FINDING SUGAR MAN
Malik Bendjelloul l’avait cherché tout au long de son prodigieux documentaire « Searching For Sugar Man », moi je n’avais eu qu’à traverser Paris cet automne 2012 pour le rencontrer. Et dès le tout premier instant, Sixto Rodriguez était fidèle à sa légende de star de l’underground. Il me parlait d’une voix grave et douce, répondant à mes questions avec une patience infinie. J’avais aussi interrogé Malik Bendjelloul … avant que son film ne soit oscarisé. Enfin, j’avais retrouvé à nouveau notre Sugar Man le 4 mars 2013 pour une ultime interview où il nous promettait enfin ce mythique 3ème album qu’on attendait depuis un demi-siècle. Hélas, le destin en a décidé autrement. Sixto et Malik se retrouvent désormais dans le même ciel pour l’éternité, nous laissant orphelins de son folk blues rebelle et militant.
Avant de tendre mon micro à l’émotionnel Sixto Rodriguez, j’avais d’abord interviewé Malik Bendjelloul, le brillant réalisateur du documentaire « Searching For Sugar Man », dont le travail exceptionnel n’avait pas encore été couronné d’un Oscar. J’ignorais hélas que le suédois-algérien mettrait dramatiquement fin à ses jours un peu moins de deux ans plus tard, un bien triste 13 mai 2014. Quant à Sixto Rodriguez, voici dans la foulée le verbatim in extenso des deux entretiens qu’il m’avait accordés les 21 novembre 2012 et 5 mars 2013. Immense tristesse… immense gâchis !
8 septembre 2012
Malik BENDJELLOUL
Quel âge avez-vous Malik ?
J’ai 34 ans.
Comment avez-vous découvert cette histoire du mystérieux « Sugar Man » ?
Je travaillais pour la télévision suédoise et voilà six ans, j’ai démissionné car je voulais avoir le temps de trouver des histoires fortes. J’ai alors voyagé en Afrique comme en Amérique du Sud. Et au Cap, en Afrique du Sud, j’ai rencontré « Sugar » ce « musi-détective » qui m’a raconté son histoire de quête pour le Sugar Man. Je me suis dit alors : waw c’est la meilleure histoire que j’ai jamais entendue, sans doute la plus belle des histoires. Et j’ai commencé à bosser sur ce projet, imaginant qu’il serait bouclé en un an. Dire qu’il m’aura pratiquement fallu quatre ans pour qu’il aboutisse !
Le film est un choc, c’est la première fois qu’un rockumentary déclenche une telle avalanche émotionnelle.
C’est une merveilleuse histoire pour une merveilleuse musique.
Racontez-moi ce fameux jour où Segerman, alias Sugar le sud-africain vous a fait écouter pour la première fois le disque de Sixto Rodriguez ?
J’étais totalement sous le choc ! Au début, je pensais que ces sud-africains étaient juste des fans, qu’ils exagéraient car ils en parlaient comme s’il était l’égal de Dylan ou des Rolling Stones. Et moi je leur disais : je comprends que vous soyez fans, mais on peut être fan de n’importe quoi. Alors j’ai commencé à en parler avec des gens rencontrés au hasard dans les rues de Joburg ou du Cap. Et ils me disaient tous la même chose : je leur demandais : connaissez-vous Rodriguez ? Et ils me répondaient invariablement : que veux dire par si je connais Rodriguez…c’est comme si tu me demandais si j’avais entendu parler des Beatles ! Tu vois l’ampleur du phénomène ! Alors oui, lorsque je l’ai écouté pour la première fois, j’ai vraiment été estomaqué et par le personnage et par la qualité des chansons. Car dès que j’ai écouté sa musique j’ai immédiatement compris pourquoi il avait un tel statut en Afrique du Sud , qu’il était au Panthéon des plus grands car il y a parfaitement sa place.
Musicalement il devait évoquer pour vous de nombreux artistes tels Jose Feliciano, Donovan et Dylan qui était né pas loin de Detroit justement !
Vous avez raison, il a eu toutes ces influences et tous ces artistes sont nés au même moment, au début des années 40 ils appartiennent à la même génération. McCartney, Lennon, Dylan, Jagger…ces gens qui ont posé les règles de base du rock.
Avec aussi ce côté militant d’un songwriter de protest songs… car les aspects politiques et polémiques font partie intégrante de sa musique.
Tout à fait, d’ailleurs Sixto se définit souvent comme un « protest singer ». Mais pas uniquement, car des chansons comme « Crucify Your Mind » ou « I Think Of You » sont aussi des chansons d’amour où quiconque peut se projeter, sans pour autant adhérer à un combat politique. Mais Sixto lui-même se place dans cette filiation des protest-songs et cela paraît logique puisqu’il aura contribué à faire évoluer la société en Afrique du Sud, par exemple où il aura su inspirer de nombreux blancs libéraux.
Le moment où il monte sur scène au Cap, même si ce sont des documents tournés en hi-8 qui ont un peu vieilli ; est particulièrement émouvant.
C’est vrai qu’on a rarement assisté à un moment aussi poignant sur une scène rock. Tout le pays le croit mort. La plupart des gens étaient persuadé qu’il ne serait pas présent, que ce concert serait une arnaque, une mauvaise blague et qu’à la place un « tribute band » avec un sosie reprendrait ses chansons. Et lui, pour sa part s’attendait à se retrouver face à 20 personnes paraît totalement dépassé par ce qu’il est en train de vivre. De ces deux perspectives on assiste à un moment absolument magique, un moment si touchant.
Vous avez travaillé sur ce projet des années durant avant de rencontrer Sixto Rodriguez, quel a été votre sentiment à ce moment précis lorsque vous l’avez retrouvé ?
J’étais carrément nerveux, car j’avais entendu tant et tant d’histoires à son sujet. J’avais aussi entendu dire qu’il était si difficile à interviewer.
Il l’est, puisqu’il ne répond à aucune de vos questions !
Il le dit lui-même : je suis très réticent lorsqu’il s’agit de répondre aux questions. Il dit aussi : je ne suis pas une vedette de ciné. J’ai réussi à obtenir un entretien de 20 minutes ce qui paraît bien peu. J’étais super inquiet, alors je suis revenu à Detroit plusieurs années de suite, en fait quatre années et à chaque fois j’ai obtenu 20 minutes d’interview.
C’est un challenge, vous étiez particulièrement entêté !
Avec un tel personnage, on n’a guère le choix. Mais il ne cherchait pas spécialement à faire le difficile ou sa diva, c’est juste qu’il n’aimait vraiment pas la caméra. Un peu comme ces indiens qui avaient le sentiment qu’en leur « volant » leur image, on leur volait aussi leur âme. C’est ce qu’il devait ressentir. C’était plus fort que lui, il était extrêmement réticent à la caméra. Par contre dès qu’elle était éteinte, on pouvait discuter des heures entières. Mais dès que la caméra tournait c’était comme un autre homme.
Pourtant il a dû se sentir particulièrement touché par votre démarche ?
Bien sûr que cela le touchait ! Mais cela ne l’empêchait pas d’être inquiet car cela avait aussi un coté intime qui le terrifiait. Mais je n’ai jamais eu le sentiment qu’il s’opposait à ma démarche. Au contraire, il s’est toujours montré particulièrement accueillant en m’offrant de résider chez lui, par exemple. Mais c’était plus fort que lui : il détestait la caméra car elle le terrifiait.
Face à la caméra, il n’aborde pas du tout son travail, sa manière d’écrire et de composer de la musique, il n’évoque pas l’enregistrement de ses deux LPs à la fin des sixties…
Hors caméra non plus il n’en parle pas, par contre il est intarissable dès que l’on aborde le champs politique car il ne s’agit pas de lui ; Sixto déteste parler de lui-même comme il déteste se mettre en avant. C’est quelqu’un de très humble et c’est sans doute la principale raison qui fait qu’il soit aussi longtemps demeuré obscur. Heureusement d’autres que lui peuvent en parler, comme ses filles par exemple ou ses fans Sud-Africains.
Vous avez dû être passablement inquiet de ne pas avoir assez d’éléments pour boucler votre film ?
Exactement, un réalisateur avisé fait toujours plusieurs prises et de très longues interviews pour se ménager différentes possibilités au montage. Là ce n’était pas du tout le cas.
Pourtant il vous autorise à le filmer en train de marcher dans la neige ou de bosser sur ses chantiers ou je ne sais quoi dès l’instant où il n’a pas besoin de s’exprimer.
Le filmer en train de marcher ne posait aucun problème car c’est ce qu’il faisait de toute façon car il a toujours besoin de marcher.
Le tout premier plan de lui où on le devine à travers une fenêtre, on croit d’abord voir un fantôme. A cet instant du film on ne sait pas si on l’imagine ou si c’est vraiment lui car on ignore encore s’il est vivant ou mort…
Exactement ! C’est ainsi que j’ai souhaité structurer cette histoire en jouant sur cet effet de surprise, sur ce suspense.
Scène choc du film : à la discothèque de la SABC lorsque vous montrez le disque « Cold Fact » censuré et rayé pour éviter toute tentation de le diffuser. L’un des effets de votre documentaire devrait être le réédition des deux albums de Sixto Rodriguez. Et dans ce ca son peut espérer qu’il touche enfin des droits d’auteur et non pas Clarence Avant ! ( le boss de Sussex Records, le label où sont publiés les deux LP de Rodriguez qui ne lui avait jamais payé ses royalties : NDR)
Clarence Avant contrôle toujours financièrement sa musique, mais désormais il rend à Rodriguez ce qui appartient à Rodriguez, il lui reverse ses royalties. Et alors qu’Avant me répond dans le film « qu’il n’a plus rien à voir avec tout ça », cela prouve bien son implication totale. Car c’est bien toujours lui qui contrôle la musique de Rodriguez. Pour vous répondre, oui bien entendu les deux albums vont être réédités et en plus un troisième album sera publié avec la BO du film qui contient toutes les chansons utilisées dans le documentaire. Tout cela sera publié chez Sony Classics, le plus gros label qu’il ait jamais eu.
Et il va sans doute se lancer dans une tournée !
Je suis presque certain que Sixto Rodriguez viendra jouer en France à un moment ou un autre. Il tourne d’ailleurs déjà aux USA en ce moment même. Voici deux jours il a même joué à New York à guichets fermés. Et fin novembre il devrait aussi assurer plusieurs dates en Angleterre. Il a aussi fait le légendaire show télé de David Letterman.
Quatre ans de travail pour réaliser ce doc ?
Oui et à se démerder sans salaire ! Car cette fois je n’ai pas touché un centime durant quatre ans. Je me surprends moi même d’avoir réussi à survivre à ce régime. J’y ai investi toutes mes économies de dix ans de boulot. J’avais heureusement un peu d’argent en banque. Je savais que je finirai par toucher l’aide de la CNC suédoise mais j’ignorais quand cela tomberait. A un moment ils m’ont même annoncé que je ne toucherai aucune subvention. Et je leur ai téléphoné lorsque j’ai appris que le film avait été sélectionné pour faire l’ouverture du Festival Sundance, ce qui n’était jamais arrivé auparavant à un film suédois. A ce moment-là ils m’ont dit que finalement j’aurai ma subvention car ils aimaient le film !
Vous avez dû vous sentir un peu comme Sixto !
Oui car j’étais déterminé à mener mon projet jusqu’au bout quels qu’aient été les obstacles rencontrés sur mon chemin. Mais j’avais aussi besoin de manger. Et j’étais vraiment fauché. Mais je sentais que j’étais proche du but et j’avais bossé toutes ces années, donc il n’était pas question de jeter l’éponge. Sixto m’a toujours dit que je devais croire en ce que je faisais sans jamais tenter de transiger ou de m’adapter aux autres. Lui ils avaient même tenté de lui faire changer de nom en lui expliquant qu’avec un nom espagnol comme Rodriguez cela ne pourrait jamais marcher. Ils lui disaient faites comme Robert Zimmerman qui a changé son nom en Bob Dylan ! mais il leur répondait : je suis désolé moi c’est Rodriguez et si vous n’aimez pas ça tant pis.
Je présume que vous n’avez pas d’enfant et que vous n’êtes pas non plus marié ?
Non. Jamais je n’aurais pu mener à terme ce projet si j’avais eu une famille à nourrir. Mais j’espère que mon prochain film sera plus facile à monter.
Vous savez déjà quel sera ce nouveau projet ?
Au début je songeais à un nouveau documentaire mais je me suis dit que jamais je ne trouverai de meilleure histoire que celle-ci. Le seul moyen de trouver une histoire encore plus forte que celle de Rodriguez…c’est de l’inventer. Donc je travaille actuellement sur une idée de fiction sur le théme de la nature.Mon père est algérien et le français est ma langue maternelle mais je ne le parle pas très bien car je n’ai pas eu de très bons profs. Ma mère est suédoise. Et lorsqu’ils sont ensemble ils parlent français.
21 novembre 2012
Sixto RODRIGUEZ
C’est un croisement entre Danny Trejo, comédien fétiche de Tarantino et Esteban Jordan accordéoniste tex mex borgne…. Ses cheveux corbeaux sont toujours aussi longs. Ses yeux sont dissimulés derrière des lunettes de soleil. Il entre accompagné de deux de ses filles et de son petit-fils. Sixto Rodriguez irradie la pièce de sa présence.
« C’est la première fois qu’un docu musical arrache des larmes à la critique…votre musique aurait de l’être connue et appréciée dans le monde entier depuis 4 décennies…
Je suis déjà un homme qui a beaucoup de chance d’être parvenu jusque-là ! il n’existe hélas pas de recette miracle pour le succès dans le rock et si toutefois cela se produit, alors on peut se considérer comme chanceux.
Comment le public peut-il ne pas être touché par tant de poésie, tant d’émotion, tant d’imagination ?
J’ai sorti ces LPs en 69 et en 71 mais beaucoup d’autres groupes ont publié d’excellents LP a cette époque comme Fleetwood Mac, Carole King, tant et tant de super artistes c’est sans doute la raison pour laquelle mes albums ont passés inaperçus.
Votre musique comme les textes de vos chansons reflètent tellement l’image de Detroit…
Les questions concernant la brutalité de la Police, de la répression à l’échelle gouvernementale, la conscription à l’époque, tous ces problèmes étaient omniprésents. Et même de nos jours, ces thèmes restent d’actualité comme les guerres Irak, Afghanistan et autres, ces sujets d’intérêt général c’est vrai m’ont toujours semblé plus importants que les éternelles histoires de garçons et de filles, un gars rencontre une fille, une fille tombe amoureuse d’un gars sans compter toutes ces histoires de virées en bagnoles. Ce réalisme social d’une ville comme Detroit on peut le projeter dans n’importe quelle grande ville.
Ces personnages que vous décrivez : ce sont des gens que vous avez rencontrés ou c’est votre propre expérience qui nourrit vos compositions ?
Ce que j’écris est une forme de poésie. Alors est-ce autobiographique ? Est-ce que c’est inspiré par d’autres ? Ce sont des sujets d’ordre général. Nulle « personne » en particulier n’inspire totalement telle ou telle chanson. Si je ne jouais que pour une seule personne dans l’assistance, je me retrouverait vite sans boulot ! J’ai envie de m’adresser à un public plus large. En fait si je devais me décrire moi-même je serais un « politicien musical ». Par conséquent j’évoque des problèmes sociaux dans mes chansons.
Et c’est pour cette raison que vous avez inventé « Inner City Blues »…un an avant Marvin Gaye ?
Et oui, exactement ! Comment cela produit et pourquoi cela s’est produit, je n’en sais rien mais c’est ma chanson. Beaucoup de musiques d’exception sont nées à Detroit. Je crois que nous avons eu Marvin et moi la même idée chacun de notre coté. Prenez l’évolution, par exemple, Spencer et Darwin chacun de leur côté ont produit leur théorie. Regarde la brutalité policière, en Afrique du Sud ou des mineurs qui protestent sont abattus par la Police ou en France où des manifestants se retrouvent éborgnés par les balles en caoutchouc des forces de l’ordre ! Donc ces sujets hélas restent toujours à l’ordre du jour. Et la raison principale tient à la manière dont nos sociétés sont structurées : tu as les nantis, puis les soldats et la police et de l’autre côté tu as le peuple. Et tout est fait pour que cette organisation sociale se maintienne ainsi et forcément la répression devient inexorable.
Puis je vous demander quelles sont vos influences car objectivement vous avez écouté de la musique toute votre vie, des gens comme Arlo Guthrie ?
Oui, tout à fait ; ainsi que son père Woody Guthrie. On vient d’ailleurs de célébrer son anniversaire- il aurait eu 100 ans le 14 juillet dernier- au Newport Festival. Nous y avons d’ailleurs rencontré sa fille. Oui donc c’est une immense influence, car tout comme lui mes « protest songs » sont un véhicule pour exprimer des thèmes sociaux. Et depuis que la musique s’est peu à peu construite depuis les années 40, la guitare électrique comme la guitare sèche ont toujours occupé un rôle central dans ce combat.
C’est votre arme ?
Oui, c’est vraiment une arme, la même qu’utilisait Woody Guthrie car lui aussi combattait le fascisme.
Vos chansons rappellent étrangement Leonard Cohen, certaines autres font penser à Dylan, vous avez des affinités avec ces artistes ?
Ah totalement ! Leonard Cohen vient du Canada, juste de l’autre côté du lac, Dylan vient de Minneapolis qui n’est pas loin non plus. Nous avons toujours partagé le même climat. Mais nos expériences différentes se retrouvent dans notre manière d’interpréter l’art. je me reconnais pleinement dans l’imagerie de Cohen, des compositions comme « Suzanne » m’ont marqué. Et Dylan bien sûr n’est-il pas l’incontestable Shakespeare du rock and roll, cette authentique musique Américaine ? Mais ils ne sont pas seuls car pour moi ceux qui manient la guitare comme un art sont essentiels. C’est mon instrument de prédilection et ceux qui en jouent ont toujours tendance à captiver mon attention. Alors oui, j’ai beaucoup écouté toutes ces folk-songs des années quarante, toute cette musique populaire jusqu’aux Beatles.
Lorsque vous apparaissez dans le film, on dirait un fantôme. On se demande : est-ce bien lui ? Est-il bien vivant ?
Ah oui toutes ces légendes urbaines sur ma soi-disant « fin tragique »…je n’ai aucune idée de ce qui a pu générer ces rumeurs. Mais je vais bien, rassurez-vous !Au moment où j’ai rencontré « Sugar » Segerman, lorsqu’il est venu me voir à Detroit en 96, j’ignorais tout de mon « succès » Sud-Africain. Mais il m’a montré les CD réédités de mes LPs, il m’a parlé de tous ces fans dont j’ignorais même l’existence et deux ans plus tard je tournais là-bas pour la première fois.
On peut comprendre aisément pourquoi les Sud-africains pouvaient autant s’identifier avec votre musique : car vous évoquiez dans vos chansons toute la liberté, l’égalité et la libération sexuelle qui leur manquait dans le régime de l’apartheid qui était une sorte de stalinisme de droite !
…oui et aussi le pouvoir par le peuple pour le peuple ! Et il y a encore des problèmes de nos jours car la société y est divisée entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien. Beaucoup vivent encore sous le seuil de pauvreté. J’ai fait un tour du monde de trois semaines qui m’a conduit de l’Australie à la Hollande et mo impression est qu’il en y a suffisamment pour tous. Mais je pense que la juste distribution des richesses et des denrées devraient avoir été réglé depuis longtemps. Je suis un ouvrier, j’ai grandi dans un milieu prolétaire et chez nous lorsque quelque chose est cassé, et bien on le répare. Cela parait pourtant simple de régler ce qui ne fonctionne pas. Mais chez nous le Congrès, le Parlement ont prouvé à bien des reprises qu’ils n’étaient pas capables de faire le job. Moi je pense déjà que s’il y avait plus de femmes élues, s’il existait une réelle parité, les choses s’amélioreraient dans ce monde.
Après ces deux albums, vous vous êtes lancé dans la politique, briguant le mandat de Maire de Detroit.
Tout à fait. J’ai participé à huit élections locales. Et j’ai aussi tout fait pour donner à me filles le gout de la culture. Qu’elles comprennent dès le plus jeune âge que l’art ou la littérature n’étaient pas l’apanage des riches, que chacun y avait droit. Et elles s’y sont mis avec passion et je crois que cela leur a vraiment apporté un vraie richesse intellectuelle. Je pense sérieusement que grâce à l‘éducation on peut s’arracher au mauvais quartier, au barrio, au ghetto quel que soit son nom. On reste étudiant pour la vie car il y a toujours de nouvelles connaissances à acquérir, de nouvelles adaptations à affronter.
Et toutes ces années sans disques vous avez travaillé de vos mains dans des chantiers, n’était-ce pas douloureux ?
Comme on le voit dans le film, oui c’est du gros œuvre, des travaux lourds et pénibles. Mais parallèlement, je n’ai jamais cessé de jouer de la musique pour moi, chez moi. Je n’ai plus jamais tenté de circuit commercial, mais tu dois en passer par là si tu veux qu’on te remarque.
Les textes de vos chansons ont été écrits voici quarante ans et pourtant ils restent d’une brulante actualité avec la crise des sub-primes, les faillites, les évictions de familles entières …tout spécialement à Detroit !
23.000 foyers ont été évacués de force dans le seul comté de Wayne à Detroit ! Et au sujet de ces saisies il faut préciser que les banques ont accordés des prêts abusifs : c’est comme s’ils avaient parié à l’avance que leurs clients devaient perdre ! C’était toute leur approche.
Mais ils ont jeté des familles à la rue pour saisir des biens immobiliers qui ne valent plus rien car dégradé depuis leur abandon !
C’est lamentable, non ? Dans les années 60 et 70, moi je croyais dur comme fer que nous assisterions à une révolution en Amérique. Des révoltes éclataient dans de nombreuses villes comme New York, Chicago, LA il y avait tous ces assassinats politiques. Aujourd’hui je ne crois même plus que cela soit nécessaire car le système va finir par se détruire de lui-même et ce qui va l’achever c’est le népotisme, le copinage, le favoritisme, le racisme, la cupidité, la corruption…tous ces maux qui gangrènent notre société. Tout est en place pour miner ce système de l’intérieur. Les banquiers de Wall St ont sauvé leurs fesses avec l’argent public alors que les ouvriers ont vu leurs jobs s’envoler pour toujours vers l’Asie ! En tout cas, je tiens à vous remercier de bien vouloir évoquer cette face politique qui incarne tout le fondement de ma musique. Car tant d’artistes et de musiciens ne portent aucun intérêt à ces questions cruciales. Ils comptent sur les politiciens pour régler tous les problèmes à leur place. Tant de gens sont désabusés par les politiciens qu’ils oublient trop souvent que ce sont eux qui règlent l’addition.
Parlons un peu de certaines de vos chansons à commencer par « It Started So Nice » où vous évoquez : « It started out with butterflies on a velvet afternoon » (Tout a commencé par des papillons un après-midi de velours…) rappelle le « Lucy In The Sky « des Beatles « Picture yourself in a boat on a river,
With tangerine trees and marmalade skies » ( Imaginez-vous dans un bateau sur une rivière, Avec les mandariniers et des cieux de marmelade)…
Dans cette chanson je voulais vraiment trouver des images fortes. De créer une imagerie qui soit riche en émotion et en atmosphères. J’ai essayé de le projeter dans trois parties bien distinctes de la composition.
On dirait vraiment des textes écrit sous l’emprise du LSD !
Pourtant je ne touche à aucune drogue dure. Je bois du vin et je fume un peu on va dire. Mais je ne suis pas mon personnage de « Sugar Man ». Je n’ai jamais pris ni LSD ni cocaïne et je ne me suis jamais fiché une aiguille dans le bras.
Pourtant vous évoquez la cocaïne dans « Sugar Man »` !
Je parle de coke, cela a donc été interprété comme étant de la cocaïne. Pour la marijuana, oui il m’arrive de tirer dessus mais c’est légal désormais dans plus de 16 Etats de l’Union…du moins pour un usage thérapeutique…on va dire… très largement étendu !
Prenons « Almost Disgusting Song » vous avez carrément inventé le rap…c’est déjà du talk over avant l’heure.
En fait vous n’allez pas le croire mais elle m’a été inspirée par une chanson de John Lennon intitulée « Rocky Racoon » sur l’album blanc. Il aimait bien inventer es tas de personnages, alors moi j’ai pensé à la faune qui fréquentait un bar que je connaissais.
Peut-on évoquer votre travail en studio où les arrangements de cuivres et de cordes sont incroyables projetant un super lumière sonique sur votre musique sur des chansons telles que « Crucify Your Mind » par exemple ?
J’écris des chansons très courtes, des compositions de trois minutes environ. Les producteurs de l’album ont suggéré cette instrumentation, mais nous avions décidé que les voix devaient être en avant, dominant cet océan d’arrangements.
Parlons du Sixto Rodriguez d’aujourd’hui reçu chez David Letterman ou qui se produit au légendaire Royal Albert Hall de Londres et à Paris, toutes ces villes où vous auriez dû chanter depuis 40 ans !
Ce film a complètement bouleversé ma vie et ma carrière musicale ! mais je crois qu’il y a tant et tant de talents autour de nous, mais le plus difficile c’est qu’il parvienne à éclore, qu’il puisse être reconnu. J’ai déjà beaucoup de chance de connaître enfin cette sensation, même si j’ai dû attendre quelques années pour cela. »
5 mars 2013
RODRIGUEZ : LE RETOUR
Vincent Lindon tape l’incruste avec sa preneuse de son. Il veut me mettre dehors pendant son ITW mais il fait un froid de gueux. Et Rodriguez qui me reconnait insiste pour que je reste. Heureusement Lindon lui demande ce que ça fait de passer de l’ombre à la lumière bla bla bla qui il a rencontré depuis son récent succés. Rodriguez lui parle en retour de Bob Geldorf et de Donovan. Pendant ce temp-là, Ethan mon pote sud af, le petit fils de Rodriguez de 14 piges qui me pique à chaque fois ma trottinette m’offre du thé pour me réchauffer. Lindon disparait avec sa preneuse de son, je retrouve Sixto Rodriguez.
Beaucoup de choses se sont passées. La dernière fois que nous nous sommes parlé tu avais évoqué quelques nouvelles chansons. Préparez-vous un troisième album ?
Et vous voudriez qu’il sorte là maintenant, tout de suite n’est-ce pas ? ( rire)
Non, nous avons attendu quarante ans, nous n’en sommes plus à quelques mois près.
Disons que j’ai du matos ; je joue sans arrêt. Mais je sais que de tas de gens attendent beaucoup de ces nouvelles chansons donc je veux être très vigilant quant à la manière dont elles doivent être produites. Mais aussi tout le processus qui fera qu’elles vont aboutir jusqu’aux boutiques. Je dois aussi protéger mes droits, cette fois contrairement à ce qui s’est passé la première fois. Et je veux surtout que la réalisation embrasse toute la modernité du son d’aujourd’hui sans pour autant que cela ne sonne sur-produit. Je réfléchis énormément à la manière dont doivent être présentées ces nouvelles chansons. Car je suis conscient des enjeux et de la qualité que les gens attendent d’un nouvel album après toutes ces années. D’un autre côté, cette attente du public me rend fou de joie.
Donc vous admettez avoir sous la main un stock de chansons ?
Oh…juste quelques-unes…disons, juste de quoi composer un album et comme je le disais j’essaye d’explorer de nouvelles voies mais cela constitue un vrai challenge, car il y a tant de musiques différentes offertes aux gouts du public. Car si je publie un truc qui ne marche pas, où cela me mènera t’il ? Donc si je sors un album, je veux être certain d’avoir tout accompli pour qu’il remporte du succès.
Une chanson c’est comme un puzzle : les paroles, la mélodie, les arrangements, la prod…et tout doit parfaitement s’emboiter. D’abord coté texte, on présume qu’avoir vécu comme vous avez vécu durant toutes ces années transportant des gravats sur votre dos sur des chantiers de Detroit, vu les épreuves économiques que nous traversons tous aujourd’hui vous avez du emmagasiner une somme d’expériences qui vont inspirer vos textes ? Bref tant de raisons de se sentir enragé…
Je pense que tous les quinze ou vingt ans, il y a une nouvelle vague de sang neuf qui ignore ce que l’Histoire nous apporte comme leçons. Cela m’attriste énormément. Il y a d’autres alternatives possibles et nous devons améliorer la qualité de vie d’une majorité de gens.
Vous voulez dire que le rêve Américain n’a finalement pas tenu ses promesses ?
Il y a deux choses dans la musique et la politique, nous cherchons tous une sorte d’utopie, hélas le modèle s’est désintégré, nous avons dépassé ce point depuis bien longtemps. Il y a tant de sujets à évoquer…. la protection sociale, les services publics…il y a tant de choses positives, en Amérique mais vous en Europe vous détenez certains droits que nous n’avons pas tel le droit à la santé. Et cela je pense nous devons l’améliorer. La qualité de vie doit être une priorité ;
Et en abordant la qualité de vie, vous évoquez aussi le respect de la nature ?
Bien sûr, l’environnement est un sujet crucial, comme cette nouvelle bouture de marxisme-leninisme ou ce nouvel appel à partir en guerre, mais je crois que les guerres de l’Amérique comme le Vietnam, la guerre de Corée, toutes ces nouvelles guerres dans lesquels nous nous lançons sont alimentés par des troupes issues des classes les plus défavorisées, ceux qui n’ont guère d’autre choix que d’aller se battre.
Pire que la guerre et la pauvreté, il y a ce risque majeur que représente la religion…
Mon Dieu….je sais que certaines personnes ont ce besoin à haute dose de religion, mais la religion sert trop souvent à asservir le peuple, à soumettre les femmes voilà pourquoi ils s’opposent à ce qu’elles soient nommées prêtres. Moi je défends l’idée d’une société plus égalitaire où chacun a le droit de s’exprimer et où chaque voix compte de la même manière.
Et où une femme n’est pas assassinée toutes les quinze secondes !
Bien entendu l’arrêt de ces violences faites aux femmes doit être une priorité. Je suis un pacifiste, je tiens aussi à ce que cesse la violence contre le peuple syrien où près de 100.000 personnes sont déjà payé de leurs vies à ce qu’on dit. 2 millions de personnes auraient fui le pays. Cela me rappelle la guerre du Vietnam où tant de jeunes hommes ont du s’exiler au Canada pour éviter la conscription.
Ce que vous allez sans doute aussi évoquer dans vos nouvelles chansons c’est la fin du racisme, de la différence de traitement selon que l’on soit, blanc, noir, jaune, chicano…
Oui absolument, pour moi s’il existe bien un mot qui soit devenu totalement obsolète dans ce 21éme siècle tout neuf c’est le mot : race. Tout comme racial et raciste, ces mots-là ne devraient plus exister. Car il n’y a qu’une seule race : la race humaine. Alors oui, il y a différentes ethnies et différentes cultures et différentes langues aussi mais un autre mot doit aussi être considéré comme obsolète c’est le mot « étranger » pour des gens qui vivent là parfois depuis plusieurs siècles. Mais le combat continue et dans ce siècle nous avons le pouvoir d’internet pour communiquer d’une manière qui était impossible auparavant.
Vous pensez vraiment que le net a le pouvoir de déclencher une nouvelle révolution, une révolution des consciences ?
Absolument, car cette technologie est instantanée et c’est bien là que réside tout son pouvoir. On peut toucher tant de publics différents par opposition à ce qui pouvait exister dans les années 70. J’ai la chance d’avoir 70 ans et aussi de pouvoir jouir du succès de cette technologie qui change la vie.
Donc, on commence à avoir une petite idée des thèmes que vous souhaitez aborder dans votre nouvel album et la question suivante est bien entendu sur quel type de musiques comptez-vous défendre ces textes et ces idées ?
J’ai déjà des titres, des strophes prêtes pour ces chansons, des riffs…comme je le disais tous les éléments pour construire des chansons ainsi que la manière dont je dois les chanter. Mais c’est un processus où tout se construit par couches successives.
Vous avez votre propre studio où vous préparez ces maquettes ?
Non, pas du tout. Mais lorsque je serai prêt je choisirai un studio de qualité. Lorsque j’ai enregistré le David Letterman Show, j’avais un orchestre de 25 personnes pour m’accompagner ! Et pour le Jay Leno show l’orchestre n’était composé que de vingt personnes ! Si je parviens à conserver cette émotion en session d’enregistrement alors c’est gagné. Et je n’ai pas besoin d’une section de cordes pour toutes les chansons. Mais j’ai la sensation d’avoir en main tout ce qu’il faut pour délivrer un excellent produit. Mais je veux des instruments naturels, organiques…j’admire énormément Harry Mancini en tant qu’arrangeur et compositeur, toutes ces orchestrations qui portent tant d’émotions. Mais j’aime aussi les prods plus dépouillées où il n’y a qu’une section rythmique.
Il paraît que vous détestez votre prénom Sixto qui vous a été donné car vous étiez le 6éme de votre fratrie, mon grand-père qui venait de Turquie lui portait le prénom de Béhor, le premier car il était l’ainé …
Oui je n’aimais pas ce prénom donc j’ai pris un surnom Diaz…j’avais demandé à mon père : pourquoi ce choix de Sixto et il m’a répondu c’est de la faute de ta mère c’est elle qui l’a choisi ! Mais bon, même si je ne l’aime pas trop je m’y suis fait. Je revendique avec fierté mon héritage mexicain.
Lorsque vous nous avez joué « La vie en rose » au Max Linder après la projo du film « Sugar Man » c’était particulièrement émouvant, touchant et délicat de votre part d’interpréter cette chanson pour des Français, d’où vous est venu l’idée de cette reprise ?
J’ai toujours été amoureux de cette chanson car elle a toujours su me toucher par son romantisme exacerbé. C’est une chanson très triste mais qui est aussi une chanson très forte. C’est pour cette raison aussi que je l’ai choisie même si je me suis permis de modifier quelque peu les paroles. Mais il y a déjà tant de versions et d’interprétations différentes de cette chanson
Mais vous avez choisi cette chanson car elle incarne pour vous tout ce que la France peut apporter comme romantisme ?
Oui et je voulais aussi montrer que j’appréciais aussi d’autres musiques que la mienne, que j’étais capable de faire des reprises et de chanter d’autres compositions que des protest songs ! J’aime aussi réserver quelques surprises à mon public.»
UN IMMENSE-GIGA-MEGA MERCI À YAZID MANOU SANS LEQUEL CES ENTRETIENS N AURAIENT JAMAIS EU LIEU… LOVE U BRO !
Bravo et un » GRAND MERCI » GBD !
Des interviews comme on en fait plus .
Ces 2 rencontres couchées sur papier pour encore nous faire comprendre un peu , beaucoup , passionnément mieux cette histoire complètement irrationnel du SUGAR MAN est a copier et a coller au dos de la jacket du DVD de Bendjeloull .
Interview RÉFÉRENCE
Interview DOCUMENT
Congratulations
Waou… mais trop cool Claude… merci pour ce mot… motivant…. greetings from Planet GBD