MANU CHAO « Viva Tu »
Après 17 ans d’attente – 16, si on inclue le live « Baionarena » de 2008- depuis « La Radiolina », son dernier album-studio, le Manu sort enfin à nouveau de sa tanière ibérique pour nous charmer de ses délicates, mais néanmoins pimentées, versions latines avec « Viva Tu », riche de 13 compositions, vocalisées comme à l’accoutumée en espagnol, en français, en anglais et en Chao. Et c’est comme si le temps s’était arrêté pour Manu Chao, ce qui n’empêche pas cet inclassable nouveau CD de nous charmer de son exotisme bienveillant tel le mariachi joue sa sérénade sous le balcon de la Belle.
Et alors… le nouveau Manu Chao… il est comment ? Ben comme d’hab, c’est un peu toujours la même chanson, le seul problème c’est qu’on l’aime. Et c’est bien là que se cache la clef d’un succès hautement prévisible. Car ce folk-latin-world-rock fusion se révèle décidément toujours aussi addictif, si touchant au for intérieur par sa naïveté préservée et son apparente simplicité. Et c’est avec un petit voyage dans le temps jusqu’au Moyen-Âge que démarre cet album sur « Vecinos en el mar », qu’on imagine interprété dans un château-fort par un improbable ménestrel qui oserait défier son seigneur en osant chanter la liberté. Et c’est bien tout Manu que l’on retrouve dans cette parabole spatio-temporel. Plus surprenant, « La couleur du temps » est vocalisée intégralement en français : « Je connais les yeux du néant / Et je sais que la guerre… reviendra la guerre / Je connais le bord de la mer/ Je connais des yeux si troublants/ Je connais la couleur du temps/ Et j’espère qu’il est encore temps … » Deux minutes pour témoigner si justement de son temps, portant la guitare au poing comme on tient une arme intellectuelle. Puis « River Why » interprétée en anglais avec l’accent pour le moins exotique du chanteur-guitariste se distingue pourtant comme l’un des titres-phare de l’album, porté par sa coolitude chaloupée. Quant à la chanson-titre, « Viva tu », il semble bien que le texte en espagnol en ait été écrit par un éternel gamin de dix ans, levant finalement les premiers doutes sur son côté un poil trop naïf (« Vivas tu la Marilu… »), porté par son feeling latin, elle se révèle d’une redoutable efficacités à s’insinuer durablement dans les neurones. Et quand un hit en chasse un autre… on tombe sous le charme de ce tout premier tube country-music d’un Manu malin, qui a su se faire épauler par le monumental Willie Nelson avec « Heaven’s Bad Day », pour deux extraordinaires minutes de bonheur façon cow-boy, sans doute ma petite favorite du CD. Autre titre en Français écrit comme un album de BD et débordant d’allitérations que n’auraient pas renié Gainsbourg « Tom a embrassé́ Lola/ A la Porte des Lilas… » auquel un hommage appuyé est ici porté « Petit trou du poinçonneur/ Petit tour et puis s’en va ». Puis, sur la jolie « Tu te vas », en duo avec La chanteuse Laeti, on replonge direct dans le format « Clandestino » avec cette balade accroche-cœur qui fait battre les nôtres juste un peu plus vite.
Manu s’aventure également coté portugais, si je ne m’abuse, avec « Meu coraçao no mar », suivi par « Cuatro calles » une quasi morna fatalement mélancolique vocalisée en espagnol. Et avec « La collilia » voici le fils du retour de « Panik sur le périphérique », en flamenco aussi joyeux qu’insouciant. Et sur « Sao Paulo Motoboy » on retrouve un petit air de « Je ne t’aime plus ». On vous l’a dit, aux établissements Manu on fabrique un peu toujours la même chanson, mais quelle chanson ! Quant à la cool « Lonely Nights », troisième composition vocalisée en anglais, elle déborde de cette moiteur tropicale qui nous fait tant défaut cet automne. Enfin, et c’est sans doute là le titre le plus surprenant, avec « Tantas tierras », super chanson sur un cool beat reggae mais qui m’inspire un terrible sentiment de « déjà vu » ou plus exactement de « déjà entendu ». Vous vous souvenez sans doute tous du « My Sweet Lord » de George Harrison, qui avait sans s’en rendre compte reproduit le « He’s So Fine » des Chiffons de 1963 et son embarras d’avoir eu à partager rétroactivement tous les copyrights perçus ? Cette fois, sur ce « Tantas tierras » j’ai tout d’abord cru à une reprise façon reggae acoustique cool du « Knocking On Heaven’s Door » de Bob Dylan. Sauf que… comme j’ai vraiment eu un doute, j’ai écrit au label Because qui distribue « Viva tu », pour consulter les crédits de l’album. Et là, pas d’erreur « Tantas tierras » est effectivement signé Manu/ Manu. Alors, même si j’ai beaucoup abusé de drogues diverses, et sans être juriste spécialisé dans le droit d’auteur, j’ai la sensation que cela ressemble à s’y méprendre à la fameuse composition du natif de Duluth. Et connaissant la réputation bull-dog du Zimmerman… je m’étonne que personne autour de lui n’y ait pensé ! De surcroit, Manu est si internationalement connu que cela peut difficilement passer à l’as. Tout comme « Knocking On Heaven’s Door » n’est pas à proprement parler le titre le plus obscur de Dylan. Je me trompe peut-être, mais la question a le mérite d’être posée. À part ça, tout va bien, l’album est super, gorgé de soleil, de chaleur et d’humanité, justement tout ce qui nous manque déjà depuis la disparition pure et simple de l’été dernier.