KING DADDY YOD LA SAGA RAGGA: ÉPISODE 2
Révélé par la mythique compilation « Rapattitude » en 1990 aux côtés des Assassin, NTM, Dee Nasty et Tonton David, Daddy Yod incarnait le fer de lance de cette nouvelle blackitude agitée qui allait emporter l’Hexagone des décennies durant. Porté par ses hits tels que « Delbor » ou son militant « Faut pas taper la doudou », le King du raggamuffin made in France revient enfin après trop d’années de silence avec son fracassant nouvel album « L’authentik », l’occasion de retracer la saga de Yod.
Épisode 2 : De « Rapattitude » à la traversée du désert en passant par la Yodmania
Lorsque Benny Malapa fonde son désormais légendaire Labelle Noir, à l’aube des 90’s pour lancer sa première compilation de rap et autres blackitudes agitées, il ne se doutait pas que son « Rapattitude » allait littéralement mettre le feu aux poudres, bouleversant si durablement notre paysage sonore au point que ses paris (gagnés) de 1990 restent toujours autant d’actualité en 2020 ! En effet, son flair incroyable au fil de ses deux « Rappatitude » va révéler NTM, Assassin, Dee Nasty, Tonton David, Saï Saï et Daddy Yod, sur la première puis IAM, Daddy Nuttea et MC Janik sur la seconde… un must !
Quelques mois plus tard Daddy Yod publie son tout premier album « Redoutable » et, porté par son irrésistible et si militant de la cause des femmes « Faut pas taper la doudou », la France entière découvre alors le raggamuffin. Aux Antilles, le phénomène est encore plus exacerbé par le contexte de « Faut pas taper la doudou ». Yod y devient une star instantanée et sur les iles, la « Yodmania » se répand comme une trainée de poudre auprès des jeunes filles, qui se reconnaissent dans ces paroles carrément anti-machistes. Deux ans plus tard, en 92 King Daddy Yod sort son second album « King » porté par les hits « Delbor », « Professionnel ou amateur » et une nouvelle version e « Faut pas taper la doudou », et je pars le retrouver en Guadeloupe pour un tournage pour l’émission de world-music de Martin Meissonnier, Mégamix sur la7/Arte, le début d’une vieille complicité. Alors quand je découvre qu’en avril dernier Yod, tel le diable dans sa boite, est réapparu avec un fulgurant nouvel album baptisé « L’authentik », je me suis dit qu’il était enfin temps à notre Gonzomusic de rendre l’hommage qu’il mérite à ce précurseur. Pour cette raison, notre feuilleton de l’été lui sera consacré avec cette « Saga ragga » extensive dont voici l’Épisode 2 !
« Comment passe-t-on de : je suis fan de reggae et de ragga à : je vais être une star du raggamuffin ?
Il y a beaucoup de choses qui ont joué, d’abord c’était plus facile pour moi que le chant. Je ne suis pas du tout un chanteur. Et c’était entre le parler et surtout dans les chansons on parlait de ce qu’on voyait, de ce qu’il y avait là sur l’instant présent quoi. Et on ne s’inventait pas des vies, quoi ! C’est pour ça que les premiers titres que j’ai fait qui ont marché ce sont des chansons à textes, car la France a toujours été ce pays où les chansons qui portent des messages comptent, on a baigné dedans depuis notre enfance. Je me suis servi de tout ça pour créer mon propre raggamuffin, mon rub-a-dub style à moi. Donc par exemple je racontais « je ne veux pas aller à l’armée », car effectivement, je ne voulais pas aller à l’armée. Je racontais « Faut pas taper la doudou », car j’avais lu à l’époque un article qui racontait que 50 femmes etaient mortes sous les coups de leur conjoint. Il faut savoir qu’en 1987 j’ai enregistré mon premier maxi 45 tours avec Jimmy Houétinou qui était le producteur de Aurlus Mabélé qui est le roi du soukous et il est devenu accro à notre musique, le raggamuffin et il a produit les artistes du sound-system Youthman Unity qui avait été créé par Pablo Master.
Moi je me souviens de « Boire ou conduire ».
Voilà, c’était avec lui et je crois qu’il y avait Nova dans le coup aussi. Après il aussi fait le Mikey Mossman « La cocaine c’est le chemin de la mort » puis « Elle n’est pas prête » de moi. On était tout un collectif, le sound-system Youthman Unity, il y avait aussi Supa John et plein d’autres artistes comme Princesse Erika. Et Jimmy, après avoir fait nos 45 tours, il a fait la première compilation raggamuffin intitulée « French Connection » qui a d’ailleurs révélé le « Trop de bla bla » d’Erika lui permettant ainsi de signer sur un label. C’était en 87, par là puisque j’avais sorti mon « Elle n’est pas prête » en 87. Après cela , JR productions, mon premier producteur, m’a fait un petit 45 tours pour le bicentenaire ( de la Révolution française) c’était intitulé « Né pour toaster, ça chauffe pour lui », où je racontais l’Histoire de France sur un mode humoristique. Puis en 91 j’ai sorti mon premier album « Redoutable » avec « Il ne faut pas taper la doudou », « Je ne veux pas aller à l’armée » et un an plus tard c’est « King » où je porte le maillot jaune du Tour de France sur la pochette.
Tu vas un peu trop vite pour une saga… il n’y a pas le feu au lac … pas si vite mon gaillard…on revient à « Rappatitude »… comment t’es-tu retrouvé enrôlé dans une telle aventure ? Comment as-tu rencontré Benny ?
Il y avait ce gars qui s’occupait d’Assassin à l’époque, Madge et il fréquentait les sound-systems. A l’époque Benny avait l’idée de faire un artiste. Mais Madge lui a suggéré d’aller plus loin. Il lui a dit : « Il y a toute une scène, hip-hop, reggae et raggamuffin en peine émergence, pourquoi ne pas présenter toute cette scène sur une seule galette ? ». Et Benny a été séduit par l’idée, donc il est venu me voir en sound-system Youthman Unity et on a bien accroché cette première fois. Il m’a parlé de sa compilation réunissant différents artistes et il m’a dit : « tu en fais partie » .
Du coup, il a booké un studio unique où il a enregistré tout le monde ?
Ah mais, c’est toute une histoire ! On parle bien là de raggamuffin, le son des « débrouillards… et cette histoire le prouve. D’ailleurs je ne crois pas qu’elle ait été souvent racontée. Il faut savoir qu’au centre Pompidou, à Beaubourg, en bas, dans les sous-sols, il y a un studio d’enregistrement. Je crois qu’on y enregistre de la musique contemporaine. Les murs sont complètement modulables selon les formations. Donc Benny s’est débrouillé pour en avoir les clefs, cela voulait dire que le soir vers 22h/ 23 h quand tout était fermé nous…
… comme des petites souris, vous vous glissiez dans le studio …
… exactement, c’est ainsi qu’a été enregistré « Rapattitude »… très tard ou très tôt durant la nuit, avant que les gens n’arrivent. On nettoyait tout, ni vu ni connu. Raggamuffin style.
Et donc tout le monde est passé là : NTM, David, Assassin ?
C’est comme ça qu’on a enregistré « Rapattitude », le premier en tout cas.
Du coup, quand Pierpoljak a voulu tirer les micros, je comprends que Benny ait été mal…
Ah ça, je ne sais rien (rires) . Je sais que Pierre devait être dessus et que Supa (John) devait être dessus et qu’après, ils n’y étaient plus.
Ben oui, ils avaient tenté de piquer les micros…(rire)
Heu, pas devant moi en tout cas.
Je crois bien que c’est Benny qui me l’a raconté. Donc succès énorme de cette compile « Rapattitude »?
Laisse tomber… et à l’époque c’était vraiment l’âge d’or. Aujourd’hui si on est à l’âge de fer de la musique, à l’époque c’était vraiment l’âge d’or. C’était une sacrée époque et le grand public a soudain découvert cette scène. Mais le plus marrant c’est que le pouvoir en place pensait que ce n’était qu’une mode passagère , mais quarante ans après la mode continue.
On est en 91, moi je reçois ça de chez Celluloïd, Daddy Yod « Redoutable » et je me dis : qu’est-ce que c’est que cet OVNI là ? Et avec des tubes « Faut pas… », « Redoutable » , « Je ne veux pas aller à l’armée »… « Abus dangereux », la critique de l’alcool…
C’est cela la force du raggamuffin, celle de pouvoir dire les choses, c’est le message.
« Faut pas taper la doudou » a été une révolution aux Antilles !
C’était la Yodmania…tu en sais quelque chose, tu étais venu me filmer pour « Megamix » sur Arte. Je sais qu’il existe de vrais témoignages de cette époque incroyable.
Oui, et aussi la prise de conscience de la violence faite aux femmes ! Tu parlais de toutes ces femmes mortes sous les coups de leur conjoint, ça existe encore aujourd’hui, 30 ans plus tard. « Faut pas taper la doudou » n’aura jamais été autant d’actualité qu’en ce moment avec #metoo. Comment expliques-tu que la voix de la sagesse n’ait pas prévalu ?
Au début de l’interview, on parlait de Bob Marley, c’est l’héritage de Bob. C’est ce qu’il nous a transmis…
« No Woman No Cry » ?
Voilà. Nous on n’a jamais fait de la musique pour être vus. Mais on a fait de la musique parce qu’il y avait un message à délivrer, il y avait quelque chose. Et toutes ces chansons qui traversent les époques viennent de loin, elles ne viennent pas de la mode.
Deuxième album Celluloïd « King »… c’était improbable, comment t’étais-tu retrouvé à signer avec Gilbert Castro ?
Ma vie a toujours été faite de rencontres et de chances. Lorsque je suis né, peu après ma naissance j’entendais des choses comme « cet enfant n’aura pas de chance, car il ressemble à son papa comme deux gouttes d’eau. » C’est pourquoi très tôt j’ai renversé la vapeur et j’ai toujours dit que j’étais né pour la chance. Je crois également que les mots ont une certaine importance. Les croyances ont une certaine importance, cela influence nos vies. Dés que j’ai entendu parler de King Yellowman, j’ai voulu être une sorte de King Yellowman ici. Je pense que tout cela …
Tu n’étais pas très albinos !
… non, mais à travers son art, à travers ce que cet artiste a pu accomplir, son beau parcours, oui je voulais m’en inspirer. Tout cela a joué pour certaines rencontres improbables que j’ai eues dans ma vie, comme avec Celluloïd.
Cet album « King Daddy Yod” déborde de tubes. « Professionnel ou amateur »…
Tu sais que sur la pochette je suis sur le vélo de Eddy Merckx , pas une bécane achetée chez Décathlon… c’est un des vrais vélos de ce grand monsieur du cyclisme .
Tu te fais ton propre cover de « Faut pas taper la doudou » déjà enregistré sur « Redoutable »
Oui, à l’époque quand une chanson marchait, on pouvait la retrouver sur l’album suivant.
C’était la même version ?
Oui, la même.
Et puis « Delbor » tube punchy comme un direct de boxeur et forcément rebelle.
On y retrouve les mêmes ingrédients que sur « Faut pas taper la doudou », c’était le maillot jaune avant les gilets jaunes !
C’est à ce moment-là que je t’ai accompagné avec Cachin chez toi en Guadeloupe. Et là effectivement, là-bas on surfe sur la vague de la Yodmania. Partout on te reconnaît, tu fais sensation. D’ailleurs la photo sur la pochette, on sent bien à son sourire que le gars est content de lui !
(rires) C’était vraiment phénoménal, je n’ai rien volé, je n’ai rien inventé là-dedans, tout était brut de chez brut. A l’époque j’avais mon producteur JR qui était un mai. C’est lui qui a investi son propre argent sur moi, il croyait en moi et après il a trouvé le deal avec Celluloïd. A l’époque il existait de vrais mécènes, des gens qui investissaient sur les artistes. Et même si le premier ne marchait pas, ils continuaient à vous accompagner. Moi j’ai eu la chance de cartonner avec cet album. Mais c’est avec le suivant « L’incorruptible » que j’ai connu quelques déboires. Je l’avais intitulé ainsi, car je commençais à sentir qu’il y avait beaucoup d’intérêts, que cela commençait à être corrompu. Ce n’était plus aussi pur, même si chez Mercury j’ai eu cette chance de pouvoir travailler avec Sly ( Dunbar) et Robbie (Shakespeare), mais je sentais que c’était plus le pouvoir de l’argent. Je commençais aussi à m’embourgeoiser , donc par réaction je l’ai intitulé « L’incorruptible » .
Il faut aussi saluer un aspect certes annexe, mais néanmoins notable lié à ton arrivée et à celle de David sur la scène musicale. Avant vous, quand tu voulais fumer de la beu, tu ne trouvais que de l’Africaine de merde, bourrée de graines de branches et qui te donnait mal à la tête.
Oui, oui.
Donc, du coup, on s’est mis à fumer du shit, car c’était de meilleure qualité. Mais quand le raggamuffin a débarqué en France, du jour au lendemain vous avez aussi apporté de la super-weed !
Oui, on a tout révolutionné !
Et, du jour au lendemain, on trouvait enfin de la weed presque aussi bonne que celle qu’on trouvait de manière courante aux États-Unis.
Hé bien oui, car c’était un mouvement. C’est ce que j’essaye d’expliquer à la nouvelle génération et à certains journalistes du web. Souvent ils me posent des questions et je leur réponds : vous savez, moi je n’ai pas rencontré le reggae, j’ai rencontré un mouvement musical né au sein d’un mouvement rasta. Et j’y appartenais. Le reggae ne m’appartenait pas ou n’appartenait pas à Tonton David, ni même à Bob Marley, mais il appartenait au mouvement ! Mais il y avait des ambassadeurs, des kings, des passeurs capables de transmettre le message au-delà des frontières. Et dans un mouvement, comme dans un arbre, tu trouves diverses branches dont effectivement la bonne weed, les voitures, un esprit, tout ce qui accompagne ce mouvement. Un mode de vie, une philosophie même si entre nous il y avait une compétition, c’était une compétition positive et jamais sectaire. Contrairement à aujourd‘hui ou les gars disent : moi je suis d’ici ou de là, moi je suis untel .
On voit bien que sur le track-listing de « Rapattitude » il n’y a pas de frontières entre rap, reggae, ragga.
Oui, ces mouvements évoluaient en parallèle, au point qu’à un moment on a même parlé de « ragga-hip-hop » !
Aujourd’hui, tout est beaucoup plus fracturé et celui qui écoute du reggae n’écoute pas de hip hop. Et vice versa. Il y a comme des murs entre les genres, on ne retrouvait plus ce partage.
Par contre, toi qui a l’habitude de voyager, tu as dû remarquer qu’aux USA cette séparation musicale n’existe pas. Comme chez nous les plus vieux, c’est une vraie richesse. On a eu la chance d’avoir connu cela. Dans mon dernier album, comme dans les autres cela s’entend : c’est bien la preuve que je n’écoute pas que du reggae. J’écoute du blues, j’écoute du zouk, de la chanson française, du funk… j’écoute la musique, en général. Sans aucune barrière.«
À suivre…
Voir sur Gonzomusic l’Épisode 1 : De Petit Canal à « Rapattitude », naissance d’un « rub-a-dub » king sonic
https://gonzomusic.fr/king-daddy-yod-la-saga-ragga-episode-1.html
puis l’Épisode 3 : De la traversée du désert à Yod « L’Authentik »
https://gonzomusic.fr/king-daddy-yod-la-saga-ragga-episode-3.html