DAVID GILMOUR « Luck And Strange »
9 compositions, dont 6 d’une durée minimum de 5 minutes, plus un titre bonus plus (dans la version luxe du CD) un instru, plus une vertigineuse jam session de 14 minutes, on peut dire que David Gilmour aime prendre son temps. Et qui saurait en blâmer le mythique guitariste-chanteur de Pink Floyd, dans le 5ème épisode de ses fulgurantes aventures solos, à l’aune de ses 78 printemps. Ce bien bel album est aussi une histoire de famille, puisque sa propre femme, Polly Samson, signe la plupart des textes, lorsque leur fille Romany chante sur une reprise des obscurs Montgolfier Brothers. Et, en séquence émotion, on y retrouve même les synthés du regretté Richard Wright, sur la chanson-titre écho à « Echoes », de ce « Luck And Strange , un si « chanceux et étrange » album.
Neuf trop longues années se sont déjà écoulées depuis son « Rattle That Luck », mais en 5 albums solos en 60 ans de carrière David Gilmour maintient son propre rythme, échappant à la routine de tant d’artistes qui (pro)créent un CD tous les neuf mois. Capturé intégralement dans divers studios britanniques, y compris son propre studio flottant sur une péniche historique de 1911 amarrée à Hampton, sur la Tamise, baptisée l’Astoria, « Luck And Strange » se révèle telle une prouesse addictive qui en fait l’un des incontestables albums de 2024.
Dans son combat contre Waters, David Gilmour est le coté clair de la Force et son ex-collègue du Floyd tout le coté obscur, l’un incarnant la lumière et l’amour, l’autre les ténèbres et la haine. Et ce tout nouvel album de Gilmour démarre avec « Black Cat », un instru forcément aussi climatique que planant en intro de la chanson-titre, la mélancolique « Luck And Strange » et l’on reconnaitrait cette guitare inimitable entre toutes, avant cette voix si emblématique qui entonne ces mots : « Dans la lumière qui précède l’aube/ Les ombres serpentent dans ma périphérie/ Me subjuguer, le faire venir/ Le cœur bat de peur ici dans le théâtre de mon âme/ Vous voyez, j’espère que ça va continuer encore et encore/ Et quand le rideau se lève/ Le matin arrive toujours… »
Et, au-delà du texte crépusculaire, ce « Luck And Strange » parvient à faire battre nos cœurs un peu plus fort, un peu plus vite, lorsqu’on se laisse porter par les gammes des synthés émotionnels du regretté Pink Floyd, Richard Wright, parti bien trop tôt en 2008, capturés au cours d’une jam session dans la grange de Gilmour, quelques mois avant sa disparition. Vous avez dit Pink Floyd ? Avec la lente « The Piper’s Call », on retrouve toute la grâce, la délicatesse British et l’harmonie qui fait l’ADN de la formation du natif de Cambridge. Et l’on se laisse simplement porter par le bliss de cette voix inimitable, avant d’être ébloui par toute la beauté de « A Single Spark », qui ne cesse de gagner en intensité, au fur et à mesure du morceau, tandis qu’un solo de la guitare si emblématique de Gilmour parvient à nous arracher à l’attraction terrestre. Et c’est bien là tout le talent du chanteur-guitariste, qui sait si intensément projeter son univers dans la tête de l’auditeur. Puis résonne le second instrumental, « Vita Brevis » façon ménestrel dans le château du Lord, comme un prologue à « Between Two Points » où l’on tombe immédiatement sous le charme de la voix angélique de Romany Gilmour.
Mais le plus incroyable, c’est que cette composition plus Gilmour que Gilmour… n’est pas de Gilmour, mais des Montgolfier Brothers, groupe indie pop underground Anglais du crépuscule des 90’s. Et le résultat est juste bluffant, la chanson est une splendeur dans le plus pur style de daddy et nous, les aficionados, sommes littéralement au paradis. Sans doute, la composition la plus dramatique et speed de tout l’album, avec la musclée « Dark And Velvet Night », dans la même veine que sa prédécesseure « Rattle And Lock ». Retour à la quiétude Gilmourienne avec « Sings » aussi simple et dépouillée que d’une redoutable efficacité à marquer durablement les neurones, oxygène comme une balade dans un jardin Anglais, peut être l’un des morceaux majeurs de ce « Luck And Strange » ? Enfin, en final grandiose le titre-phare « Scattered » au petit bruit caractéristique en écho à « Echoes », avant un surprenant solo de piano à queue, prouve que décidément le style Gilmour est intemporel et qu’il défie jusqu’aux siècles, du haut de ses 7 minutes et 37 merveilleuses secondes. End of the story ? Pas tout à fait, puisque le spectacle continue, avec le titre-bonus « Yes, I Have Ghosts », simple balade acoustique, une comptine enfantine presque moyenâgeuse, vocalisée à deux voix avec sa fille Romany. Mais le plus émotionnel reste à venir, avec la jam session originale de « Luck And Strange » en compagnie de Richard Wright, véritable trip cosmique de plus de 14 minutes dans la plus grande tradition du Floyd. Et l’on se laisse porter par ce dialogue entre la guitare de Gilmour et le clavier de Wright, avec un terrible pincement au cœur, réalisant qu’une telle alchimie ne se reproduirait plus jamais. Finalement, en version Deluxe, tout s’achève par l’instru d’une des plus belles réussites du CD avec la classieuse version orchestrale de « Scattered » comme un retour vers le futur de « Meddle » me laissant kiffer juste un instant de me téléporter dans le 1971 de mes…15 ans ! Thanx for the good trip mister Gilmour !