BRUNO GARCIA DES LUDWIG VON 88 À SERGENT GARCIA 1ére PARTIE
Avec son mélange explosif de salsa, de reggae et de punkitude assumée, Bruno Garcia, alias le Sergent Garcia, est depuis vingt ans durablement installé dans notre paysage rock. Cependant, nombre de ses aficionados ignorent que le l’ami Garcia a eu une autre vie avant de décrocher ses barrettes de Sergent. Remontons le temps jusqu’à l’aube des années 80, lorsque notre héros fait ses premières armes au sein du combo keupon alternatif, les fameux Ludwig Von 88 dont il fut l’indispensable cheville ouvrière. Désormais basé en Espagne, sur son bateau-studio El Guakamayo amarré dans un petit port au sud de Valencia, Bruno Garcia nous retrace son épopée rock des Ludwig Von 88 à Sergent Garcia : première partie !
Dans son petit port, le navire de Bruno Garcia subit ses dernières modifications pour se métamorphoser en studio d’enregistrement de compétition. Le chanteur-rocker-pistolero de la salsa ne boude pas son plaisir en achevant de câbler le pont inférieur de son navire. Le El Guakamayo studio devrait être très vite opérationnel. En attendant, Bruno Garcia achève ses concerts de l’été dans les festivals, regagnant le plus souvent possible son port d’attache. Franco-espagnol, ex-punk et adepte d’un cocktail musical tropical, cela ne vous rappelle rien ? Eh oui, à l’instar de son collègue Manu Chao, Bruno Garcia peut se targuer de mener une carrière bilingue en simultanée des deux côtés de la chaine de Pyrénées. Porté par ses albums à succés « Un poquito quema’o » et « La semilla escondida », le Sergent Garcia s’est très vite taillé sa propre légende rock. Cependant, parmi les fans de son cocktail tropical entêtant, bien peu savent ou même se souviennent que Bruno Garcia ( rien à voir avec son homonyme l’auteur des « Guignols de l’info ») a d’abord eu une carrière de star de la punkitude allumée au sein des fameux Ludwig Von 88. D’ailleurs, voici très exactement 30 ans, pour le Mini Journal de TF1 je tournais ces héros du label Bondage au stade Charléty grimés comme des gymnastes de haut niveau pour la publication de leur mini LP « Spécial Jeux Olympiques de Séoul 1988 » sobrement intitulé « Sprint ». Si j’écoutais bien entendu les albums du Sergent Garcia, je n’avais donc pas revu Bruno depuis toutes ces années. Svelte, bronzé et musclé, el senor Garcia m’accueille en pacha sur la passerelle de son navire. Première partie donc de cet entretien exclusif embrassant toute sa carrière des Ludwig à Sergent Garcia.
« Flashback, te souviens-tu comment tu as monté les Ludwig ?
Ha ha ha…je n’ai pas monté les Ludwig, ils étaient montés avant mon arrivée. Ce sont donc plutôt les Ludwig qui m’ont monté…rire….même démonté…moi, à l’époque, j’étais dans un groupe qui s’appelait Starting Blocks. En fait, on s’était fait chourer notre matos à cause de vieilles histoires chelous. On venait de Nogent, Le Perreux Champigny… par là…moi j’étais pote avec Olaf ???? l’ancien Berurier Noir qui venait de monter les Ludwig Von 88….ils étaient surement devenus trop commerciaux…. rire….c’est une blague private joke avec Olaf ;)…
« L’empereur Tomato Ketchup » passait effectivement sur NRJ …dit il en rajoutant de l’huile sur le feu
L’empereur c’était bien après…en fait, moi j’étais bassiste à l’époque, mais les Ludwig avaient besoin d’un guitariste, car leur second guitariste, qui était Laurent Porte, allait faire Fly Tox, un groupe de hard-core punk, qui était vachement bien d’ailleurs. Je ne jouais pas vraiment de guitare, mais j’en jouais tout de même un peu, alors j’ai décidé de tenter mon coup.
On est en quelle année ?
En 1983.
Et c’était déjà Von 88 ?
Ouais, c’était déjà les Ludwig Von 88 et à l’époque, ce n’était pas du tout la même chose. C’était un groupe très sombre. C’était le côté obscur des Bérus avec des chansons sur la guerre, des chansons sur la psychanalyse et la psychiatrie…
Super loin du rock déconnant, alternatif des Bérus que l’on connait.
Oui, super loin.
Vous faisiez du Cure/ Marquis de Sade ?
Non, plutôt du métaleux sombre. Tu vois « Un quai de gare », le premier 45 tours des Ludwig, c’est un peu un vestige de ça . ( Et il se met à chanter : « une tête de mort sous un casque me souriait de ses dents gâtées… »)…rire…à l’époque je trouvais que c’était du Rimbaud punk. C’était surréaliste et sombre.
Et pourquoi 88 ?
C’était juste une connerie, parce que c’était facile à faire, parce que c’était l’infini à l’envers, parce que c’était les 88 constellations, parce que c’est un chiffre un peu mystique.
Moi je faisais une émission sur une radio pirate parisienne légendaire du nom de Radio Ivre et qui avait justement comme fréquence 88.8. Il n’y avait pas de rapport ?
Non, il y avait ce bouquin intitulé « 1984 the punk explosion », un des premiers bouquins sur le mouvement punk en Angleterre et on s’est projeté à 88 en se disant que c’était une bonne date.
Rien à voir non plus avec la lessive Super Croix 76 devenue Super Croix 77 puis Super Croix 78…
C’était un petit peu 77/88 il y avait un peu de cela dans ce chiffre un peu mystique. Et Ludwig Von pour Beethoven, évidemment puisqu’il avait fini sourd comme pas mal de nos fans.
Donc après avoir rejoint cette bande de malades, comment êtes-vous passés à cet alternatif déconnant que nous avons connu…en 88, justement !
Cela a commencé lorsque Karim s’est mis à écrire des paroles. Cela a donné tout à coup un côté moins sombre, un peu plus surréaliste, mais d’un autre côté, un aspect plus dadaïste dans un autre style. Et puis, il y a eu un concert fondateur. Et là on s’est mis à vendre notre première cassette des Ludwig. On faisait les choses bien avec un montage d’extraits de films mélangés à la musique. Ce qui va rester après avec les Ludwig lorsque qu’on mettait vachement de petits extraits de films dans les intros, car certaines duraient trois-quatre minutes. On se prenait la tête, car on faisait tout sur K7 à l’époque. Avec deux cassettes on en faisait une troisième. Puis en décembre 84 nous avons fait ce concert à Barcelone qui a tout changé. Moi j’avais déjà mes contacts au Pays basque et à Barcelone.
Toi tu es originaire de quelle ville au Pays basque ?
Bilbao. Je suis né en France, mais mon père est d’origine espagnole. C’était un travailleur qui voulait sortir de la dictature franquiste et qui s’est marié avec une petite Française.
Donc un père républicain espagnol, mais pas pendant la guerre, mais après dans les années 60. Au Pays basque il y avait tout de même six polices à la fois, dont mes fameux garda civil aux tricornes de cuir. Moi à 17 ans lorsque j’allais voir la famille, avec mon look de punk lorsque je trainais avec les punks de Bilbao on se faisait mettre à l’amende toute la journée par les six polices différentes. C’était insupportable. Donc j’ai amené les Ludwig l’été aux fêtes de Bilbao. Je leur ai dit : les gars, on se barre en Espagne et on va pouvoir faire des concerts. On y est allé, on a joué là bas et on a pris des contacts à Barcelone et du coup on a pu y jouer à Noël. On a fait un concert au Celeste. Il y avait un mouvement punk anar super actif à l’époque et ce concert a été la folie totale, car dans la cave il y avait des bouteilles d’Absinthe et on a fait tournée générale gratos pour tout le public pendant tout le concert. Les gens étaient dans un délire, déchirés et hallucinés. Ce concert-là a fait que les Ludwig ont cessé d’être un groupe sérieux pour devenir un groupe déconnant.
À cause d’une biture à l’absinthe ?
Exactement.
À quoi tient l’histoire du rock parfois !
À ce moment-là, Karim a pris de plus en plus de place, car Olaf aussi s’est barré assez vite, dés le premier 45 tours. Car il trouvait que nous étions devenus trop commerciaux, comme d’habitude (rire). Karim a pris de plus en plus d’importance et c’est lui qui nous a donné cette identité entre humour noir, le coté keupon festif etc…puis chacun a apporté ses influences, moi c’était le reggae.
Tu aimais déjà le côté tropical du rock ?
Direct. Le premier 45 tours des Ludwig c’était « Bilbao » d’un côté, qui était un ska punk qui se barrait côté disco et sur l’autre « Un quai de gare » plus rock plus punk. C’était l’identité des Ludwig d’être un groupe de punks, mais d’avoir aussi ce côté reggae.
On peut faire le parallèle avec le Clash.
Bien sûr, c’était notre influence directe avec les Stiff Little Fingers, les Ruts …on écoutait des trucs super éclectiques, c’est pour cela sans doute que nous étions un groupe un peu space.
En quelle année avez-vous rejoint l’écurie Bondage ?
En 1985. On avait sorti notre premier 45 tours en auto-produit, enregistré dans notre local sur un mini K7.
Sur un mini-K7 ou sur un TEAC cassettes 4 pistes ?
Ah non, juste sur un mini-K7 Philips.
Celui avec le bouton-poussoir.
Exactement, le gris avec un bouton-poussoir. On avait une petite console de huit pistes et, c’était aussi tout l’intérêt d’avoir une boite à rythmes, on était tous branchés sur la console et on enregistrait sur cassette. Et on est arrivé au mastering avec cette cassette et c’est ainsi que nous avons fait notre premier single auto produit et pressé à 1000 exemplaires…
…qui valent désormais un million de dollars chacun 😉
Oui, je pense qu’ils valent un petit quelque chose, oui, mais peut-être pas un million de dollars. Nous étions graves potes avec les Bérus. On se voyait pas mal, car on sortait beaucoup dans les squats et dans les concerts.
Vous ne répétiez pas au Frigo ?
Au début, le bassiste habitait à Boissy-Saint-Léger et comme il avait de la place on répétait là-bas. Et ensuite effectivement à partir de 86 on s’est mis à répéter au Frigo.
Et donc Bondage ?
Bondage on leur file nos cassettes démo. Elles ne sonnaient pas mal, en fait. Même si c’était un peu brut de pomme, comme cela sortait directement de la console, le son était clean. Bondage trouve cela intéressant et du coup on fait notre deal avec Pascal Bondage et Marsu. On fait un disque qu’on produit nous-mêmes. Mais le premier album des Ludwig, il était déjà prêt, en fait. On l’avait enregistré en 48 heures, en mode clandestin au fameux Studio de la Grande Armée ( Palais des congrès) où notre pote Cyril N, pour ne pas le nommer, était assistant.
Et la nuit quand il n’y avait personne vous pouviez squatter …
On a enregistré les 13 morceaux qu’on a faits avec les Ludwig, le tout premier album « Hou La La » a été fait entre le vendredi soir et le lundi matin. Tu imagines qu’on n’a pas bu que du petit lait dans ces sessions. Donc quand on a signé avec Bondage, on avait déjà un album prêt.
C’était tout bénef pour le label qui n’avait pas à le produire.
Oui après on était en profit-sharing : une fois les frais d’enregistrement remboursés, on était à 50/50. En tout cas on en a vendu plus de dix mille exemplaires. À l’époque on ne surveillait pas trop le coté bizness et pas mal d’argent s’est on va dire évaporé en chemin. En fait, on percevait une sorte de salaire de Bondage qui se re-servait après, mais tout était assez nébuleux. Mais on en vivait quand même concerts, on produisait nos albums. On était complètement auto-produits. On produisait nos albums avec l’argent de la vente des disques, on fonctionnait comme ça.
À l’époque on croyait même que des choses pouvaient se passer au niveau de la distribution et du système.
Et entre vous c’était également totalement égalitaire !
Oui, c’est vrai.
Vous étiez 5.
Oui, on était 5 au départ et après on a été 4. Il y a eu différentes formules, oui. Donc on partageait comme tous les groupes le faisaient à l’époque.
Les groupes alternatifs.
Oui, effectivement les groupes alternatifs…pas tous les groupes.
Il n’y avait pas d’antagonisme entre les groupes de chez Boucherie et ceux de Bondage ?
Oui, il y a toujours eu cela, bien sûr. Il y a eu un mouvement rock alternatif et dans ce mouvement il y avait des branches différentes. Des branches plus rock, des branches plus punk, d’autres plus ou moins anar, plus ou moins fiesta. On était un peu tous potes, mais après on avait des affinités avec certains plus que d’autres. Ce qui était bien c’est qu’on pouvait compter sur tous ces groupes-là au moment où il fallait se mobiliser pour faire un concert contre le racisme, pour faire un blocage d’un squatt qui allait se faire éjecter. Là il se passait des choses. Après, la scène elle-même comment elle s’est constituée…on se voyait beaucoup sur la route aussi. Il n’y avait pas, en tout cas du côté des Ludwig, du tout de jalousie ou d’antagonisme. On avait l’impression d’être tous dans un même wagon…
…familial…
Oui, avec certains groupes et d’autres moins.
Musicalement avec le recul, parmi tous ces groupes alternatifs, lesquels as tu encore envie d’écouter aujourd’hui ?
Certains albums des Bérus sont toujours écoutables. Surtout les vieux albums. Les Shérifs, je les écoute encore et cela n’a pas vieilli d’une ride.
Je n’ai pas écouté depuis longtemps, mais j’imagine que les Satellites ne doivent pas trop mal avoir vieilli.
Oui, avec les cuivres et tout, c’était super. Les Négresses Vertes aussi j’imagine que cela reste toujours d’actualité. Dans les trucs plus punks, aujourd’hui, écouter un Taxi Girl, je trouve que cela a super bien vieilli. Moi j’écoutais aussi beaucoup de reggae à l’époque. Et c’est toujours aussi cool.
La fin des Ludwig ?
En fait, il n’y a pas vraiment eu de fin. Il y a eu un long stand-by puisqu’on ne s’est jamais séparé. À un moment donné en 99, Sergent Garcia est devenu vraiment gros et je n’avais plus le temps, on faisait tout de même 60 concerts par an avec les Ludwig. Ça s’est fait aussi petit à petit, car entre 83 et 99 moi j’ai fait plein de choses, je n’ai pas fait que les Ludwig.«
À suivre…..
Voir BRUNO GARCIA DES LUDWIG VON 88 À SERGENT GARCIA 2éme PARTIE https://gonzomusic.fr/bruno-garcia-des-ludwig-von-88-a-sergent-garcia-2eme-partie.html
Vous dites :
à l’instar de son collègue Manu Chao, Bruno Garcia peut se targuer de mener une carrière bilingue en simultanée des deux côtés de la chaine de Pyrénées.
Mais Manu Tchao était auparavant chanteur des Mano Negra , il a donc bien sévi des 2 côtés des Pyrénées, pour finir aux 4 coins du monde. Mais peut-être y a t’il une subtilité que je n’aurais pas saisi ?