COUTIN OU LA SAGA DE L’HOMME « QUI AIMAIT REGARDER LES FILLES » EPISODE 4

CoutinQuatre décennies rock se sont écoulées mais Coutin n’a jamais renoncé, la preuve par « Paradis », soit trois albums vinyles publiés en simultanée, un projet fou et ambitieux qui nous a donné envie de vous faire partager l’incroyable saga de cet homme « qui aimait regarder les filles ». Épisode 4 : Exégèse de ses trois nouveaux LP « Welcome in Paradise », « Paradis électriques » et « « Obsolète Paradise »

CoutinQuatrième et dernier épisode de cet entretien-fleuve, voire carrément océan, de Patrick Coutin, notre héros rock hexagonal de « L’homme qui aimait regarder les filles », à trois semaines de son très attendu concert à la Maroquinerie du samedi 5 décembre 2020 et à quelques jours de la publication de sa biographie de Jim Morrison chez Hoëbeke. Dialogue à bâtons rompus avec cet authentique « amant de la musique »  pour évoquer ces précieuses VINGT SEPT chansons qui constituent ce projet allumé « Paradis ».

« Tu as enregistré ces trois albums sur une période de trois ans ?

À peu près. Par intermittence, un coup une chanson française, un coup une chanson anglaise. Petit à petit, trois idées ont émergé. Et d’abord cet album de reprises pour dire les chansons qui m’ont marqué et que j’avais besoin de revisiter.

Coutin« Obsolete Paradise », c’est l’album de covers ? Le concerto d’Aranjuez qui l’ouvre, « Summertime », c’est un truc lié à l’enfance, je présume ?

C’est surtout un hommage, tu ne peux pas te prendre pour Janis Joplin ! Et moi, Janis Joplin m’a marqué par cette interprétation absolument déchirée de « Summertime ». Toute ma vie, ça avait été un rêve de jouer ce morceau. Et donc, un des premiers que j’ai appris à jouer quand j’avais 19 ans, c’est « Summertime », en souffrant terriblement. C’est presque de la musique classique, ce morceau, mais il marque vraiment mon entrée dans le blues.

Il y a quelques chansons qui ont un phrasé Bashunguien ou Bashunguesque, même les textes d’ailleurs… un peu Bergmaniens…

… ou Fauquiens, on va dire ! D’une part, Bashung c’est juste immense, quoi ! Quel dommage que sa vie ait été écourtée, parce qu’il était arrivé à une maturité extraordinaire. Il a toujours su faire un truc que j’admire par-dessus de tout, être capable de chanter en Français et de créer dans un univers Français, tout en préservant cette espèce d’esthétique rock. Très difficile, horriblement difficile… et je trouve qu’il a toujours très bien fait, moi j’ai beaucoup d’admiration pour Bashung.

C’est vrai qu’il y a un côté un peu … parallèle !

C’est un peu un grand-frère pour moi. À l’époque où moi j’ai commencé, j’avais déjà vu Bashung en première partie de Cream. Je ne sais plus comment je m’étais retrouvé dans ce concert, ça devait être au Palais des Sports en 66 ou 67. C’était un petit mec freluquet. Des Bashung ou des Kat Onoma sont des gens avec lesquels je ressens une vraie proximité naturelle.

Dans l’album de reprises, la seule que je ne connaissais pas c’est le « Chitlin’ Con Carne » de Kenny Borrel !

Super morceau ! Alors je vais me permettre de te conseiller, c’est une des rencontres qui m’a le plus marqué et ensuite j’ai aussi croisé son frère, c’est Stevie Ray Vaughan…

stevie ray vaughanAh, mais moi aussi, j’ai adoré rencontrer ce type, d’abord sur les répétitions du Serious Moon light Tour de Bowie au SIR studio à New York, tournée qu’il ne fera pas en fin de compte, remplacé au pied levé par Earl Slick. Et puis à Paris, à l’hotel Lutécia où je l‘ai à nouveau interviewé pour BEST toujours avec son feutre noir ceinturé de médailles, quel incroyable musicien !

Et justement, Stevie Ray Vaughan faisait une version hallucinante de « Chitlin’ Con Carne » ! Un jour, je vais l’interviewer au Rose Bonbon. Il a fait un concert là-bas, il y avait trois Marshall gigantesques et là j’ai découvert le mec, les gens qui étaient autour de lui qui venaient tous d’Austin, Texas comme lui. D’abord le musicien m’a époustouflé, car c’est un très grand guitariste, un mec qui ne pouvait pas vivre sans la guitare. Tu avais l’impression que si tu lui retirais la guitare, il dépérissait. Et après, quand j’ai travaillé à Austin, j’ai rencontré son frère qui est aussi une vedette là-bas et qui était le vrai musicien de la famille. À Austin, ils sont tous musiciens, ce n’est pas compliqué, c’est un peu comme à la Nouvelle-Orléans. Et puis, j’ai entendu des tas d’histoires sur Stevie Ray qui est un enfant chéri à Austin. Il était déjà mort quand j’étais au Texas, mais tu sens cette espèce d’affection qu’il y a pour ce môme qui était difficile, qui était héroïnomane, qui avait vraiment beaucoup de problèmes, mais qui jouait jusqu’à se couper les doigts et il se les recollait à la superglu ! Ils te le disent les gens là-bas, Stevie Ray avait les doigts bouffés par la superglu à force de jouer. Il jouait sur des cordes énormes en plus. Il avait cet amour de la musique qui le faisait partir du jazz et arriver au blues et au rock. C’était vraiment un interprète de la guitare même s’il composait aussi. Et humainement, il était aussi extraordinaire.

Coutin« Light My Fire », c’est ton coté Californien avec les Doors ! Mais c’est plus une version Johnny Cash que Jim Morrison ?

Oui, car pour chanter comme Jim Morrison il faut tout de même se lever de bonne heure, car il avait tout de même un bel organe cet enfoiré ! Les Doors c’est un peu mon groupe fétiche. Si Morrison n’était pas mort, j’irais encore au concert des Doors, c’est certain.

Johnny Hallyday, j’étais un peu surpris, j’avoue de te découvrir chantant « La musique que j’aime ».

Alors, pourquoi Johnny Hallyday? 

Parce qu’il gueule beaucoup ce garçon !

Ah oui…  tu as vu l’espèce de grande gueule qu’il avait ? Johnny meurt et moi je n’ai pas écouté Johnny depuis que j’avais dix-huit ans, grosso modo. Je trouve que tout ce qui s’est passé autour de Johnny pendant sa mort est poignant parce que souvent c’est ridicule. Je peux concevoir qu’on puisse adorer un artiste et lui donner beaucoup, mais tous les scandales, les machins, les trucs d’héritage, tout ça m’écœure profondément. J’ai de la peine pour lui, quoi !

En même temps, il l’a bien cherché en déshéritant ses enfants !

Il l’a peut-être fait exprès, car il avait une vengeance personnelle, mais il aurait pu…

Pourquoi il se vengerait de ses gamins ? Qu’est-ce qu’ils lui ont fait ?

Je ne connaissais pas Johnny donc je ne peux pas parler. Il faut se souvenir que c’était une grande voix, deux octaves pleines dans la voix, même s’il s’est auto-caricaturé pendant une bonne partie de sa vie.  Je me disais : mais c’est vrai que je connais ce mec depuis que je suis tout petit. Le premier film que j’ai vu c’était « D’où viens-tu Johnny ? ». Et puis, j’ai commencé à examiner son chant. C’est vrai qu’en tant que fan de musique américaine ou anglaise j’ai abandonné les chanteurs français depuis longtemps. Mais un jour où je trainais sur le net, j’écoute « Toute la musique que j’aime » et qui est une bonne chanson, un beau blues écrit en France, et là je me dis : putain, c’est pas facile à chanter ! Pourtant, je prends ma guitare et j’essaye de chanter. Et là, j’ai passé une quinzaine de jours à essayer d’imiter Johnny, avant que je ne commence à m’en éloigner pour redevenir moi-même. Donc de faire de l’anti-Johnny. Et à un moment, j’avais fait un petit play-back pour m’accompagner et je me suis dit : finalement ce n’est pas si inintéressant que cela et ça représente aussi bien cette vie que tu as eu qui est partie du rock français pour arriver au rock anglais pour finir au rock américain. Et puis c’est aussi un bout de ma vie. Bref, je me suis dit : je vais m’attaquer à Johnny, c’est iconoclaste, il ne faut pas le faire. Les gens savent que je ne suis pas un fan intégral de Johnny. Je respecte le monsieur, mais ce n’est pas exactement ma musique. Je trouvais que c’était marrant à faire. C’est aussi marrant à chanter.

CoutinElle sonne assez blues, tout de même !  Tu l’as ralentie aussi.

Je l’ai ramenée à ce que moi je ressentais, je l’ai raccourcie aussi. Et j’aime bien la chanter en public.

« J’aime regarder les filles » revisitée, j’ai noté « version planante dub » et ça me rappelle un truc de Grace Jones « Libertango »… peut être son premier hit.

Je n’ai pas pensé à ça. Mais j’ai pensé à toutes ces déconstructions qu’on pouvait faire. « J’aime regarder les filles », ça fait maintenant 40 ans que je me trimballe avec ce truc-là, je n’allais pas …

Tu aurais pu faire une version complètement Metallica !

J’en ai fait, d’ailleurs qui ne sont pas spécialement sorties ! Mais, à un moment, je me suis dit que j’allais faire un truc comme William Burroughs, un « cut up ». En fait, c’est une version confectionnée à partir de sept ou huit versions redécoupées.

D’où le côté dub !

Oui, ce côté décousu de la chanson. C’était une façon de me venger de ce morceau, je pense un peu.

Mais tu l’aimes bien, quand même !

Bien sûr, je l’adore. Mais, en même temps, tu le sais qui aime bien châtie bien. C’est comme la femme avec laquelle tu vis depuis quarante ans, il y a un moment où elle te casse les pieds. Mais le lendemain tu l’aimes à nouveau. C’est vrai que c’est un morceau qui m’a apporté tellement dans ma vie et qui en même temps il fallait le porter.

Car c’était dur de faire le deuxième.

Hé oui… c’est dur de faire le deuxième.

D’ailleurs, tu n’en avais pas vraiment envie.

Je ne voulais pas faire de deuxième album, c’est vrai. Je voulais m’arrêter tout de suite après et écrire. Les gens de CBS étaient venus me voir à l’époque et c’était tentant. De gros budgets, des machins et tout… je m’étais laissé tenter. J’aime bien le deuxième album, il est très sombre, ce n’est pas un album heureux du tout. Moi j’ai très mal vécu le fait d’être une vedette en France. Je n’étais pas du tout préparé à vivre ce genre de chose.

Tu avais un peu le cul entre deux chaises. Tu étais un groupe de rock dans un système de variété.

C’était compliqué. Tu avais ceux qui tiraient vers la variété. Tu avais tes potes qui te disaient : ce n’est pas assez rock ! Tu ne savais plus où tu étais.

C’était l’arrivée des punks, aussi.

Les punks, c’était une musique difficile pour un mec de ma génération, parce que surtout j’arrivais de la Californie, qui devenait de plus en plus complexe avec des Toto et des machins comme ça. Et, en même temps, tu avais les punks qui pouvaient se montrer un peu crispants. Tu invitais un punk chez toi  à Paris, tu ressortais il manquait forcément un truc. D’autant que nous autres, puis que j’étais journaliste au moment de l’explosion des Sex Pistols, on a su très vite que les punks anglais, même si les artistes étaient souvent honnêtes, étaient en fait une énorme histoire commerciale.

The great rock and roll swindle…la grande escroquerie du rock and roll de Malcolm McLaren !

Ce n’est pas par hasard qu’il a joué avec ça et que donc, y compris les émeutes dans les concerts punks, étaient prévues à l’avance par la maison de disques qui convoquait les photographes, etc… Moi j’étais ambivalent par rapport au mouvement punk. Aujourd’hui, je trouve qu’il est presque plus intéressant ceux qui le sont restés qu’ils ne l’étaient à l’époque. Pour moi le grand groupe punk c’est the Clash que j’adore.

CoutinComme tout le monde adore ce groupe génial. Moi, au début je détestais les punks et puis le Clash est arrivé et ça a tout changé. Quel groupe génial. Revenons à ton album de compos originales en anglais… pourquoi ce titre?

« Welcome In Paradise » et pourquoi pas « Welcome To Paradise »? C’est au moment de mon trip à San Francisco ( Voir dans Gonzomusic l’episode 1 de la Saga Coutin : De Sfax à San Francisco    https://gonzomusic.fr/coutin-ou-la-saga-de-lhomme-qui-aimait-regarder-les-filles-episode-1.html  ) lorsqu’à mon arrivée mon pote m’attendait à SF Airport et que j’étais à Oakland airport, de l’autre côté de la baie, avec ma jambe cassée et ma guitare, lorsqu’une hôtesse m’avait sauvé la vie. J’allais passer la nuit à l’aéroport, mais il était situé dans un quartier dangereux, or je n’avais pas la moindre thune pour me payer un motel, même cheap. Alors elle m’a dit : viens avec moi et m’a conduit avec elle en taxi dans le plus bel hôtel de San Francisco, le Saint Francis je crois. Elle me dit : tu vas prendre ma chambre et moi je vais dormir dans celle de ma copine hôtesse. Le lendemain matin elle vient, elle frappe à la porte, elle avait trouvé un type qui parlait français pour m’aider à contacter mon copain. Moi j’étais KO par le jet lag, et en partant elle me lance : Welcome in Paradise ! En fait, c’est parce qu’elle habitait une ville baptisée Paradise, faisant un jeu de mots avec elle-même…

Mais c’est la fameuse ville californienne qui a disparu sous les flammes des feux de forêt l’an passé ? C’est pour cela que tu as appelé ainsi l‘album ?

Non, je l’ai fait avant. Ça m’était resté, d’autant qu’un des plus beaux moments de ma vie c’est dans un autre Paradise, cette fois au milieu du désert, que e l’ai vécu. Un jour j’arrive dans une station-service abandonnée. Ça s’appelle Paradise, il y a un panneau qui tombe à moitié et il y a marqué : Welcome in Paradise. C’était trop l’Amérique de légende, avec ces tumbleweeds qui tournoient poussés par le vent. Je suis tombé en panne avec ma voiture de loc et j’ai été dépanné par une fille, avec laquelle j’ai passé une année et qui reste dans ma tête.

Et donc, ton hôtesse de l’air t’as dit : Welcome in Paradise, sous-entendu si tu passes à Paradise, tu es le bienvenu chez moi… d’accord !

En même temps, elle se moquait aussi un peu de moi, petit français ébloui par l’Amérique qui trouvait tout beau ; car lorsque je suis arrivé au Saint Francis, il y avait trois mecs pour t’ouvrir la chambre. Moi je n’étais jamais descendu dans un hôtel de luxe. C’était la première fois de ma vie que je rentrais dans un truc comme ça. Ça m’était resté gravé dans la tête ce Welcome in Paradise et c’est une expression que je dis souvent y compris à ma fille.

Donc j’ai écouté « Welcome in Paradise » évidemment, et c’est bourré d’influences, par exemple « I Guess » me fait penser à un truc entre « Mother » de Lennon et « Angie » des Stones.

Ouais, d’ailleurs dans « I Guess » il y a effectivement une phrase des Stones «Ain’t it time we said goodbye », volontairement mise là, c’était une façon de rendre hommage aux Stones. Dans tous ces albums, il y a un côté artiste au travail, mais il y a aussi un côté hommage à tous ces gens-là. Tu viens de parler de Lennon, tu viens d’évoquer les Stones, on pourrait aussi parler de Gainsbourg en France, d’autres personnes des jazzmen, etc…

CoutinOn va  justement en parler de Gainsbourg, car il arrive dans tes influences.

Tu ne peux pas aimer ces gens-là sans avoir une certaine forme d’influence de leur part. J’ai beaucoup d’admiration pour eux même si je fais ma musique.

C’est assumé ?

Bien sûr. J’avais envie de mettre des citations, un peu comme lorsque tu écris un texte, en mettant une petite phrase de Mallarmé, par exemple. Mais là j’avais envie de faire également des citations musicales de tous ces gens qui m’ont tellement apporté. Il faut toujours se rappeler que, pour un ado de ma génération, ces artistes ont été fantastiques. Ils nous ont apporté ce que personne ne nous avait apporté auparavant.

Ils ont ouvert les portes de la perception, au sens Doors du terme !

C’est exactement ce qui s’est passé ?

Alors, « Yer’ Blues Train », en l’écoutant je pensais à Robert Johnson.

Oui, bien sûr, c’est le blues

« Let It Goes », on est entre Robbie Robertson et Johnny Cash ?

Oui.

« In the Black Out Shout”, que j’aime énormément, ça a un côté « Personal Jesus » de Depeche Mode.

C’est un morceau qui est influencé par plusieurs personnes. Au départ, le texte est influencé par Lou Reed, après c’est un morceau que je voulais assez pop pour penser à ces gens-là, pour penser aussi à Bowie, à cette génération de cold rock anglais un peu désabusé où finalement l’auteur est un journaliste.

Et aussi en même temps psychédélique et aussi un peu Jack White.

Je pense qu’avec Jack White, en réalité on a les mêmes influences, car quand j’écoute sa musique j’ai l’impression qu’on a écouté les mêmes choses.

Oui, il y a deux parties dans cette chanson et la partie « Shout » c’est plus Lou Reed/ Iggy Pop.

Dans la première partie, on est un peu dans cette sorte de Cold Wave un peu désespérée, sombre. Et la deuxième partie…

… aussi sombre, mais plus cool et plus Lou Reed ou Iggy Pop.

Voilà. Velvet, aussi.

Ah Velvet, c’est la prochaine !

« By the Sea », oui.

« By the Sea » c’est « Sunday Morning” ?

Absolument.

Allez, entre Neil Young et « Sunday Morning,  on va dire.

Je suis d’accord avec toi. J’avais trop envie de faire un morceau sur cette espèce de vacuité du matin. Il n’y a rien, il ne se passe rien, mais tu as survécu.

CoutinIl y a une chanson que tu as composée dans deux versions, à la fois française et en anglaise « The Spirit and the Flesh » baptisée « My My » en français et again l’influence de Neil Young « Hey Hey My My » qui se fait ressentir… mais pas que, car on retrouve aussi le Dylan de « Like A Rolling Stone ». Donc Dylan c’est important pour toi, tout de même.

Mais tous ces gens-là sont très importants. Prend un album de Dylan, lis les paroles c’est magnifique et c’est pareil avec un album de Neil Young. Ils m’ont apporté des choses extraordinaires, c’est clair que parmi mes terreurs il y a celle de voir mourir mes héros.

Et en ce moment, ils tombent comme des mouches !

Ils tombent comme des mouches.

En l’occurrence, les deux sont encore là.

Et ils sont magnifiques. Certes, il y a des albums de Dylan que je n’ai pas aimé, mais au bout du compte, quand tu regardes tout ce qu’ils ont apporté à l’humanité, à la culture, il faut avouer qu’on n’aurait pas parié qu’ils auraient une telle importance. Donc oui, ce sont des hommages manifestes.

Grateful Dead pour la prochaine « Get In the Groove” qui me rappelle “Terrapin Station ».

Ah ouais, exactement. Là, tu es très fort ! Ça rappelle « Terrapin Station », ça rappelle aussi une chanson intitulée « Dancing In The Street ».

Ah oui, de Martha and the Vandellas, mais dans sa version Bowie/ Jagger !

Mais aussi version Dead puisque le Dead l’a refaite, c’est pour cela que je te dis que tu es très fort ! Le cover se trouve justement aussi dans l’album « Terrapin Station », donc là tu as vraiment fait le tour de toutes les influences.

Bon, la dernière sonne « Eagles »… elle me rappelle « King of Hollywood » qui est sur le LP « The Long Run », c’est très californien.

Voilà, c’est très californien. Feel good song, avec en même temps une bonne conception du monde et, en même temps, la capacité de faire venir de sonorités indiennes. Quand j’étais à Frisco, c’était la musique indienne qui représentait la world music, Ravi Shankar, etc…c’est un peu une chanson pour la planète.

CoutinIl y a aussi l’album en Français « Paradis électriques ». Lui aussi est plein d’hommages, mais aussi plein de ta personnalité.

Oui, mon métier c’est d’écrire des chansons en français quand même.

La première « How Do You Do, Serge ? » c’est un hommage terrible à « Melody Nelson »… fatalement identifiable, tu t’imaginais parlant à Gainsbourg ?

Je me suis levé et je l’ai jouée d’un trait à la guitare en l’ayant enregistrée… avant de l’oublier. Et un beau jour, je l’ai retrouvée et j’ai écouté… et là je me suis dit : « mais tout est pompé à « Melody Nelson ». Et en fait, non. C’est du « Melody Nelson », mais rien n’est pompé à « Melody Nelson », c’est un pastiche.

À la manière de…

À la manière de … le texte ressemble, c’est le même texte, mais il n’est pas écrit pareil.

Avec un côté country-blues, tout de même. Le son n’est pas du tout celui de « Melody Nelson ».

Non, pas du tout ce son anglais, tel qu’il l’avait fait lui. Bref, je l’avais mise de côté. Il est dans les quinze titres qui trainent, en me disant qu’elle sera peut-être à la fin de l’album, pour rendre hommage à Gainsbourg. Et puis un jour, je parle avec un copain qui me dit que Gainsbourg c’est pas très rock and roll. Ça m’énervait ? Alors, je me suis dit que, non seulement j’allais faire cet hommage, mais qu‘ en plus j’allais le mettre en titre numéro un de l’album, au tout début. Je me suis accroché à cette idée. Je pense qu’on va beaucoup parler de Serge là, c’est l’anniversaire de sa mort ( en fait le 2 mars 2021 on célèbrera les putain… 30 ans du départ de Serge : NDR), mais je trouve qu’on a très vite tiré un trait sur Serge Gainsbourg. On l’entend très peu à la radio, contrairement à plein de choses de ces années-là. Et je pense qu’on a oublié à quel point c’était un génie, et à quel point il était important dans la culture française. Que ce soit ses aventures avec les femmes… en musique…

 

… mais pas que !

Serge GainsbourgMais même en musique, c’est l’homme qui a fait chanter Adjani, Bardot, France Gall, Petula Clarke Jane… moi j’ai cette communauté d’esprit avec lui, qui est cet amour de la femme. Que c’est un immense auteur. Qu’il y a 40 chansons de Gainsbourg que je pourrais reprendre. Que cela soit « Le poinçonneur des Lilas » ou le « Aux armes, etc… »,  il y a toujours une intelligence incroyable chez lui. Et cette intelligence elle est fondamentale dans la musique. La musique ne peut pas se permettre de devenir con avec le passé qu’elle a. Le rock ça doit être intelligent, voilà.

Après Serge, Bashung avec « Pas très loin de minuit » et ton hommage à « Vertige de l’amour », comme la précédente était un hommage à « Melody Nelson ».

Peut-être un peu moins marqué, mais je me retrouve dans une grande communauté d’esprit avec Bashung. Ses auteurs sont magnifiques, j’adore ce que fait Jean Fauque, Bergman aussi bien évidemment. Si je tombe sur un truc qui ressemble à Bashung je le garde, rien que pour m’amuser.

« Paris la nuit » c’est Lou Reed.

Oui c’est vrai.

C’est intéressant, car faire du Lou Reed en français, à part Daniel Darc, je ne connais personne qui fasse ça bien.

C’est compliqué, Lou Reed.

Surtout en Français, en anglais c’est facile.

Oui, tu as raison en anglais, c’est facile. Alors, c’est une chanson qui a été écrite en plusieurs morceaux. Elle a été écrite au moment des attentats du Bataclan. Mais elle était trop dramatique, donc elle a été changée. Moi j’ai ressenti ça comme une blessure. J’habite entre le Bataclan et le Petit Cambodge, etc… Lorsque c’est arrivé, j’étais à Limoges et une de mes filles était seule à la maison. Mon autre fille devait être au concert, mais n’y est pas allée au dernier moment, cependant, elle a perdu sa copine qui elle y assistait avec son copain qui lui a survécu. Et le mec de cette copine s’est suicidé voilà quelques mois. Il a survécu, mais il n’arrivait plus à vivre. Il avait expliqué comment il s’était retrouvé couvert de morts. Il a compris que c’était fini en écartant des corps morts sur lui.  Donc, cette chanson est partie de ça, puis petit à petit ça s’est mélangé avec d’autres informations sur la vie et c’est redevenu plus positif, d’une certaine mesure. Et ça finit comme une chanson qui part de cette horreur et qui finalement devient un peu une chanson d’amour pour ma ville. Car malgré tous ses défauts, j’y ai passé la majorité de ma vie.

« Oh mon Dieu » est une de mes préférées de l’album, j’aime bien le côté country cool et là on se balade entre Johnny Cash et Dylan… en passant par la case Doors.

Il y a un petit côté Neil Young , un côté balades country de Johnny Cash  et de ce country-rock américain. C’est ma musique de base, celle dans laquelle je compose à peu près tout.

Plus blues classique avec « Le paradis » qui me rappelle étrangement « J’aime regarder les filles ».

Hé oui, c’est une satire de « J’aime regarder les filles » !

Ah oui, d’accord.

C’est un de ces exercices auxquels je m’adonne de temps en temps, je prends la rythmique de « J’aime regarder les filles » et je fais une nouvelle chanson avec.

(rire) Bon, je me suis fait à moitié avoir !

C’est « J’aime regarder les filles », avec la même montée dramatique, avec le même thème de la futilité.

Coutin« Fredda », on dirait une balade d’Hendrix

J’ai beaucoup essayé de jouer « The Wind Cries Mary »…

… ou « Castle Made of Sand”, même délicatesse, même sensibilité…

C’est un blues quelque part ! C’est un peu l’histoire de ma vie, avec ce qu’on pourrait appeler les femmes de mauvaise vie. Les femmes que tu rencontres dans un bar, tu sais que tu vas parler deux heures avec elles…

… et que tu vas finir…

… peut être… ou pas. Et après tu les revois. J’ai eu plein de copines prostituées quand j’étais à Rock and Folk (situé à l’époque rue Chaptal dans le 18éme. Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/best-vs-rock-folk-ou-la-rue-dantin-vs-la-rue-chaptal.html ). On passait devant. Quand je sortais du métro, j’arpentais les mauvaises rues et, à force, ça devenait des copines. Mais quelques fois, c’était des copines de mauvaise humeur. Quelquefois, elles te payaient un verre. Parfois, tu avais même des discussions aberrantes, notamment sur l’éducation de leurs enfants. C’est une histoire qui me rappelle cette relation avec des femmes que tu croises, qui ne sont pas tout à fait du même monde que toi, qui n’ont pas lu les mêmes bouquins, mais qui appartiennent néanmoins au monde de la nuit, quelque part au monde de la détresse et en même temps un monde qui se bat pour ne pas mourir.Coutin

« Tous aux abris » c’est les Stones percutent le blues rock sudiste des Allman Brothers, épaulés par ZZ Top… et par Bashung.

Oui. Indiscutablement. « Tous aux abris » c’est un peu le genre de phrase à la Bashung genre « J’ai crevé l’oreiller » dans « Vertige de l’amour » en sens contresens.

« L’arrivée du tour »…

… oui, c’est à ça que je pensais. C’est un rock, très simple… mais aussi qui parle du monde dans une certaine mesure. C’est aussi une chanson qui parle de Paris, de cette folie qui se glisse petit à petit dans la vie des gens, de ces gamines qui à 14 ans se comportent comme des femmes, sans avoir encore vécu, de gens qui ont plein d’argent sans savoir quoi en faire, d’autres qui sont désespérés, c’est un peu un kaléidoscope du monde que je vois aujourd’hui.

« My Oh My » j’adore…c’est la version française de “Spirit And the Flesh” Neil Younguesque à souhait. Et, ce qui est super, c’est que c’est aussi cool en français qu’en anglais.

Alors ça, c’est un des gros challenges. D’arriver de faire une chanson en français. Tu parlais tout à l’heure de difficulté à faire sonner le français, ou d’arriver à faire une chanson en français qui raconte quand même quelque chose d’assez intense, voire triste

Tu évoques des rêves que l’on foule aux pieds et qu’on laisse s’évanouir sans les avoir accomplis !

Absolument, c’est le soixante-huitard qui a perdu la guerre, en quelque sorte, mais, en même temps, qui a décidé de vivre sereinement et d’essayer de lui amener ce que tu appelles cette nonchalance américaine, cette façon dont Neil Young ou Dylan peuvent traiter le sujet le plus grave, sans pour autant y mettre de violence, en balançant simplement les mots et en essayant que la musique soit agréable à écouter. En réalité, le texte est noir, mais l’objectif c’est de faire quelque chose qui s’écoute facilement. D’ailleurs, c’est toujours un des objectifs de ma musique, c’est d’essayer de faire des chansons qui s’écoutent facilement. J’aime à considérer la musique comme un bouquet de fleurs dans une pièce. Pour moi, c’est un meuble de luxe, la musique. Tu mets ton disque et subitement la pièce change, ce n’est plus la même. Et j’ai cette idée que la musique doit pouvoir te pénétrer tranquillement. Je suis en cela très héritier des C,S,N & Y, de tous ces gens qui ont parlé de choses terribles, comme Clapton capable de composer une sublime balade sur la mort de son fils, en même temps si tu l’écoutes sans te préoccuper des paroles, ça ne te plombe pas.

Coutin by Pierre Terrasson

Coutin by Pierre Terrasson

« Maryline est folle », je pense à Jonathan Richman & the Modern Lovers en train de faire « Roadrunner »… mais aussi les Ramones « I Wanna Be Sedated »

Alors… c’est difficile de te dire, car c’est une chanson que j’ai écrite en 1982.

Ah, mais qui est donc contemporaine de Richman et des Ramones !

Oui, c’est du rock un peu épuré.

À la base c’est du Bo Diddley.

Oui, c’est du Bo Diddley, mais joué simplement, avec un son un peu riquiqui. Je l’avais écrite quand j’avais rencontré une dame qui était internée à Maison-Blanche. Je travaillais encore au Gibus à l’époque, mais j’avais déjà sorti « J’aime regarder les filles » et un jour des infirmiers m’ont contacté pour me demander un autographe pour une dame. J’ai bien sur accepté. Ils m’ont dit qu’elle était à Maison-Blanche depuis 60 ans, mais qu’elle n’était pas folle. En fait elle était internée, car elle voulait se marier avec son jardinier et que c’était une famille riche et qu’il fallait absolument l’empêcher. Ils m’ont dit : elle vous adore, elle pense que Bashung est l’Ange Noir et que vous êtes l’Ange blanc. Elle vous regarde à la télé, etc… Je leur ai dit : écoutez, puisque c’est ça je vais aller la voir. J’ai donc rencontré cette dame et elle m’a raconté son histoire. Elle était très sereine, d’une incroyable sérénité. À un moment, elle me dit : au moins je ne l’ai jamais trompé, en parlant du mec qu’elle aimait. Elle trouvait son réconfort. Et donc j’avais écrit cette chanson et tout le monde me disait : ah ça ne va pas. En plus, une idée qui me faisait aussi penser à Camille Claudel, car c’est un peu la même histoire. Mais aussi, cette présence de Marylin Monroe dedans, parce que c’était un être fragile qui est mort de son amour de ce qui ne devait pas être aimé. Donc, j’avais renoncé à la sortir à l’époque, mais quand j’ai commencé cet album, je me suis dit : là je fais ce que je veux et donc je la fais. J’ai retrouvé la bande deux pistes sur un vieux Revox. La bande était totalement pourrie donc je l’ai récupérée bout par bout pour faire la base de ça. Et j’ai refait ensuite par-dessus.

Et la dernière, « Biberon pas prêt blues », que j’aime vraiment beaucoup aussi, on dirait un titre de Led Zeppelin, ça a la pêche, il y a des supers guitares, bon c’est Bo Diddley aussi, mais là on parle des influences. Le texte est fun, c’est vraiment une putain de bonne chanson.

Merci … il y a aussi un côté Clash. C’est une histoire très bête, un soir je suis avec une copine et elle me dit : tu vas bientôt être grand-père et tu vas te mettre à garder tes petits enfants. Et une de mes filles est là et se marre. Alors je lui dis : grand-père, sans aucun problème. L’amener boire des coups, lui apprendre la guitare, tout ce que tu veux. Mais le garder te lui filer le biberon, jamais. Elle me dit : « mais, pourquoi ? ». Parce que tu ne peux pas savoir comme le biberon a pu me stresser pendant des années. Trois fois et dans la nuit, tout ça… Et, en même temps que je dis ça, je me souviens d’une tentative d’écriture avec le parolier de Julien Clerc, Etienne Roda-Gil qui était venu me voir à Londres quand je faisais mon deuxième album, car il voulait écrire pour moi. On avait pris une biture ensemble, à son arrivée il avait commandé une bouteille de Cognac au bar du Westbury et une demi-heure après elle était dead. On a passé 4 ou 5 jours à travailler et on avait abordé ce thème-là de l’angoisse du biberon pas prêt, parce que j’avais aussi plein de copains qui étaient là-dedans. Et lui m’avait dit : toi tu es un chanteur de rock donc tu es un chanteur de blues et tu devrais faire un vrai blues sur ce thème et il avait ajouté : un truc comme « biberon pas prêt blues ». La phrase vient de lui. Tout le reste vient de moi. Roda-Gil avait une façon très publicitaire de penser, c’était un ancien situationniste, c’est un mec qui savait faire des phrases percutantes. »

Patrick CoutinEn plus de son concert du 5 décembre à la Maroquinerie, pour fêter en live la publication de son triptyque rock,  retour par la case « rock critic » pour Patrick Coutin car ce 1er Octobre il publie un « Jim Morrison et les Doors »  dans la collection les Indociles, sous la direction de Stan Cuesta, aux éditions Hoëbeke, dont nous aurons, j’en suis sur l’occasion de nous entretenir bientôt.

Voir également sur Gonzomusic

l’Épisode 1: De Sfax à San Francisco https://gonzomusic.fr/coutin-ou-la-saga-de-lhomme-qui-aimait-regarder-les-filles-episode-1.html

l’Épisode 2: De Rock & Folk à la vie de château… d’Hérouville 🤩 : https://gonzomusic.fr/coutin-ou-la-saga-de-lhomme-qui-aimait-regarder-les-filles-episode-2.html

l’Épisode 3: De « J’aime regarder les filles » à sa salamandre-totem : https://gonzomusic.fr/coutin-ou-la-saga-de-lhomme-qui-aimait-regarder-les-filles-episode-3.html

… sans oublier ma chronique jurassique du LP « J’aime regarder les filles dans le BEST 153 https://gonzomusic.fr/coutin-the-album.html

 

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