PAGE & PLANT: « Unledded » fête ses 20 ans
Automne 1994, Jimmy Page et Robert Plant se retrouvent ensemble sur la scène du Cirque d’Hiver à Paris pour lancer l’album de leurs retrouvailles post-Ledzep « Unledded: No Quarter »….retour vers le futur du rock !
Si l’on excepte une apparition caritative le 13 Juillet 87 au JFK Stadium de New York à l’occasion du Live Aid, Jimmy Page et Robert Plant n’avaient pas partagé la même scène depuis 14 ans. Or dans le plus grand secret et paradoxalement pour MTV, le guitariste et le chanteur du légendaire “plus léger que l’air” se sont enfin retrouvés en Août dernier dans les studios de London Week-End Television pour enregistrer un “Unplugged” panaché de titres flambants neufs et de sanglantes Led Zeppelineries revisitées telles que “Since I’ve Been Loving You”, “Galow Pole” et “No Quarter” qui offre son titre à l’album. Mais au de là de la séléction piochée sur cinq albums de Led Zep, le plus sidérant c’est la forme résolument world-musicale qu’ont choisie d’adopter Page & Plant puisqu’ils sont épaulés, sur scène, au Maroc et sur 14 morceaux, par une chanteuse hindoue, le London Metropolitan Orchestra, un féerique grand ensemble égyptien, des gnawas hallucinés du Maroc et/ou viole, banjo, mandoline et autres artefacts de la culture celte. Et du coup, on comprend mieux le sous-titre du double événement Mtélévisé et CD-publié: “Unledded”, jeu de mot écolo sur le “sans plomb” et ce concept résolument “after-Zep”.
“Doctor Gladstone, I presume?”, le plus colossal des géants du rock, pillé par des générations entière de faiseurs de bruits des hard-rockeux teutons, aux grungeurs grugeurs en passant par la quasi-population des métallistes de tous poils s’offre une transplantation cardiaque de sono mondiale. Le monstre est vivant! Il est même bicéphale. Et il le prouve au parisien Cirque d’Hiver fastueusement relifté pour une conf’de presse évène(dé)mentielle et débordante d’humour face à un parterre interlope de plumitifs village-globalisés, DJs radios et autres TVreporters aux questions plus ou moins pertinentes.
Page Plant face à la presse
“ Qu’est ce qui vous a poussé à vous retrouver et à travailler à nouveau ensemble après toutes ces années?
R.P: Ah je n’avais jamais entendu cette question auparavant. (rires) Elle est très originale dites moi. …mais très évidente! C’est ton tour Jimmy d’y répondre ou c’est le mien….? …Ah c’est toujours mon tour. Ok. Jimmy et moi avons travaillé chacun de notre coté sur différents projets ces 14 dernières années, mais on n’a jamais cessé de se voir. Ainsi, sous diverses pressions de part et d’autre, nous avions déjà accepté de jouer ensemble pour célébrer ensemble notre passé sans aucune préméditation logique. Nous n’avions même pas répétés, pour ces confrontations mega mass-mediatisées qui n’ont pas remporté, je dois l’avouer, de franc succès. Mais MTV m’ a offert de faire un “Unplugged” et je ne pouvais envisager un seul instant de faire mes vieilles chansons sans Jimmy. Nous en avons parlé en Novembre dernier à Boston. L’idée de Unplugged était trop limitatif, ça ne collait pas à nos personnalité et à ce que nous avions fait tout au long de nos carrières. Nous avons donc pris la décision d’accepter MTV à condition expresse qu’on écrive d’abord de nouvelles chansons avant d’essayer quoi que ce soit d’autre. Car nous savions qu’il y avait des tas de terrains mutuels dans nos carrières respectives, et tout spécialement notre relation à tous les deux avec l’Afrique du Nord. Nous sommes tous deux arrivés à la conclusion que nous ne devions pas chercher à revenir en arrière mais plutôt à nous projeter vers l’avenir. Nous avons ainsi réglé cette espèce de collision de nos egos respectifs qui nous poussait à travailler séparément.
Dans quel état d’esprit vous trouvez vous, l’album sort le 8 Novembre, “Unledded” passe sur MTV…
JP: C’est la première fois ce soir que le film est montré au public, c’est déjà une expérience forte en émotionque de l’écouter. Nous avons tant travaillé sur les mixs de l’album, sur la pochette, sur les vidéos etc… pour l’instant je n’en sais trop rien; vous devriez reposer votre question un mois ou deux après la sortie de “No Quarter”. En ce moment disons que nous sommes encore dans l’ivresse, car nous en sommes très fiers.
Vous avez dit que vous souhaitez aller à l’avenir, on dirais que pour vous cela inclue forcément d’aller mondialement ou world-musiquement si vous préférez. Tout le monde aujourd’hui se réclame plus ou moins de ce tam tam planétaire; or en ce qui vous concerne vous l’avez toujours pratiqué et il semble que vous le pratiquiez encore plus aujourd’hui?
R.P: Tu as tout à fait raison, la réponse est un oui franc et massif. Je crois qu’il y a bien longtemps, lorsque nous avons commencé à faire des chansons pour Led Zeppelin I lorsque Jimmy jouait “Black Mountain Side”, les lignes en étaient déjà complètement moyen-orientales. L’effet de cette musique s’est aussi immiscé chez les Beatles ou les Stones, comme elle a pu affecter Led Zeppelin . Mais il est vrai que de tous les membres du groupe, Jimmy et moi étions les plus touchés par cette fièvre orientale. Nous avons énormément voyagé dans ces régions; en 71 nous étions déjà en Inde pour enregistrer avec un sidérant orchestre de Bombay. Il existe d’ailleurs un excellent album pirate pressé au Japon de ces cessions perdues que je te recommande chaudement, sinon tu peux toujours emprunter le mien. Il y a donc toujours eu chez nous cette dérive musicale jusqu’au Maroc. Et depuis le début de ma carrière solo, au tournant des 8O’s, je n’ai jamais cessé d’aller au Maroc et d’être profondément affecté par cette musique; de la même manière aujourd’hui à Paris, j’ai pu être affecté par Barbès où des gens que je connais ont un magasin de disques ; disons que je suis moi même un petit peu marocain, je crois. Et cette musique est si hypnotique et si harmonieuse. Lorsque tu vas là bas, tu découvre que toute sa structure est totalement fragmentée dans sa beauté parcequ’ issue de tant de gens différents, de tant de peuples; et la possibilité du succès commercial n’entre jamais en ligne de compte pour les motiver. La plupart du temps, la musique est là pour célébrer le calendrier de la vie, comme les mariages, les circoncisions, les enterrements et tout cela n’a tellement rien à voir avec George Michael. Et peu importe si Phil Collins a une nouvelle fiancée, Ibrahim le “gnawa” est un homme heureux et cela suffit à me donner la pèche.
B: Comment réagissaient les marocains lorsque vous jouiez là bas sur cette place du marché de Marrakech?
J.P: Au début, c’est évident ils nous observaient avec curiosité. On s’est installé avec la sono et ils ont tout de suite compris qu’il allait se passer quelque chose. Nous avons commencé à jouer avec les guitares et l’on voyait qu’ils étaient intrigués. Mais il ne leur a pas fallu longtemps pour plonger avec nous dans la musique. Ils dansaient et frappaient des mains et ils ont même fini par chanter avec Robert.
R.P: Pour eux la musique est une fête et pas une prise de tête; il n’est pas toujours utile de chercher à l’analyser. C’est ce qu’il a de génial en orient, peu leur importe qui fait du bruit, tout ce qui compte c’est qu’il soit contagieux. Que tu sois à Marrakech ou ailleurs, là où les gens se réunissent tu trouveras toujours du bruit et des musiciens. C’est fantastique, car maintenant ces musiciens qui viennent de leur bled dans les collines ont un micro et un ampli pour faire passer leur chant; peu importe s’il n’est pas aussi bon que celui par lequel je m’exprime aujourd’hui, leur musique est amplifiée et tout le marché peut en jouir. Ce qu’il y a de positif dans tout cela, c’est que la musique n’est pas entravée par ce coté coincé que nous prêtons en occident à la world music comme celle qui transite par Paris ou Londres où tous ceux qui ne s’expriment ni en français ni en anglais sont considérés comme de véritables gourous métaphysiques; et où dans le booklet de leur CD on raconte toujours que leur grand-père vient de Tombouctou et toutes ces foutaises, mais à la base ces gens veulent juste passer un bon moment et basta.
B: On présente un peu votre album comme un revival, une renaissance de Led Zep…dans ce cas où avez vous laissé John Paul Jones? (Encore vivant à l’époque NDR)
R.P: Il est en train de garer la voiture. (rires) Comment veux tu qu’on échappe à ce genre d’assimilation, quelle que soit la maison de disque, elle sera toujours tentée d’exploiter et de capitaliser sur ce genre d’argument pour vendre nos albums.
JP: En fait, lorsque nous nous sommes retrouvés, nous avons commencé à travailler sur les boucles qui constituent “Yallah” et “Wonderful One”. Martin Meissonnier avait envoyé un paquet de bandes à Robert et en quelques jours nous avions déjà avancé sur cinq ou six titres. Puis nous avons commencé à expérimenter avec Charlie (Jones)- gendre de Plant et sans rapport avec John Paul Jones- et Michael (Lee)- ex Little Angels, qui constituent la section rythmique. Et petit à petit tout s’est mis en forme avec les musiciens, sans que l’on ait même besoin de se demander pourquoi nous n’avions pas contacté John Paul Jones.
R.P: En tous cas, sans ces boucles sequencées nous n’existerions pas aujourd’hui car nous n’avions aucune envie de reconstituer un groupe, on n’avait aucune envie de se mettre dans une position telle où nous aurions recherché dans les yeux d’un batteur quelqu’un qui ne peut hélas plus être là. Le boulot de Martin a été de créer des rythmes très évocateurs sur lesquels nous avons pu travailler ensuite et c’est vraiment ce qui nous a permis de démarrer à deux, un guitariste et un chanteur qui ont déjà écrit ensemble un sacré paquet de chansons. On savait très bien que si nous n’aimions pas ce que nous faisions, on pouvait toujours laisser tomber.
B: Combien de fois vous a t’on déjà demandé si vous alliez reformer le groupe?
R.P: Oh quasiment jamais après les cinq premières années du split; …je ne refusais pas de jouer avec Jimmy, mais l’idée de relancer tout le cirque avec un autre batteur dans la forme d’un groupe paressait totalement obsolète, sans mobile, sans motivation autre que de se dire qu’on pouvait faire mieux que les Stones. Et c’est une approche fatalement faussée et perverse.
B: Pourtant ne vous avait t’on pas offert 1 milliard de Francs pour une tournée-réunion?
R.P: Je ne connais pas la tentation.
B: Votre cocktail musical pourrait il aussi fonctionner avec la musique ou japonaise ou brésilienne
J.P: Nous utilisons aussi les rythmes celtes dans notre musique. Tu as pu voir dans le film qu’on utilisait la viole, le banjo, la mandoline etc…Pour l’instant nous avons choisi cet axe celte/orient mais cela ne présage en rien tous les métissages que nous pourrons tenter à l’avenir.
R.P: Je ne trouve pas que les rythmes dont tu parles soient aussi séduisants que ceux que nous avons utilisé. Ils ne me touchent pas autant que les tablas ou les bendirs. Car il faut que cela me touche au plus profond de moi. J’aime la samba…mais je suis incapable de tourner autour, de la chanter. Or pour chanter, j’ai besoin d’être captivé, j’ai besoin de me sentir projeté vers d’autres couleurs.
B: Sur quels critères avez vous choisi les anciennes chansons de Led Zep que vous avez ré-enregistrées pour “No Quarter”?
R.P: On a tenté de réinventer nos personnalités musicales pour découvrir où nous nous sentions confortables physiquement et comment nous pouvions projeter ce que nous faisons. Objectivement, il y avait certaines chansons que nous n’avions aucune envie de retravailler ou que nous devions éviter pour les raisons évidentes que vous connaissez. L’idée d’utiliser des musiciens d’autres cultures s’est peu à peu imposée. Et aussi le reflet des trucs gaéliques paressait s’imposer. C’était une manière de détourner toute l’intensité que représentait ces chansons en amenant quelques artistes solos qui leur apportaient une nouvelle contribution majeure pour qu’elles aient ainsi une nouvelle vie.
B: Y a t’il une tournée prévue?
R.P: Oui si nous ne nous séparons pas d’ici là…on a une vague date de début en Février….peut être à l’Université de Cardiff, après tout c’est là où nous avons commencé. C’est le coté celte qui parle en moi. Nous revisiterons en l’ étendant notre travail passé en écrivant un tas de nouvelles chansons. Nous avons déjà beaucoup plus de chansons prêtes que celles que vous avez découverts sur ce film et cet album; nous avons donc un perspective solide. Mais notre désir de faire de la scène avec tous les musiciens du film, marocains, égyptiens et hindous est sans doute ce qu’il y a de plus excitant.”
(publié en Novembre 1994 dans le numéro 5 du magazine BUZZ)