LE VOL DU BOLI UN OPERA DE DAMON ALBARN
Après l’opéra pop « Monkey, Journey to the West » à partir d’une légende chinoise et « Wonder.land », inspiré d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Damon Albarn retrouvait pour trois soirs la scène du Châtelet, à l’occasion de la création française du Vol du Boli. Cet opéra contemporain s’inspire de l’histoire de l’écrivain ethnologue Michel Leiris qui en 1931 déroba le Boli -un objet sacré utilisé au Mali et au Burkina Faso – afin d’enrichir les collections du Musée de l’Homme à Paris.
Par Jean-Christophe MARY
Pour mieux se réinventer, Damon Albarn est allé chercher l’inspiration du côté de l’Afrique et de l’Europe au XIIe au XXIe siècle en s’associant au réalisateur du film « Timbuktu », Abderrahmane Sissako. Dans cette collaboration étroite à partir des récits Michel Leiris, le musicien britannique et le cinéaste abordent ici les thématiques de l’esclavage, la colonisation, la spoliation, l’exploitation. Ce soir, 37 artistes musiciens, chanteurs et danseurs évoluent sur l’immense scène centrale du Théâtre du Châtelet.
Le spectateur assiste à un incessant va et vient de tableaux et de décors mouvants, d’écrans géants où sont projetées des images de foule, de constructions urbaines, symboles de la mondialisation. Surprenant, ce « Congo bonheur » lieu de débauche excentrique. Étonnantes, ces immenses baies vitrées d’un salon colonial, intrigant, ce fameux Boli, artefact rempli de magie, représentant un petit buffle capable d’accomplir des actes extraordinaires que l’on retrouve en fil conducteur du show.
La scénographie fluide d’Abderrahmane Sissako aborde le sujet de l’Afrique maintes fois colonisée, au fil des siècles, mais pose aussi des questions existentielles, la vérité et le mensonge, les rapports de force entre l’Europe et l’Afrique, du Moyen Age à nos jours. En plein mouvement #BlackLivesMatter, alors que la Chine colonise à son tour le continent Africain, ce spectacle nous donne à réfléchir sur l’impérialisme et plus généralement les relations complexes et douloureuses entre les continents. Plus qu’une condamnation, ce spectacle suscite l’émotion et appelle le spectateur à la réflexion. Cette œuvre musicale n’a pas vocation à faire la leçon à l’Europe. Elle vise à mieux nous faire comprendre le monde actuel. Les personnages principaux font une forte impression. On retiendra la présence charismatique de Fatoumata Diawara, dont la voix puissante aux envolées lyriques fait de belles étincelles . Le comédien Baba Sissoko incarne avec majesté un griot narrateur. Les scènes cocasses et drôles viennent de François Sauveur qui campe tour à tour les rôles Michel Leiris, un maître, un dictateur fou, un résistant, Léopold II, une incarnation du pouvoir blanc.
Coup de cœur pour la musique brillante dirigée en live par Damon Albarn, jouée ici par 12 musiciens autour d’instruments de musique médiévale (flûtes, basson renaissance, trompes ) et instruments africains (Djembe, Kora, Balafon). On retrouve d’ailleurs avec plaisir un virtuose de la Kora, l’excellent Mamadou Diabaté. La musique se faufile à travers l’action, mets tantôt en relief la spoliation du Congo, le pillage des minerais, l’esclavage ou bien illustre de façon plus amusante, les animations informatiques sur écran géant, telles les constructions urbaines, symboles de la mondialisation galopante. On apprécie aussi les costumes d’Élisabeth Cerqueira, conçus à partir de matériaux de récupération, aussi étranges que singuliers, le plus réussi étant celui de cet homme recouvert de bouteilles en plastique, symbole la pollution des mers.
Le Vol du Boli sera repris, pour une vingtaine de dates, lors de la saison 2021-2022 au Théâtre du Châtelet.