ADIEU MARC SEBERG
Un dernier adieu en musique pour Philippe Pascal : dans une salle de concert de Rennes, l’ex-capitale du rock français à l’aube des années 80 plus de 500 invités ont rendu ce jour un hommage au chanteur emblématique de Marquis de Sade et de Marc Seberg. Voici 3 ans, j’avais rédigé un petit condensé de mes articles de BEST de l’époque accompagnant les rééditions vinyles de Marc Seberg, en ce jour particulier, le voici à nouveau sur Gonzomusic.
À l’heure où j’écris ces lignes s’ouvre la cérémonie pour Philippe Pascal, dans une salle qui lui ressemble, une salle de concert : le Ponant à Pacé, dans la banlieue est de Rennes. Et mon cœur forcément bat juste un peu plus fort. Car son départ emporte aussi un peu de moi, un peu de nous tous, qui avions vibré au timbre si particulier de cette voix devenue familière. Au fil des rencontres, au grè des concerts, jamais mon estime envers Philippe ne s’était érodée. Marquis de Sade bien sur, mais aussi son quasi-alter ego, Marc Seberg, j’avais suivi sa naissance puis ce parcours rock sans concession qui ne cessait de nous captiver. Mais, un beau jour, Philippe avait décidé de cesser d’apparaitre dans la lumière, se vouant des décennies durant à sa famille. On s’était croisé l’été 2013 en de tristes circonstances, au Père-Lachaise pour accompagner one last time l’immense Frederic Renaud, guitariste de Marquis de Sade et des Nus. Malgré les circonstances, Philippe semblait appaisé, comme s’il avait enfin fait la paix avec cet autre lui-même en lui. Et puis avec l’incroyable reformation de Marquis de Sade, les concerts, le live emporté par l’enthousiasme, on a tous fini par y croire : MDS allait enfin donner toute la mesure de son art dans ce 21éme siècle village-globalisé. Comme si l’on pouvait effacer quatre décennies en appuyant sur une imaginaire touche « erase ». Peut-être nous sommes-nous montrés trop exigeants envers Philippe ? Nul ne le saura jamais désormais. En guise d’au revoir, d’affectueuses et fraternelles pensées à Claire, son épouse, à sa famille, à ses amis, comme à tous les anonymes touchés par sa grâce du rock, je dédie ce petit texte que Pascale Le Berre m’avait demandé de rédiger à partir de mes articles historiques de BEST pour la sortie des rééditions des LP de Marc Seberg.
Deux années se sont écoulées depuis la publication de « Rue de Siam », le chant du cygne de Marquis de Sade, le chanteur Philippe Pascal se lance alors dans l’aventure Mar Seberg entouré de Pierre Corneau à la basse, Pierre Thomas à la batterie et Anzia à la guitare. Et pour produire leur premier album, le magicien sonique post néo hippie Steve Hillage est enrôlé, d’un commun accord entre le groupe et Virgin France. Dans la chronique publiée dans le numéro 178 du mensuel BEST en mai 1983, j’analysais cet LP intitulé « Marc 83 Seberg » :
«Tu sais, Marc, nul endroit où se fuir dans la nuit » (Philippe Pascal) En 81, le chanteur de Marquis de Sade avait déjà son alter ego: Marc, une projection en négatif de lui, même. MDS touchait à sa fin (…) Lorsque le Marquis brise son miroir, l’image qu’il renvoie à Philippe Pascal s’appelle désormais Marc Seberg, une étrange entité, un mélange irréel. MDS/MS, PP reste fidèle aux mêmes initiales, à ces climats en clair-obscur où la lueur au bout du tunnel de la déprime reste une solution finale. Deux années de silence n’ont pas entamé le blues pascalien. Incorrigible PP ! La dernière fois que Je l’ai aperçu, il m’a dit: «Tout a changé dans ma vie, rien n’est aussi noir qu’avant ! » Et il nous balance ce « Marc 83 Seberg » aux effluves de pétrole brut. (…) c’est vrai, Marc Seberg ne pousse pas « à l’optimisme », mais parfois son flip sait être si subtil et harmonieux. Marc Seberg cultive la beauté: elle peut me subjuguer en glaçant mes veines. Mais l’été approche et qui va chasser les ténèbres ? »
Au lendemain de la sortie de ce premier LP, le claviériste Jean-Pierre Baudry, qui ne joue que quelques parties, sera remplacé par Pascale Le Berre. Au tournant des 80’s, elle appartenait au groupe Complot Bronswick qui répétait dans une maison de quartier de Rennes. Cette formation arty avait déjà sorti un maxi en autoprod, justement co-produit par Pierre Corneau. Or, Marc Seberg cherchait également un lieu de répète. Complot va alors proposer à Marc Seberg de partager leur local. Et c’est en assistant aux répètes de son groupe que Philippe va enrôler Pascale. Pour le concert du Bataclan, juste après la sortie de l’album, Philippe Pascal offre à Pascale de les rejoindre sur les planches. La musicienne se souvient aujourd’hui avec émotion de ce moment privilégié :
« On était tous morts de trouille. C’était le grand retour de Philippe à la scène après Marquis de Sade et c’était un moment avec le public d’une intensité magnifique. Après ce concert, il m’a demandé de rester. Moi j’étais ravie : je trouvais leur premier album sublime et Marquis de Sade était un groupe si emblématique à mes yeux que je ne pouvais pas résister. »
Rapidement, la nouvelle formation va attaquer les maquettes du second LP. « Le chant des terres » sera publié en 85. L’arrivée des claviers de Pascale coïncide avec un désir d’ouverture de la part de Philippe, une évolution déjà entamée par le passage de la langue anglaise au Français. Nick Patrick succède à Hillage aux manettes de la prod. L’album reflète les influences des uns et des autres, de l’incontournable Joy Division à Killing Joke en passant par Cure, Simple Minds et the Psychadelic Furs…
« C’était un luxe d’aller chercher des réalisateurs anglais », souligne Pascale Le Berre, « mais c’était notre volonté de se rapprocher le plus possible des productions anglaises qu’on adorait. On a toujours progressé avec ces producteurs. Cela valait bien le coup parfois d’attendre six mois qu’ils soient disponibles pour nous. Ils ont contribué à élargir le son du groupe. »
Pour le troisième album de 87 « Lumières et trahison », Marc Seberg choisit John Leckie qui signe justement la réalisation des trois premiers albums de Simple Minds. Dans le BEST N°: 228 de juillet 1987, je le décrivais en ces termes :
« (…) Depuis 1983, Marc Seberg est un groupe qui trouve sa cohésion dans un rock sans concession où la mélancolie se pare des couleurs de l’hiver. Froid et fascinant à la fois. Au fil des évolutions pudiques et successives, Marc Seberg, en trouvant sa voix française, s’est peut-être débarrassé d’un vieux complexe. L’émotion en Français peut passer aussi bien qu’en anglais. Trahison? »
La vieille garde des «jeunes gens modernes» et autres nébuleux puristes va taxer « Lumières et Trahisons» d’objet commercial aguicheur, car pour la première fois, le groupe rennais ose mettre le nez hors de son underground velouté. Trahison? Un son travaillé, technique et précis dans un studio compétitif et belge, un producteur anglais réputé, « Lumières et Trahisons » dans sa pochette soignée comme un LP des Cocteau Twins est un bel objet. Trahison? Des titres rageurs et mélancoliques aux accents New Order ou Simple Minds, Marc Seberg fait une musique de best seller. Trahison?
« C’est vrai, « Jeux de Lumières » me fait songer à « Dancing With Myself» et « La Nef des Fous » évoque plus « Week End à Rome » que Bauhaus. Lumineuses trahisons! Cet album doit enfin imposer la marque Seberg. », écrivais-je en conclusion à l’époque.
Malgré les critiques positives, les ventes suivent peu. Le groupe choisit de rester basé à Rennes, ce qui ne facilite guère les rapports avec le label parisien. Et surtout, à l’heure de l’émergence du vidéo-clip, Virgin leur refuse toujours obstinément ce budget qu’ils accordent aux autres. Il faudra attendre l’album de 90 « Le bout des nerfs » et le titre « Quelque chose de noir » pour voir enfin la première vidéo de Marc Seberg. L’album est un retour vers le côté sombre qui anime le rock pascalien, l’accueil de la critique sera assez frais.
« On avait la sensation qu’on avait fait le tour de la question » souligne Pascale, « qu’on était arrivé au bout de tous les tiraillements au sein du groupe. Philippe et moi voulions revenir à un son plus organique, plus dépouillé. »
À la séparation de Marc Seberg, Virgin publie un live posthume enregistré à la salle Ubu. Philippe et Pascale vont alors monter le duo Philippe Pascale qui publie un album en 94. Pascale Le Berre va ensuite produire Alan Stivell, puis d’autres artistes. Elle compose aujourd’hui des bandes originales pour longs et courts-métrages. Philippe Pascal a cessé ses activités musicales et ne souhaite plus désormais témoigner de ces années agitées.
Gérard BAR-DAVID