L’ANAGRAME DE THE MAN FROM MANAGRA
En janvier dernier, j’avais craqué sur le lumineux album « Half A Century Sun » de cet OVNI venu de Grèce, dont l’alias est The Man from Managra ( voir la chronique de l’album sur Gonzomusic.fr https://gonzomusic.fr/the-man-from-managra-half-a-century-sun.html ). En écoutant l’inclassable musique de Coti K, entre David Gilmour du Floyd et Kevin Ayers, j’ai eu naturellement envie d’en savoir plus sur cet étrange personnage. Premier entretien EVER pour la presse française de The Man from Managra.
Les deux derniers artistes grecs que j’ai interviewé étaient Vangelis O Papathanassiou pour BEST et Nana Mouskouri que j’ai filmée toute une journée au Parlement Européen à Bruxelles, dans ses fonctions de député européenne. Bien entendu, j’étais et je reste toujours fan absolu du fascinant « 666 » des Aphrodite’s Child ( voir ma kronik https://gonzomusic.fr/aphrodites-child-666.html). Mais il faut avouer qu’en dehors de cela, je n’avais rien entendu d’excitant venu de Grèce depuis des lustres. Et heureusement que Nikos Aliagas ne pousse la chanson ! C’est sans doute pour cela que j’ai souhaité rencontrer Coti K par la magie de FaceTime dans un live direct entre Megève et Athénes.
« Tu es né en Italie. Es-tu italien ou grec…ou les deux ?
Je suis effectivement à moitié italien. Ma mère est italienne et mon père est grec. Je suis né à Milan il y a fort longtemps maintenant. Mais je n’étais qu’un tout petit garçon lorsque nous avons emménagé en Grèce. Mes parents se sont rencontrés en Italie. Ils s’y sont mariés puis ils ont eu une fille, ma grande sœur et ensuite moi.
Ton pére étudiait en Italie, c’est ainsi qu’ils se sont rencontrés, n’est-ce pas ?
Oui, il suivait des études pour devenir ingénieur dans la marine. C’est un peu un point commun avec The Man from Managra. En tout cas sur le thème nautique, la mer et tout cela.
Et ta mère, elle étudiait la même chose ?
Elle finissait le lycée. Toute sa famille était de Gènes, mais elle l’a suivi en Grèce. Elle ne travaillait pas, s’occupant de la maison et de nous. Mon père était un excellent ingénieur, mais il voulait devenir un homme d’affaires. hélas, il était meilleur ingénieur que businessman.
Mais donc ta mère n’était pas une artiste soprano et ton père n’était pas un fameux producteur de disques ?
Non, je ne suis pas du tout né dans une famille musicale. Ma grand-mère était effectivement musicienne. Mais je ne suis pas issu d’une lignée de musiciens. Et pourtant depuis plusieurs décennies, je suis parvenu à devenir, musicien, ingénieur du son et producteur.
Qu’est-ce qui t’a attiré dans la musique. Qu’est-ce qui a modifié le cours de ta vie ?
J’étais plutôt âgé pour faire de la musique. J’avais, peut-être, 15 ans, jusqu’alors je me souciais peu de la musique, même si j’en écoutais déjà. Mais il s’est passé une chose étrange : je me suis cogné me donnant un énorme coup sur la tête. Je faisais du skateboard et j’ai glissé ; c’est le bas de mon crâne qui a tapé. En fait, durant toute une journée je ne me souvenais de rien. Mais je sais que le lendemain je suis allé échanger mon skateboard contre une guitare. Et pourtant je ne savais absolument pas en jouer. Une décision totalement inexplicable. Mais, c’est pourtant vrai, en me cognant la tête je me suis métamorphosé de skateboarder maladroit en musicien prometteur.
Qu’écoutais-tu à l’époque ?
Les Stranglers. En fait j’écoutais surtout les groupes qu’écoutait alors ma grande sœur plus âgée de deux ans et bien plus mature que moi à l’époque. « Ratus Norvegicus » des Stranglers et « Unknown Pleasure » de Joy Division étaient alors ses favoris. Donc ils sont également devenus les miens !
Ah rien que de la musique super joyeuse ! Pink Floyd et David Gilmour feeling dans ta musique
Oui je possède la plupart de leurs albums, mais je n’ai pas vraiment conscience qu’ils m’aient autant influencé. Mais c’est une musique géniale et il n’est pas exclu qu’elle soit parvenue à m’infiltrer.
Ta manière de toucher la guitare a un je ne sais quoi de David Gilmour. D’ailleurs son album « On An Island » a été composé sur l’ile de Rhodes ou le chanteur-guitariste du Floyd possédait une résidence.
Je me souviens lorsqu’il jouait sur l’album de Kate Bush. Il l’avait découverte, en fait. Elle lui avait fait parvenir une maquette et il avait craqué. Mes « guitares » sur l’album sont en fait une guitare basse accordée de manière un peu différente.
Et donc qu’est-ce qui t’a fait passer de l’autre côté du miroir, qui t’a donné envie de consacrer ta vie à la musique ?
J’ai joué avec différents groupes à droite à gauche. On faisait alors du rock post-punk. Comme je ne savais pas trop quoi faire de ma vie, j’ai décidé de rentrer dans une école qui formait des ingénieurs du son. Mes parents étaient assez désespérés quant à mon avenir. Un copain s’était inscrit à cette école, alors je me suis dit : pourquoi pas. C’est très proche de la musique. J’en suis sorti diplomé et je suis parvenu très vite à me faire engager. Donc avat de devenir producteur, j’ai longtemps été simple ingénieur du son dans différents studios d’Athènes. J’ai bossé sur beaucoup de disques. J’ai même fait un album pour Loukas Sideras et un autre pour Silver Koulouris, les deux membres des Aphrodite’s Child. Et comme Vangelis produisait financièrement leurs albums, j’ai eu également l’occasion de le rencontrer. J’avoue posséder « 666 » dans ma collection de disques. C’était un groupe super. Au bout de cinq années en tant qu’ingénieur, je me suis mis à produire. On était au début des années 90. C’est étrange, mais en Grèce il n’y avait pas vraiment de producteurs. Ce qu’ils appelaient alors « producteurs » en Grèce était en fait des A&R. Le « producteur » était alors juste un salarié de la maison de disques qui vérifiait que vous ne dépassiez pas trop le budget imparti. Un comptable amélioré en quelque sorte. Un jour un group sur lequel j’avais travaillé m’a demandé : hé Coti tu veux être crédité en tant que producteur ? » J’ai dit : ben oui, pourquoi pas ! « . et c’est comme ça que j’ai commencé. Le nom du groupe était Flowers of Romance.
Quel genre de producteur es-tu ?
Je crois qu’avant tout le processus d’enregistrement doit être fun. Pour moi, nul n’a besoin de souffrir pour être créatif. Au contraire, il faut être capable d’apprécier ce moment privlégié.
Avais-tu des producteurs que tu admirais particulièrement ?
Le premier qui m’ait vraiment impressionné était Brian Eno. Et le second était Daniel Lanois…et ils bossent ensemble. Mais aujourd’hui il y a beaucoup d’excellents producteurs.
Quand es-tu passé de la production au micro de l’artiste ?
Toutes ces années ou j’étais producteur je n’ai jamais cessé de jouera avec différents groupes. J’ai d’abord fait pas mal de musique expérimentale électronique. Puis j’ai rejoint Mohammad, un groupe free-jazz planant, nous avons même joué à Paris. C’est très lent. On parlait de musique déprime tout à l’heure, là c’est carrément dépressif.
Entre tes débuts au milieu des 90’s et aujourd’hui, on voit bien que The Man From Managra est loin d’être ton premier projet.
Non, ça ne l’est pas. C’est un peu comme si j’avais dormi toutes ces années et que je me retrouvais enfin éveillé. Dans les 80’s et les 90’s je n’utilisais absolument pas ma voix, je ne chantais pas. Mais je suis très surpris et aussi excité par The Man From Managra.
C’est une musique paradoxalement à la fois très simple et aussi très sophistiquée.
J’espère qu’elle parait simple car c’est bien ce que je recherchais. La simplicité rend les choses plus fortes. Plus recentrées, sans détails superflus.
L’homme de Managra doit être nu, Coti ?
Peut-être bien…je ne sais pas s’il est nu, mais il ne transporte avec lui que le strict nécessaire. Seulement ce qui est important.
Le nom The Man from Managra est tiré de Docror Who, tu es fan ?
Non pas du tout. En fait j’avais ce nom en tête depuis fort longtemps, peut-être 15 ans. En fait, Managra est l’anagramme …du mot anagramme ! Mais pour moi, Managra est juste un lieu fort lointain.
`Un endroit qui existe vraiment ?
C’est un lieu imaginaire. Mais en tout cas dans ma tête, c’est un ile.
Maintenant que je connais tes origines italiennes, je comprends mieux pourquoi on retrouve une chanson en italien sur l’album. Mais la question derrière la question c’est pourquoi pas de chanson en grec ou un clin d’œil en forme de bouzouki…quelque chose, quoi ?
Ce qu’il y a de vraiment grec dans the Man From Managra, c’est l’omniprésence de la mer dans ce projet, ce thème nautique qui est omniprésent dans le décor. Et, à mon sens c’est très grec. Bien entendu, il n’y a pas de musique au bouzouki, pas de référence musicale.
Ce qu’il y a de grec chez toi c’est donc cette fameuse petite ile où tu aimes t’échapper pour composer.
Tinos, je me souviens y être allé pour la première fois de ma vie en 2005 car une amie y séjournait. Et, je suis immédiatement tombé amoureux de cet endroit. L’année suivante j’y ai passé deux mois durant l’été. Mais c’était en juillet et en aout, les mois les plus populaires donc les plus chers. Et j’ai réalisé que pour le prix de ces deux mois de loyer, je pouvais avoir une maison à l’année. C’est donc ce que j’ai fait. C’est à quatre heures de bateau d’Athènes. Et même l’hiver j’en suis toujours autant épris. Il n’y a rien de plus beau au monde qu’une ile en hiver. Bon c’est un peu moins axé plage, mais c’est sublime. J’ai craqué au point d’acheter une maison. J’ai trouvé une bonne occasion et je n’ai pas su y résister. J’y séjourne souvent, seul comme en famille. Lorsque j’ai besoin d’écrire, c’est un lieu idéal. Si calme, dans un tout petit village. Tu vois la mer partout autour de toi.
Une remarque par rapport aux thèmes des chansons, elles pourraient venir d’une autre planète, tu n’évoques aucun thème social, ou politique. C’est un peu surprenant vivant dans un pays qui vient d’affronter la crise économique la plus inouïe de sa longue histoire ?
Pour moi ce qui compte vraiment ce n’est ni l’argent ni la politique. Et puis quiconque parle à un grec de nos jours lui parle invariablement de la crise. Donc je n’avais vraiment pas envie de l’évoquer dans mes chansons. Néanmoins, ma chanson « Saviors of This World » à un rapport avec la crise, mais c’est un peu à déchiffrer entre les lignes. Je n’aime pas lorsque les idées apparaissent de manière trop évidente. Tu sais, j’ai grandi en écoutant du rock anglo-saxon, une musique dont très longtemps je ne comprenais pas les paroles. Et cela ne me dérangeait pas et surtout cela ne m’empêchait pas de les apprécier. On écoutait les Stones et on ne comprenait pas a moitié des textes, mais on les ressentait au fond de nous et c’était bien là l’essentiel.
Donc ton pari est de parvenir à ouvrir nos imaginations ?
Oui. Je déteste les choses trop évidentes.
Un mot sur la scène musicale grecque.
Il y a énormément de groupes en Grèce. Nous ne manquons pas de musique sans doute encore plus aujourd’hui qu’hier. Et il y en a de toutes les couleurs, que cela soit électro ou rock…la preuve !
TOP 5 Coti
Σtella: « Works For You » voix piano en anglais un peu Suzanne Vega piano au lieu de guitare simple et dépouillé. el
Wheresthewilder, « Yearling » free jazz pop déjanté quand Zappa rencontre les 13th Floor Elevators.
Silly Boy : « Stalker » entre Tame Impala et Tahiti 80
KU : « Feathers » néo-pop 60’s planante et fun.
Menta : « Teléphérique » électro-mental climatique.
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