GERARD MANSET « Comme un Guerrier »
Voici 42 ans dans BEST GBD portait un regard à la fois aussi enamouré que critique sur le 11ème LP de l’immense Gérard Manset, car à l’image de la langue d’Ésope « Comme un Guerrier » était à la fois la meilleure et la pire des choses : la meilleure car avec son style inimitable et sombre Manset s’élevait déjà largement au-dessus de la mêlée de ses contemporains, mais aussi la pire : car à force de se répéter et de reproduire inlassablement le même disque son héros du rock Hexagonal risquait fort de perdre son âme. N’empêche qu’ après toutes ces décennies Manset demeure toujours aujourd’hui un incontestable monument du rock Français. Flashback…
J’ai découvert Gérard Manset au crépuscule des 60’s, dès on tout premier single « Animal on est mal », mais c’est avec son fulgurant « La mort d’Orion » incroyable opéra rock publié en 1970, soit quelques mois à peine après le monumental « Tommy » des Who, que Manset entre de plain-pied au Panthéon des héros du rock hexagonal naissant aux cotés des plus grands tels Serge Gainsbourg, Polnareff ou Nino Ferrer. Personnage aussi fantasque que mystérieux, Manset poussait la discrétion jusqu’à refuser sessions photos et interviews dans la presse. Ce qui ne m’empêchait pas de chroniquer ses albums dans BEST tel ce « Train du soir » sorti fin 1981 ( Voir sur Gonzomusic GÉRARD MANSET « Le train du soir » ). Au milieu des années 80, profitant de sa première expo photographique sur le thème de ses voyages en Asie, je parviens enfin à décrocher une interview avec Manset pour l’édition du JT de 18 :00 sur TF1, soit le « Mini-Journal de Patrice Drevet »… sauf que, je ne suis autorisé qu’à filmer ses pieds et le son de sa voix ! Pire, en 1998 alors que je suivais Jane Birkin en studio avec ma caméra pour réaliser le film de son album « À la légère » où Souchon-Voulzy, Solaar, Chamfort, Hardy, Miossec, Daho ou encore Zazie avaient chacun contribué en composant une des chansons de l’album, le seul qui m’ait non seulement interdit de filmer mais qui ait aussi exigé que je ne sois pas présent en sa présence au studio Labomatic… c’était Manset ! Je pense que sans cette parano et cette obsession de l’incognito, Gérard Manset aurait pu récolter les fruits mérités de son succés. Hélas, l’homme de l’ombre a choisi d’y rester… même s’il continue inlassablement à publier de subjuguant disques monochromes, à l’instar de « L’algue bleue » tout juste sorti cette année. Géant méconnu mais géant quand même… respect !
Publié dans le numéro 172 de BEST
Gérard Manset est assez habile pour manier son stylo avec talent, il sait raconter avec les mots et les sentiments qu’il faut. Je présume qu’on l’attrape comme une fièvre tropicale dans le style paludisme de temps à autre, la température monte et l’on sent les gouttes de sueur perler sur le visage. Il parait qu’on ne parvient jamais à s’en débarrasser. Comme un rêve qui vous hante, comme un flash-back monté en boucle, Manset vous propose son nouvel Lp. Comment le classer « Comme un Guerrier… » est aussi intemporel que le reste de sa production. Identifiable dès les premières mesures, le son Manset est un peu calfeutré sous son originalité. Les caractéristiques de Manset sont avant tout l’isolement et un sens aiguisé de l’ésotérisme. Lorsqu’on décide de créer seul sur sa planète, on est assuré de préserver son ait Mais, dans le même temps, est-ce qu’on ne l’empêche pas irrémédiablement d’évoluer ? Musicalement le style est resté immuable : blues rock et acoustique, mélancolie en noir et blanc. Pourtant si Manset se remuait un peu, il saurait intégrer des sons nouveaux, réinventer son cafard sur d’autres gammes. Il serait un Peter Gabriel, un David Byrne ou un Neil Young. Mais Manset s’accroche à sa guitare sèche et à son piano, je finis par ne plus savoir quel album j’écoute « Le train du soir » ? « L’atelier du crabe » ? « Il voyage en solitaire » ? Je n’ai aucune envie de cracher sur Manset car chacun de ses albums a dix fois plus de valeur qu’un bon paquet des disques de notre production nationale. Mais quand on aime, on devient de plus en plus exigeant. Si le Manset 82 est identique à celui de 72, cela devient complètement frustrant. Dans « Maubert », il chante « Marque donc sur le mur/Comment tu t’appelles/Les raisons pour lesquelles t’en as marre de moi/ Tout ça/Marque donc sur le mur/ Combien il reste encore de jours, de mois, d’années, de siècles à tirer ? », Si Manset est immortel, moi, je ne le suis pas. Les années 80 sont des années de chaos, en aucun cas, elles ne poussent à la stabilité. Le langage comme la musique doivent évoluer au fil des sociétés, on n’a pas le droit de s’arrêter de foncer.
Publié dans le numéro 172 de BEST daté de novembre 1982