FAUST PREND ENCORE LA BASTILLE
Décidément, Faust a bien eu raison de « vendre son âme au diable » puisque tout juste deux ans après son dernier Opéra Bastille, le bon docteur revient à nouveau sur les lieux du crime pour nous hanter de son éternel pacte diabolique. Cependant, cette toute nouvelle production du « Faust » de Gounod se retrouve si vaillamment téléportée dans notre Paris contemporain par le metteur en scène Tobias Kratzer. Et ce pari gagné sur Paris change absolument tout, s’il faut en croire le live-report de JCM, notre mélomane-chef et le tout sans aucune … Faust de frappe !
Par Jean-Christophe MARY
« Vendre son âme au diable » contre la jeunesse éternelle, tel est le pari, forcément risqué, de Faust. En s’alliant au diabolique Méphistophélès, le vieux savant retrouve une verdeur qui lui permet de conquérir la belle Marguerite, mais à quel prix ? Dans sa mise en scène aux vidéos spectaculaires, Tobias Kratzer convoque un Paris contemporain, cadre grandiose et lieu de perdition pour une jeunesse aux prises avec ses peurs intérieures ».
Le Docteur Faust, vieux savant, songe à en finir une bonne fois pour toutes lorsque Méphistophélès, le Diable, lui apparaît en chair et en os : il lui fait signer un pacte qui lui garantit une nouvelle jeunesse en échange de son âme. Séduit par l’image de Marguerite, que Satan lui a fait apparaître pour le convaincre, Faust part à la conquête de la belle, qui offrira peu de résistance à ses élans amoureux. Méphistophélès colle à ses pas pour anticiper ses moindres désirs. Séduite et aussitôt abandonnée par Faust, Marguerite tue l’enfant qu’elle a eu de lui. Emprisonnée pour son crime, elle donnera sa propre vie pour sauver son âme, malgré les efforts contraires du Diable pour en faire – comme Faust – sa propre créature.
Quand Charles Gounod s’attèle au mythe rendu célèbre par Goethe, il n’a encore connu aucun vrai succès. L’invention mélodique et l’intensité dramatique de son Faust, créé en 1859 au Théâtre Lyrique, changent la donne. Si le livret de Carré et Barbier insiste plus sur la chute et la rédemption de Marguerite que sur la dimension métaphysique du héros, cela n’a pas empêché l’œuvre de devenir un monument national, jusqu’à inspirer Hergé dont la Castafiore chante le fameux « Air des bijoux ». Donnée deux soirs à huit clos en 2021 en raison de la pandémie, puis reprise en juillet 2022, cette production signée Tobias Kratzer succède à celle de Jorge Lavelli (1975) qui fût jouée près de trois décennies à l’Opéra Garnier puis à l’Opéra Bastille. Le metteur en scène allemand nous embarque dans une vision féérique de l’œuvre de Gounod où le mythe de l’éternelle adolescence oscille trois heures durant entre rêve et réalité à grand renfort de multiples changements de décors et d’un dispositif vidéo étonnant, truffés d’effets spéciaux à couper le souffle. Au cours des 5 actes, le spectateur assiste à la fuite en avant du héros en quête de sa jeunesse éternelle à travers une succession de tableaux plus étonnants les uns que les autres. On salue ici la vision du metteur en scène qui a pris quelques libertés bienvenues. Car des surprises, il y en a partout. A commencer par le premier tableau lorsque le rideau se lève sur l’intérieur cossu d’un appartement parisien. L’aube naissante dévoile Faust, en homme âgé visiblement déçu de sa nuit passée avec une jeune prostituée. En prise avec les affres de la vieillesse, cette nuit lui revoie que ses meilleures années sont derrière lui. Seul l’écho des voix de jeunes filles au loin, le retiennent de se suicider. C’est alors qu’un mystérieux étranger surgit dans son appartement, accompagné de six démons que l’on retrouvera régulièrement tout au long de l’opéra. Vêtu de noir, cheveux long et barbe finement taillée et cape noire sur les épaules, le Méphistophélès de Tobias Kratzer est à mi-chemin entre Batman et le diable.
Les scènes où Méphistophélès s’envole dans les airs sont assez cocasses. Autre liberté dans la mise en scène, Valentin le frère de Marguerite et ses amis n’apparaissent pas au début comme des soldats mais comme des jeunes de banlieue jouant au basket. Marguerite qui vit elle dans un logement HLM rencontrera Faust dans une boîte de nuit où elle se trémousse, portable à la main. Le sort jeté à Faust n’est pas permanent. Il retrouve ses traits de vieillard, notamment à la fin de l’acte du jardin alors qu’il s’apprête à monter chez Marguerite pour lui faire l’amour. Lorsque le diable prend alors sa place, la jeune femme se retrouve enceinte du diable. On apprécie ce petit clin d’œil au film « Rosemary’s baby » de Roman Polanski. Autre surprise, la chambre de Marguerite est transposée dans un cabinet de gynécologie. Marguerite découvre avec horreur l’échographie. On ne spoliera pas. On y entend outre le magnifique air « Il ne revient pas », la réponse de Siebel « Versez vos chagrins dans mon âme ! ». La scène de l’église Satan, terrifiante, se déroule dans une rame du métro. Vous avez là un petit aperçu de cette mise en scène rythmée qui va de surprises en rebondissements. La prestation des solistes est impressionnante et jubilatoire. Dans le rôle-titre, le ténor Samoan Pene Pati excelle durant toute la soirée. Puissance et raffinement, le chanteur empli le volume de l’Opéra Bastille avec aisance et dévoile des trésors de sensibilité quand il s’agit de rendre hommage au génie de Gounod, notamment dans le fameux « Salut demeure chaste et pure » (où le redoutable contre ut est d’ailleurs émis sans difficulté). Il campe un Faust éperdu, souvent dépassé par les événements, totalement soumis. Des qualités que l’on retrouve également chez Alex Esposito dans le rôle de Méphistophélès, qui habite l’espace sonore d’un beau timbre baryton basse. Son charisme et son jeu rendent son personnage très convaincant, plein de fantaisie et d’humour.
On salue la prestation de la soprano égyptienne Amina Edris qui avait fait des débuts fracassants dans le rôle de Marguerite à l’opéra de Détroit en 2019. Elle donne une belle interprétation de la ballade du « Roi de Thulé » et de « L’air des bijoux » (« Ah ! Je ris de me voir si belle en ce miroir ! ») avec beaucoup de retenue et d’émotions. Florian Sempey déjà présent à la création en 2019, campe un Valentin très investi, protecteur de sa sœur et particulièrement émouvant dans l’air « Avant de quitter ces lieux ». La scène dans laquelle Faust lui enfonce une lame dans le torse est particulièrement poignante. On apprécie aussi l’interprétation de la mezzo-soprano Sylvie Brunet-Grupposo ( Dame Marthe) et celui de la seconde mezzo-soprano Marina Viotti dans le rôle de Siebel, jeune garçon amoureux transi de Marguerite. On salue le travail des Chœurs de l’Opéra National de Paris notamment sur le puissant « Gloire immortelle de nos aïeux » sans oublier le comédien Marc Diabira dans le rôle muet de Faust âgé. La direction d’orchestre confiée à Emmanuel Villaume, l’une des véritables valeurs ajoutées de cette magnifique production. Actuellement directeur musical de l’opéra de Dallas, le chef français met en lumière la sonorité extraordinaire de l’Orchestre de l’Opéra de Paris et dévoile toute la palette de couleurs de cette magnifique partition. Si on ajoute à cela la musique majestueuse de Charles Gounod, les splendides costumes et décors signés Rainer Sellmaier, ces huit nouvelles représentations raisonnent déjà aux airs de triomphe.
Opéra National de Paris
Jusqu’au 18 octobre 2024
3h50 avec 2 entractes
Renseignements et réservations : www.operadeparis.fr