BERTIGNAC LA SAGA DU LOUIS D’OR: Épisode 1

TéléphoneOn dit souvent des musicos qu’ils ont des « doigts d’or », en ce qui concerne Bertignac, il n’y pas que ses doigts qui soient aussi précieux, et s’il fallait juger de son importance majeure dans le rock hexagonal, alors on pourrait carrément parler de « Louis d’or » ! Dans les 360 pages de son autobiographie JOLIE PETITE HISTOIRE, l’ex-guitariste de Téléphone se raconte à la première personne et ce récit vous l’aurez compris est pourtant loin très loin d’être singulier. Rencontre avec Louis Bertignac…Part One !

BertignacAuparavant, nous étions littéralement voisins, lui au Près Saint Gervais et moi à la porte… du Près Saint Gervais ! Mais Louis Bertignac a quitté Paris pour Fontainebleau et sa campagne où il a monté son propre studio d’enregistrement. À l’aube des années 80, lorsque journaliste à BEST et sur RFI, j’avais régulièrement tendu mon micro et assisté à l’implosion de Téléphone, puis à tout l’espoir porté par la naissance du schisme Aubert and Ko(linka) d’une part et des Visiteurs ( Louis + Corine) d’autre part. Quarante ans plus tard et tant d’aventures rock, Louis Bertignac nous les fait enfin partager dans sa JOLIE PETITE HISTOIRE parue aux Éditions du Cherche-Midi. Épisode 1 : d’Higelin à Téléphone en passant par Constantin et Olive

 

« Le titre de ton livre m’a ému, parce que j’ai évidemment tout de suite fait le lien avec ta chanson « Cendrillon », comme beaucoup de gens. Mais il y a une histoire derrière JOLIE PETITE HISTOIRE. Dans le livre, tu nous racontes une anecdote avec Bob Ezrin, le producteur de « Un autre monde » et on comprend que tu auras mis 40 ans, entre le moment où tu as trouvé le titre de ton autobiographie et celui où gros flemmard, tu t’es enfin décidé à la rédiger !

En fait je dois te faire une confession :  je ne suis pas certain à 100% que Bob Ezrin m’ait vraiment dit en studio : « si un jour tu racontes ta vie tu devras intituler ton bouquin JOLIE PETITE HISTOIRE ! ». Mais j’ai trouvé ça marrant de le raconter ainsi car Bob est pas mal à l’origine du succès de ce morceau.

Téléphone

Téléphone clip de « Cendrillon » avec Lio

« Cendrillon » est incontestablement un titre vraiment emblématique de Téléphone. Allez, avec « Hygiaphone » parce que on était fan et qu’on vous découvrait et puis bien sur « Un autre monde », je crois que ce sont les 3 titres qui résument le mieux toute la carrière de ce groupe.

Oui et c’est d’ailleurs peut-être celui qui passe encore le plus sur les radios. Alors oui, « Cendrillon » est toujours festif pendant les fiestas. Alors, c’est vrai que c’est un titre important, surtout pour moi évidemment.

Il y a dans JOLIE PETITE HISTOIRE une galerie de portraits de gens que toi et moi avons connus mais dont la disparition me déchire bien plus le cœur que d’autres… on va commencer par le premier : c’est Olive (Caudron) de Lili Drop… que j’adorais. Qui était un mec d’une gentillesse sans bornes, d’une hallucinante sensibilité. C’est un guitariste dont je garde de supers souvenirs, je pense souvent à lui. C’est bien qu’il puisse continuer à vivre à travers les pages de ton livre.

Ce mec comptait beaucoup pour moi. C’était un vrai amour. Cependant, j’avais toujours peur pour lui, car il faisait tout le temps des conneries. Il te disait : … « je peux essayer cette guitare ? ». Je lui disais : « ok, mais fais gaffe ! ». Et là il laissait tomber la guitare ou il cassait le manche, c’était classique avec Olive. Il était tellement maladroit, mais ça a toujours été un amour, quoi ! C’était un mec avec lequel tu ne pouvais jamais t’engueuler car même quand il faisait une connerie, tu savais qu’il ne l’avait pas fait exprès. Tout partait d’une gentillesse et d’un altruisme total de sa part. il était vraiment très mignon ce mec. C’était un vrai gentil.

Olive

Olive

Et c’était aussi un véritable artiste !

Ah oui j’aimais bien sa manière d’écrire. Il a fait de très belles chansons.

Pour moi « Sur ma mob » est une des chansons qui incarne le mieux l’esprit de liberté qui régnait au début des années 80. C’est un tube underground énorme.

C’est con qu’elle ait été un peu oubliée.

L’autre personnage qui me tient à cœur que tu évoques également, c’est Tintin… Philippe Constantin.

C’était un mec adorable, vraiment gentil et pareil, c’est le seul qui nous a convaincu de bosser avec lui par ce côté « les mecs, je vais tout faire pour vous parce que je vous aime ».

Et dès la toute première fois en fait, puisque tu rencontres Philippe Constantin super tôt dans ta carrière.

C’est exact, je l’ai rencontré à l’époque d’Higelin lorsque j’avais 22 ans. Et c’est vrai qu’à ce moment-là en 1976, j’étais encore très jeune, il m’avait déjà dit : « quand tu fais un truc viens me voir ! ». On enregistrait « Irradié » à Hérouville. Mais le plus dingue, c’est qu’au moment où on a fait Téléphone, j’avais carrément oublié sa proposition. Et Constantin a débarqué, par l’intermédiaire de notre manager François ( Ravard), j’étais ravi de le retrouver. Tu sais dans cette période, entre le maelström de la vie et la défonce, je ne pensais plus à lui. Mais je l’avais déjà trouvé bien sympathique à l’époque d’Higelin.

Kent, Philippe Constantin & Phil Pressing

Philippe Constantin avec Starshooter

Mais pas que, n’est-ce pas ? Philippe était le mec qui possédait le plus grand flair musical de toute la scène française d’alors. Qui a signé Starshooter, Higelin, Téléphone, Daho, Rachid Taha, Bashung, Eicher, l’Affaire Louis Trio … et tant d’autres, puis toute la scène world Khaled, Mory Kanté, Salif Keita… et de surcroit journaliste à BEST sous son pseudo de Peter Clafoutis pour écrire sur Pink Floyd dont il était un des meilleurs amis…

 

Oui c’est exact, d’ailleurs Tintin m’avait présenté leur guitariste Gilmour. Un bon mec, un grand mec. Très grand mec. Très grande perte pour la musique. Il est mort du paludisme, d’un truc comme ça qu’il avait chopé en Afrique. La différence entre lui et les autres types des maisons de disques c’est que lui était un vrai fan. Les autres faisaient ça pour le boulot, lui le faisait par amour de la musique.

Les autres personnages marquants que tu évoques dans le livre ce sont les Stones rencontrés aux Studios Pathé-Marconi de Boulogne où Téléphone et eux enregistraient en même temps. Tout le chapitre sur eux dans le bouquin au début c’est vachement bien. Tu te retrouves face à des mecs humains, créatifs et cetera, mais il y a la chute finale de la terrible déception du Circuit 24 de ton enfance que tu lui avais prêté et qu’il t’a destroyé !

Oui mais ça ce n’est pas les Stones, c’est Ronnie Wood ! Et Charlie était un type exceptionnel, que je n’ai jamais oublié. Je suis sûr que les Stones n’étaient au courant de rien. Certes, c’est décevant, mais avec le recul, je peux le comprendre.

Non, moi franchement, j’ai du mal à comprendre et en plus ça arrive en écho avec une autre histoire qui est celle de mon pote réalisateur à la télé Freddy Hausser. Qui était pareil, super proche de Keith, super proche des Stones, et cetera, et qu’ils ont traité comme de la merde sur son film, « Les Stones aux abattoirs ». Refusant toute sa vie de le laisser ressortir le truc ; lui disant toute sa vie : ouais, file-nous les cassettes, on veut bien les garder, mais en revanche tu n’as aucun droit dessus quoi ? Voilà c’est je trouvais que c’était quand même une drôle de similitude entre ton histoire et son histoire.

Les Stones à Pathé-Marconi

Les Stones à Pathé-Marconi

Au niveau de Freddy, je peux comprendre et c’est dégueulasse. À mon niveau, je peux presque comprendre que Ron Wood n’ait pas envie un jour où il fait la fête, de se faire chier avec un genre de fan comme moi. Même si j’avais mon petit groupe. Mais c’est vrai que je lui avais confié ce souvenir d’enfance et qu’il me l’a rendu en ruinant la boite d’origine parce qu’il avait juste eu la flemme de ranger mon Circuit 24.

Mais tu n’étais pas juste un fan. Justement, vous étiez dans les mêmes studios, vous jouiez de la musique ensemble. Le fan, il est juste devant l’hôtel, il attend pour faire signer son bordel. Toi, c’était quand même d’autres rapports comme le prouve justement l’anecdote où tu as aidé un Wood à la ramasse à trouver le juste accord sur « When the Whip Comes Down » ! Tu ne demandes pas un fan de t’aider à faire une chanson. Ou alors ce n’est plus un fan !  Mais je comprends que les Stones aient pu énormément compter pour toi, parce que moi quand j’étais encore lycéen ou étudiant et que je j’allais voir Téléphone, sur scène, honnêtement c’est ce qui se rapprochait le plus de l’esprit d’un concert des Stones. Et je n’avais jamais vu ça en France et je n’avais jamais entendu ça en français ! Je ne te pose même pas la question de savoir si les Rolling Stones ont eu une influence sur Téléphone…

Forcément, bien sûr ! Même si je n’aimais pas que ça. Mon plus grand groupe favori était quand même les Beatles, avec ces albums qui m’ont rendu vraiment cinglé, comme « Let It Be », « Abbey Road » ou encore le « double blanc ». Pour moi, les Beatles étaient au-dessus de tout le monde. Mais j’ai rencontré les Stones et c’était déjà vachement bien. Je n’ai malheureusement jamais rencontré les Beatles, mais je me suis retrouvé en studio avec les Stones, c’était déjà énorme. Mais de toute façon, il est vrai que quand on a commencé Téléphone, c’était déjà clair qu’à nous quatre on ferait plus facilement du Rolling Stones que du Beatles, parce que quand tu vas monter sur scène et que tu conçois un répertoire avec deux guitares basse batteries à la Stone c’était justement une option évidente pour moi.

Et puis y avait le côté live qui était essentiel dans Téléphone, or les Beatles ne jouaient plus sur scène depuis très longtemps… et ne revendiquaient pas cet aspect de leur art, alors que les Stones ont toujours tout axés sur la scène et que pour ton groupe précédent c’était essentiel. La scène, c’était une vraie communion avec votre public.Louis Bertignac

Et c’est bien pour ça que la musique des Stones s’imposait beaucoup plus à nous que celle des Beatles, qui était plus du chant de toute façon. Nous n’étions pas de grands chanteurs, on misait beaucoup sur la guitare électrique  et le groove, donc à la base c’était beaucoup plus Stonien que Beatlesien !

Avec le recul,  en ayant lu le livre et en connaissant  aussi un peu ta vie, c’est un miracle que ça sonnait aussi bien, alors que vous étiez tous complètement défoncés, quoi ?

Non, on n’était pas tous complètement défoncés. Moi j’étais défoncé. Corine aussi, mais Richard jamais, il ne touchait jamais à rien. Il a fumé mais c’est tout..  En revanche, Olive lui était défoncé …beaucoup. Quant à Jean-Louis, il y a un peu gouté lorsqu’il était en couple avec Corine. Au début, c’était vraiment moi, un peu Corine, mais c’est surtout moi qui étais défoncé. Mais je le faisais à doses homéopathique. C’est à dire que j’en prenais tous les jours pratiquement quand j’étais à Paris. Mais quand les autres se faisaient une grosse ligne, moi je me faisais une micro-ligne, juste pour me sentir bien quand je n’étais pas accro. Je faisais une micro-ligne, parce que j’avais la trouille, parce que je n’avais pas envie de me de finir comme Hendrix ou comme Janis…

… ou Jim Morrisson ! Ça explique aussi le contrôle musical, c’est pour ça que ça tenait autant la route et que ça jouait bien.  Il n’y en avait donc pas un qui était largué par rapport aux autres.

Non, du tout, je ne voulais vraiment pas jouer les Brian Jones !

Et le coté stakhanoviste de Téléphone, ces concerts qui pouvaient durer des heures ? Alors, est-ce que c’était hérité de ton expérience avec Higelin avant Téléphone ou c’était commun à vous 4 ?

Je pense que c’était commun, car on n’avait pas envie que ça s’arrête. Parce qu’on aimait trop ça. Bon, au début, ça ne durait pas des plombes, parce qu’on n’avait pas assez de morceaux. Mais rapidement, quand on a composé pas mal, après le 2e album, on avait beaucoup de titres, donc on y allait. Quand tu prends un tel plaisir à te retrouver sur scène, c’est ton rêve qui est en train de se réaliser, donc tu joues jusqu’à l’épuisement. On donnait tout ce qu’on avait.

Un petit mot sur les producteurs en général et ceux de Téléphone et ceux que tu as utilisé par la suite : mais pourquoi sont-ils tous anglo-saxons ? Il n’y a jamais eu un seul producteur français qui trouve grâce à tes yeux ?

Louis avec Jimmy Page

Louis avec Jimmy Page

Si tu veux, à l’époque il y avait effectivement des ingénieurs français, mais il n’existait pas vraiment de réalisateurs français, on n’en connaissait pas pour le rock. Déjà les ingénieurs français ne sonnaient pas rock, donc on n’allait pas se faire produire par des mecs qui n’avaient jamais produit un disque de rock alors qu’il suffisait d’aller  piocher chez les Anglo-saxons pour rencontrer des mecs qui avait au moins 25 albums et des tas de disques d’or à leur palmarès.

Et vous n’avez pris que des stars, que ce soit Martin Rushent ou Bob Ezrin ou encore Glyn Jones ?

Oui cela n’a été que des stars. Au moins, on avait confiance, et encore…

…et tu as continué avec les Visiteurs…

Et ça a continué avec les Visiteurs, même si j’aurais pu à ce moment-là parce que ça a commencé à exister en France, prendre un Français, mais j’avais pris l’habitude. Le seul souci c’est qu’en général les mecs ne comprenaient pas un mot de français. Donc ils ne pouvaient pas t’aider au niveau du texte ni de ton chant.

Mais il y a un mec qui aurait pu le faire et qui était français c’est… Bertignac Louis ? D’ailleurs, il l’a fait par la suite pour d’autres artistes ?

J’aurais pu, oui mais je n’avais pas cette confiance que j’ai acquis plus tard. De surcroit, la confiance ça part aussi vite que ça arrive. J’ai le doute qui m’habite tout le temps, moi. Alors ce boulot de producteur, quand on me demande de l’assurer, je le fais aussi bien que je peux. Et il se trouve que ça se passe bien. Mais pour réaliser des albums de rock, c’est beaucoup plus difficile pour un mec comme moi, qui n’est pas spécialement ingénieur du son et qui n’a pas envie de prendre un ingé-son, parce que ça fait trop de trucs à gérer au niveau de la mise en place. Donc pour moi, je le fais désormais, parce que j’ai un studio perso. Et je sais que j’enregistre à l’heure que je veux, mais quand il s’agit d’enregistrer une batterie ou un groupe de rock en live, il faut du métier que je n’ai jamais vraiment appris… »  À suivre….

Voir sur Gonzomusic Épisode 2 : de l’après Téléphone en passant par les Visiteurs, les Insus, Carla Bruni, son nouvel album… sans oublier le « cauchemar » de l’accent anglais de Jean Louis…BERTIGNAC LA SAGA DU LOUIS D’OR: Épisode 2

JOLIE PETITE HISTOIRE par Louis Bertignac aux Éditions du Cherche-MidiBertignac

 

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3 réponses

  1. BONTON dit :

    C’est vraiment bien de raconter TOUT ÇA ce parcours pour en arriver là. Moi galérienne j’en suis à comprendre pourquoi ? Pourquoi tant de galères pour partager des chansons tant de haine et d’envie, de solitude aussi.
    La gloire c’est être plusieurs, tous aimés et tous compris. Le travail en commun. On invente la musique les paroles mais pas ce que l’on est, ce que l’on vit. Parce ce que nous sommes restera. Et un jour le monde découvre apprécie félicite, c’est rassurant et seulement là, tu crois enfin exister.
    C’est si dur d’exister,..
    Bel oeuvre.

  2. Bobby dit :

    Très intéressant à lire Je vais m’acheter son livre . Hâte d’avoir la suite de l’interview 🙂
    Ps : y’a juste une petite erreur au début c’est pas bob ezrin le producteur de un autre monde c’est Glyn jones . Bob c’est l’album d’avant 🙂

  3. Ge83 dit :

    J’ai lu ce livre quasiment d’une traite, superbement bien écrit avec simplicité, humour, tendresse, avec des joies et des peines et une galerie de si nombreux portraits, dont certains que j’avoue avoir un peu oubliés.
    Un bel ouvrage à l’image de notre grand Louis… Bertignac, bien sûr !
    A lire absolument !

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