de pois verte … The Nerves enregistrent quatre morceaux sur ce 45 tours: « Working too hard» de Paul, « When you find out» de Peter, « Gimme some time » et « Hanging on the Telephone », deux compositions de Jack. Deux ans plus tard, Debbie Harry tombera sur ce EP et contractera l’envie d’enregistrer deux compositions de Jack Lee, « Will Anything Happen » et « Hanging on the Telephone » que Blondie transmute en golden hits sur son album « Parallel Lines ». Au Calicorn Studio, en 76, alors que les Nerves avaient la sensation de toucher enfin au saint du saint, l’ingénieur chinois, lui, n’avait rien compris. Tandis que Peter plaçait sa voix sur « When you find out », il lui lançait: « Tu sais, il faut que tu fasses l’amour avec ce microphone ». L’amour? Plutôt la sensualité d’un rock pop tendre et rageur qui fait de ce single un collector’s. Tiré à 2 000 exemplaires, il coûtera exactement 2 000 dollars de l’époque au trio. The Nerves avaient du speed à revendre; ils décident d’organiser une tournée sans le soutien de personne. Avec une seule pièce de 10 cents et quelques cabines publiques, le roublard Paul Collins monte une tournée de trois mois et 18 villes à travers les States. Paul connaissait exactement le prix de chaque unité; alors, à chaque fois, il rappelait la standardiste pour lui dire qu’il avait perdu « 12 dollars et 25 cents» dans la machine. Le tarif qu’il proposait tournait autour de 80 dollars par club, mais Paul savait marchander comme un diable. C’est lui qui a l’idée d’acheter une pub dans Rolling Stone. C’est aussi Paul qui joue le rôle d’attaché de presse des Nerves. Dans chacune des villes où ils doivent jouer, il contacte la presse locale, les radios, les télés. Une vieille Ford LTD noire les embarque avec le matos et en route pour la grande aventure. A leur retour, les Nerves font enfin le Whisky à Go Go, ce club légendaire de Sunset Bd à LA qui les faisait tant fantasmer. Sur scène, le groupe est complètement rôdé et sera l’attraction principale de cette soirée organisée par Bomp records. Mais trois ans de vie intense ont sapé les fondations des Nerves; ce soir-là, ils décident de se séparer. C’est la fin d’une histoire. Peter et Paul forment un moment les Breakaways, mais le feeling n’y est plus. Le bassiste et le batteur sont frustrés de leur rôle de leader; ils prennent tous deux conscience de leur désir profond de se retrouver enfin sur le devant de la scène. Chacun de leur côté, Peter et Paul se jettent à la guitare et au chant. Un couple d’années a filé sur leur agenda rock; Peter Case a formé les Plimsouls, Paul Collins, le Beat, en souvenir de ses années de batterie- et de son amour des Beatles-. Des collines de San Francisco aux studios d’Hollywood, en passant par la froide atmosphère du conditionneur d’air d’un patron de major label, sa matraque-cigare made by Davidoff au bec, la route est longue et incertaine. Elle est semée des pires chausses-trappes que l’on puisse imaginer. Mythologie du rock aux couleurs éclatantes du Golden State, peut-être bien. La Californie renferme quelques monstres sacrés que le système confine dans l’anonymat, tandis qu’il joue de la pub et du marketing pour imposer ses propres images. Certains, pourtant, parviennent à passer en conservant intact leur potentiel musical et artistique. En 1980, le Beat signe un premier album sur CBS. Six mois plus tard, Elektra sort sur son label Planet le premier LP des Plimsouls. Tandis que Paul perpétue le côté pop des Nerves, Peter trace pour les Plimsouls un son aux frontières du Rand B de la fin des sixties. Si aucun des disques ne bouscule le sommeil profond des charts Américaines, en Europe, par contre, les deux groupes font une entrée remarquée sur les platines des indigènes. Sur sa lancée, le Beat débarque à Paris. Paul et ses copains participent au marathon Europe 1 de Baltard-Rock of the 80’s- et assurent la première partie du concert de Police du Palais des Sports. Le LP des Plimsouls se classe dans le Bes-top, mais le groupe hélas ne viendra jamais en France …
BATTEMENT
Juillet 81, Santa Monica Boulevard, Hollywood, ma Pontiac Firebird erre sur le bitume surchauffé. En passant devant le Starwood, fermé depuis deux semaines pour une sombre histoire de dope, mon regard planqué sous les Ray Bans s’accroche à l’affiche qui annonce les Plimsouls; à ce moment-là, j’ignorais encore que je finirais par rencontrer Peter Case dans sa maison de bois de Laurel Canyon. Trois miles plus loin, dans la direction d’Ocean Ave, je cherche désespérément le CBS building où m’attend Paul Collins. Century City, la ville futuriste bâtie par 20th Century Fox pour les besoins des tournages de ses films, a été transformée en cité de bureaux. Mais où est donc le 1801 Century Park West? J’oblique sur la gauche tandis qu’une bagnole de shériff grossit dans mon rétro. Le flic me talonne et m’oblige à stopper. « se gare derrière moi et descend, sa matraque en mains. Bonsoir! Paraît que je n’avais pas le droit de tourner à gauche et que, de toute façon, mon permis français était illégal. Bref, fallait m’estimer heureux d’échapper à la paille humide des géôles yankee. Si je ne suis jamais allé à la convocation pour le juge que m’a rédigée ce flic étrange à la saveur sauvage, j’ai quand même fini par retrouver Paul au huitième. Il m’accueille dans un français un peu hésitant. Lorsqu’il vivait au Vietnam avec ses parents, il fréquentait l’école française …
« Mon père travaillait pour le gouvernement US. Après le Vietnam, nous avons vécu en Grèce où j’ai continué à étudier le français. Plus tard, je suis sorti assez longtemps à LA avec Isabelle, une française qui étudiait à UCLA Je ne l’avais jamais revue jusqu’au concert du Bataclan: elle était juste en face de la scène.
De quelle manière s’est réglé le problème du nom avec ton homonyme, le Beat anglais?
Nous conservons le nom « The Beat» pour les USA et le Canada. Pour l’Europe, le problème n’aurait jamais dû se poser, notre premier LP étant sorti aux States assez longtemps avant le leur. Mais CBS Angleterre a mis des mois avant de le distribuer. Nous étions dans une situation débile; aussi, j’ai accolé le nom Paul Collins à Beat pour que l’on puisse mieux nous distinguer. Heureusement, nous faisons du rock et eux du reggae, c’est plus pratique pour s’y retrouver. Pourtant, au début, cette histoire m’a fait assez flipper. Lorsque nous tournions en Europe, ils étaient pratiquement en même temps dans les mêmes pays que nous. Je suis certain que des gens se sont plantés et qu’ils sont allés voir le mauvais Beat. Dans un canard de rock anglais, ils ont même publié la lettre d’un de ces égarés. « J’ai acheté le premier album du Beat et je l’ai adoré. Me voici en possession du second et je n’y comprends rien. Pouvez-vous me dire SVP ce qui s’est passé avec ce groupe?
Mais si The Beat est devenu le Paul Collins’ Beat, est-ce que ça ne t’oblige pas à être sans cesse en avant par rapport aux autres membres du groupe?
Tu sais, c’est plus facile de monter un concept de groupe sur une personnalité. De toute façon, les autres préfèrent descendre des demis au bar, ils savent que je les représente. La seule chose sur laquelle nous pourrions ne pas être d’accord, c’est sur notre playlist du moment. Larry, le lead guitar, est un vinyle-junky; lorsque tu vas chez lui, tu manques à chaque fois d’être enseveli sous les piles de singles. Larry a des murs entiers recouverts de disques et il sait répondre à toutes les questions imaginables sur le rock. A ce niveau, lorsqu’on commence à parler musique, cela n’engage que nous. Par contre, en ce qui concerne la musique du Beat, nos idées se rejoignent complètement.
Comment s’est passée ta signature sur CBS?
Lorsque nous avons signé, nous n’avons pas hésité entre quatorze gros labels qui se battaient pour nous arracher un contrat. CBS a été le premier chez qui nous avons frappé et ça a de suite collé. Pour le management, ça s’est passé de même avec Bill Graham.
Qui manage-t-il d’autre aujourd’hui?
Bill manage toujours Santana, Ronnie Montrose, Van Morrison et Eddie Money. Il continue aussi à organiser des concerts. Au début, c’était assez problématique d’avoir un manager dix fois plus célèbre que nous. La presse rock de LA a essayé de nous faire passer pour une copie 80’s des Monkees mais Bill Graham a eu l’intelligence de nous laisser nous débrouiller; il n’a pas sorti l’artillerie lourde pour nous imposer.
Et le second LP du Beat?
Notre premier album avait été mis en boite en trois semaines et sur le second, nous pataugeons depuis trois mois. D’abord, nous avons eu un problème de batteur, puisque le nôtre nous a quittés et nous avons utilisé Prairie Prince, le batteur des Tubes, pour quelques morceaux. Mais CBS n’était pas complètement satisfait, nous avons dû enregistrer d’autres compositions au 20 Th Century Fox studio. « Dont Gimme the Drugs » qui est une chanson que nous avons jouée sur scène à Paris, mais que notre maison de disques a écartée pour … heu … certaines raisons morales. Tant pis, nous n’allions pas nous battre pour ça; de toute façon, lorsque The Beat sera enfin un groupe qui marche, nous pourrons enregistrer une version hard-core de « Petit Papa Noël », si ça nous chante. Ce qui compte, c’est le rock, un langage international, aujourd’hui la plus forte de toutes les formes de communication. »
Le soir même, Paul était en studio avec Bruce Botnick, l’ex-ingénieur du son attitré des Doors, pour une séance de mixages. Je les ai rejoints vers dix heures dans les sous-sols du Capitol building, une petite cabine de bois insonorisée où Paul et moi étions assis sur des tabourets de bar haut perchés. Bruce » la quarantaine, barbu, se penchait sur la console, tandis que la bande de 16 pouces de « Dreaming « , une ballade pop du nouveau Beat, caressait les énormes têtes de lecture. Botnick est un personnage souriant, style californien chargé d’histoires. Ce soir, on fait la fête avec le groupe qui se déplace en VW battle-car ,militaire et décapoté. On se retrouve dans un restau italien « C’est la production qui invite « . Thanx mister Botnick!
TENNIS
Quelques jours plus tard, je suis sur la piste de Peter Case, mon second ex-Nerves. Elektra m’obtient sans problème un rendez-vous et le numéro de téléphone de Peter. L’interview est fixée chez lui, dans sa baraque de Laurel Canyon, en plein cœur des collines d’Hollywood. Lorsque je débarque chez lui, il est occupé au téléphone. Peter, en T-shirt noir, me fait signe de m’asseoir sur un fauteuil. C’est le début de l’après-midi, il fait déjà trop chaud pour ne pas avoir soif. Peter s’excuse, il est fauché, il n’a qu’un verre d’eau à m’offrir. Seuls quelques TV sets dans le lointain perturbent le calme qui règne sur les collines. Et si nous parlions un peu des Plimsouls?
« On nous a souvent qualifié de pop band, mais nous ne sommes pas seulement cela. Je crois que nous puisons notre énergie aux mêmes sources que les petits punks de LA comme X ou Black Flag. Les Plimsouls n’ont jamais trempé dans la marmelade des histoires sur les nanas.
Tu ne crois pas que les racines de ton groupe se situent encore plus loin?
Oh bien sûr, nous avons été très influencés par le Rand B. Le premier album représente assez ce que nous faisions, soir après soir, dans les clubs du coin. Mais je dois t’avouer que le son de l’album, après coup, m’a assez déçu. Crois-moi, il ne reflète en rien l’intensité que nous pouvions dégager sur scène. La production était bien trop neutre, comme si Danny Holloway qui l’a réalisé avait craint de prendre des risques.
Tu songes à quelqu’un d’autre pour le prochain 33 tours?
Ces gens ne sont pas toujours faciles à contacter, mais il y en a certains que j’admire beaucoup. Nick Lowe, par exemple, ou Costello. J’aime bien « East Side Story « , le Squeeze qu’il a produit.
Que sont des « plimsouls », en dehors du jeu de mot avec soul ?
En argot, ce sont des sortes de tennis, un peu comme celles que je porte.
Tu n’es jamais venu jouer en Europe?
Tu sais, l’album a bien marché dans toute la Californie. Mais les States sont déjà une autre dimension; il y a des centaines de régions avec chacune ses particularismes et nous ne sommes connus que dans une seule d’entre elles. J’ai appris par hasard, le mois dernier, en rencontrant un Suédois, que notre album était sorti là-bas. On ne nous tient pas au courant de ce genre de choses.
Tu n’as pas de manager?
Une grosse partie des problèmes du groupe étaient dus justement à cette absence de manager. Ça n’a pas été facile d’en trouver un qui soit honnête et qui nous convienne. Nous venons de trouver l’homme qu’il nous fallait, Larry Larson, qui manage aussi Kenny Loggins. Moi, je me sens complètement motivé par la direction musicale du groupe et le côté business m’échappe totalement. D’ailleurs, en ce moment, j’ai quelques milliers de sacs d’arriérés d’impôts et je suis perpétuellement à sec.
Tu ne touches pas d’avance de ta maison de disques?
En tout cas, pas depuis plus d’un an. Je n’ai même pas de voiture (ce qui est un comble à LA). Pour descendre à Hollywood, j’en suis réduit à faire du stop. Et tous les membres du groupe sont dans la même situation financière. On gagnait de l’argent quand on tournait dans les clubs, mais ça ne nous branche plus. Je ne me plains pas, mais les gens ont une image complètement faussée de notre réalité. Ils croient qu’il suffit de faire du rock et de vivre à Hollywood pour décrocher le statut de star et l’existence dorée qu’on peut imaginer. De toute façon, je ne crois pas qu’on puisse faire du rock et-penser à ce genre de truc. Ce qui compte, c’est la musique. Je crois qu’elle devient plus agressive, plus puissante par rapport au premier LP. Nous l’avions enregistré en trois mois; cette fois, j’ai envie de faire le prochain en trois semaines.
A ton avis, quelles sont les chances d’un nouveau groupe qui envoie une maquette à une grosse boîte de LA?
Ça ne sert strictement à rien. En fait, c’est même la dernière chose à essayer; c’est une folie que de perdre ton temps et ton énergie à courir après un gros label. De toute façon, tu ne les intéresse pas. Je crois qu’il vaut mieux bosser dans son coin et, petit à petit, tenter de créer un petit following. Ensuite, tu sors ton propredisque sur un petit label monté pour l’occasion. Tu en tires quelques milliers et tu les distribues aux gigs. En tout cas, c’est ce que je ferais, moi, au lieu d’attendre un A and R qui ne viendra peut-être jamais t’écouter. »
Peter est assez désabusé, sa mèche brune lui tombe dans les yeux. Sa co-Iocatrice entre dans Ia maison en faisant tout un cinéma bruyant qui met fin à l’entretien. Lisa est ingénieur au Wally Heider Studio. Peter et elle partagent le loyer et le prix de la baraque en tout bien tout honneur; c’est assez courant aux U.SA En partant, Peter m’offre le single des Nerves et le premier 12 inches des Plimsouls auto-produit. Peter a beau vivre sous le « Hollywood sign », il conserve son sens de la réalité, le rêve, c’est pour un peu plus tard.
LES KIDS SONT LES MEMES
Six mois plus tard, justement, pas de nouvelles des étoiles. Le calendrier prévisionnel des sorties CBS est plus muet qu’une machine à écrire châtrée de son ruban. Du côté des Plimsouls, rien ne semble devoir se dégager. Où sont passés les kids? Janvier 1981, les choses sont assez confuses, jusqu’à ce coup de fil de Paul: « Hello, je suis chez JJ … à Paris, on peut prendre un pot? « .
Paul était fou de joie de se retrouver en France. Le soir, lorsqu’il est venu diner, il m’a apporté un petit cadeau:
« C’est la cassette du nouveau Paul Colins Beat. L’album sort dans trois semaines, son titre, c’est « The Kids Are The Same ». Paul a suivi sa maman artiste-peintre à Heidelberg, en Allemagne, pour une expo: « J’en ai profité pour sauter dans un train pour Paris ».
Paul, un verre de Beaujolais nouveau en main, parcourt le rayon LP français de ma discothèque. Il rêve de Paris by night et de l’ambiance enfumée des clubs de rock.
« Paris est ma maison away from maison. Tu sais, pour moi, la langue française représente le romantisme et l’esprit, c’est pour cela que j’aime tant la parler. Dans le train qui m’amenait en France, j’ai écrit une chanson: « C’est la vie for me « . Pendant ma semaine en Allemagne, j’ai composé deux morceaux: «Heidelberg » et « Grey skies over Germany « .
Mais pourquoi avons-nous attendu aussi longtemps avant que ne sorte ton 33 tours?
Quand le Beat a enregistré son premier album, on avait déjà trouvé cela difficile. Mais, rétrospectivement, le second a été dix fois, deux cents fois plus dur à mettre en boîte. Au bout de neuf mois de studio dont deux sessions différentes, on m’a dit: « On pense que ce que tu fais est bien, mais on sait que tu peux faire mieux. Pourquoi ne retournerais-tu pas en studio pour une semaine ou deux? ». Avec Steve, le bassiste, et Larry, le lead guitar, on a accepté cette sorte de défi. « Matter of time » et « That’s What Life is All About » sont sortis de cette troisième session. Dans la même période, Bruce Botnick, notre producteur, travaillait sur Kenny Loggins et il a perdu beaucoup de temps. Tant pis, ce qui compte en définitive, c’est l’énergie que sait dégager ce quatuor. En fait, c’est un peu pour cela que nous avons choisi « The Kids Are The Same » comme titre pour le trente, parce que, malgré le temps perdu, crois-moi, notre rock ne s’est pas émoussé. »
Après le diner, j’ai emmené Paul au Gibus pour un concert de Corazon Rebelde, un groupe rock chilien, à la violence un peu Clash. Paul était assez surpris par leur son. Ensuite, nous avons fini au Rose Bonbon. A l’entrée de la boîte, Paul m’a glissé dans l’oreille quelque chose dans le style: « Tu sais, j’adorerais jouer dans ce club « . Il ne croyait pas si bien dire! Trois jours plus tard, dans ce même décor néo rock-coco du Rose Bonbon, Paul Collins et ses guests français investissaient la scène pour un show énergique d’un peu plus d’une heure. Louis Bertignac (Telephone) à la guitare, Phil Dauga (Bijou) à la basse, Plume (ex-Diesel) à la batterie, et Paul à la guitare se défonçaient sur les nouvelles compositions du Beat. « Trapped », « Will You Listen « , « On the Highways » impromptus et surprenants dans ce Paris rock de janvier où les événements se font rares. Paul est un diable d’homme; sa foi dans la musique sait renverser des montagnes d’indifférence. Après son show du Rose Bonbon, il sera même l’invité surprise d’Houba-Houba- émission rock d’Antoine De Caunes-… pour un petit séjour touristique, Paul ne s’en tire pas trop mal. Quelques jours après son départ, j’ai trouvé une cassette dans ma boîte aux lettres. « Million Miles Away », le nouveau 45 tours des Plimsouls, est sorti aux States sur Bomp Records; il devrait être distribué en France par Al International. Quant à Jack Lee, le troisième Nerves, son premier album, « Jack Lee Greatest Hits Vol One », a été édité sur son propre label, « Maiden America Records « . Ainsi, même si les Nerves ne forment plus une entité rock, séparément, les membres du groupe continuent la bagarre sur un terrain qu’ils ont choisi. Pour l’Amérique, Peter, Paul et Jack seront peut-être des stars dans les années 85 ;nous, en France, nous avons la chance d’avoir su ouvrir nos yeux et nos oreilles bien avant. Ces trois mecs ont un potentiel de succès entre les mains, souhaitonsque le système ne leur enlève pas. Les kids sont les mêmes et je crois qu’ils n’ont aucune de se laisser travestir.
Publié dans le numéro 164 de BEST daté de Mars 1982
PS: After all these fucking years « Hangin’ on the Telephone » by the Nerves si still today in 2015 my official ringtone !
PAUL COLLINS BEAT Euro Tour Feel The Noise 2015!
April 17th Fr Clermont Ferrand– Bombshell
April 18th Fr Bordeaux– Bootleg
April 19th Fr Montpellier– Secret Place
April 20th Fr St Etienne– L’Assommoir
April 22nd Fr Brest– Espace Leo Ferret
April 23th Fr Rouen– 3 Pièces Musik Club
April 25th Fr Montbéliard– L’Atelier des Môles
April 26th Fr Nice– Le Volume