ACID HOUSE IN LONDON
Voici 30 ans dans BEST, GBD s’immergeait dans la vague naissante de l’Acid-House incarnée par ce Smiley qui allait secouer London town avant d’exporter cette musique électronique qui devait emporter à jamais toute la planète. Prémices de l’ère du sample qui allait propulser tant de beats jusqu’au 21 éme siécle. Pionniers de cette lame de fond, rencontre avec S-Express, Coldcut, Beatmasters ou encore Bomb the Bass. Et en un mot, comme un seul : aaaaaaaccccccciiiiiiiiiiiiieeeeeeeeeeeedddddddddddd !
Nous sommes au crépuscule des années Thatcher. Contestée de toute part, la Dame de fer doit aussi socialement lâcher du lest. Dix années après les précédents Italiens et Français, eux-mêmes inspirés de Radio Caroline et Radio North Sea, cette année 1988, le ciel de Londres se retrouve soudain constellé de dizaines de nouvelles fréquences radio pirate qui challengent le monopole officiel des ondes. Elles incarnent le nouveau son de la liberté et, dans leur grande majorité, pulsent cette musique électronique qui revendique un esprit de fête que l’on croyait disparu depuis le swinging London des hippies. Incarnée par ce Smiley et inspirée de cette house-music née dans les docks du lac Michigan à Chicago, cette version anglaise de l’électro à la fois portée par ces radios pirates et par les clubs que l’on disait alors enfumés, allait s’imposer de manière massive. Mais à cet automne 88, si j’en percevais les prémices, en traçant un parallèle entre les hippies et leur LSD avec ces nouveaux acidés des rythmes frénétiques doppés à l’ancêtre de l’ectasy le fameux MDMA. Car pour danser jusqu’au bout de la nuit et au-delà, il fallait bien ce « booster » chimique ! Et ce mouvement, sans doute le plus radical depuis les punks de 77, va aussi imposer son tempo en ouvrant l’ère des DJ stars et des interprètes si aisément substituables. Rencontres avec Jazzy M l’inventeur du House Sound of London et fameux DJ pirate/clubs, avec Martin Heath, le boss du label Rythme King, Mark Moore de S-Express, Tim Simenon, alias Bomb the Bass et bien entendu le duo de choc de Coldcut, Matt Black et de Jonathan Moore
Publié dans le numéro 244 de BEST sous le titre :
FUN HOUSE
« Traversant l’Atlantique, la House-Music prend un gout acide et rend aux Anglais celui de la fête. Trip londonien pour Gérard BAR-DAVID »
Christian LEBRUN
CHICAGO-LONDRES HOUSE EXPRESS
Janvier 86, dans un night-club glauque downtown Chicago, à l’ombre du plus grand building du monde, la tour Sears, une poignée de DJ’s black et allumés inventent sans le savoir le son du futur. Discipline de bricolo invétéré des ciseaux et du re-re, cuisinée soul food comme à la maison, la House music fait ses tout premiers adeptes. Rencontre du troisième type entre l’Autobahn de Kraftwerk et la tradition soul de Marvin Gaye ou d’lsaac Hayes, la House repousse les limites de la nuit sur son beat hypnotique. Sueur et sexe, Chicago peut enfin oublier son blues. Depuis le cross-over de Prince à Minneapolis, la House est la première secousse re-vo-lu-lionnaire. Memphis-iazz. Chicago-blues, Detroit-Motown, Philadelphia-philly, Washlngton-gogo, New York-rap et retour à la case départ, le DJ chicagolais Farley Jackmaster Funk devient la première idole House avec son “ Love Can’t Turn Around”. Mouvement frénétique, la House déborde très vite les clubs pour investir des hangars ou les danseurs par milliers sont des jouets de beat et de sueur entre les mains d’implacables DJ‘s. Sex, drugs and House, l’ivresse robotique glisse vers le psychédélisme torcene et la House en version stupéfiante devient Acid. « Baby Wants To Ride »- ma nana veut s’envoyer en l’air- chante Jamie Principle sur des séquences en rafales meurtrières comme une Uzi et la House Acide traverse l’Atlantique pour tétaniser les British. Explosion d’Acid House sur les parties de Londres, les DJ‘s anglais sautent le pas des platines au vinyle pour créer à leur tour une cuisine House sur-épicée aux rythmes killer. Radios pirates et soirées acides jouent la transitivité pour adapter le néo-funk house a la tradition pop. Human League/OMD rencontre Funkadelic comme les Beatles ou les Stones avaient su si bien cuisiner le Rhythm and Blues. Rythme irrésistible et touche British, la nouvelle invasion a déjà pris pied dans l’hexagone sur la lancée du succès des hits du label Rhythm King comme les Beatmasters ou S-Express.
FM PIRATE
« Hard Music for Hard people on London Week End Radio», sur la FM le DJ bande pour la House. Rythme synthé-frénétique ponctué de scratch, de bruitages et de jingles, le speed de la House pulse la nuit londonienne sur des dizaines de stations pirates.
« Ce mouvement est une gigantesque entreprise de transformation des kids en zombies, il faudra bien que cela cesse ! », déclare Peter Powell, un vétéran de la très officielle Radio One.
Depuis l’explosion punk en 77, I’Angleterre n’a rien connu de tel. Contre-culture choc, la House et ses multiples dérivés acides attaquent le tissu social sur tous les fronts. Des ondes FM pirates aux clubs saturés, du vinyle aux stylistes de fringues, de Wembley à Richmond, le groove se répand inéluctablement, drainant déjà ses mythes et ses héros. La presse de Fleet street fustige déjà «les bacchanales et les nombreuses perversions » de ces nouveaux freaks. Quel gag ! Ils font sauter les bigoudis des cheveux des ménagères et sont réputés dopés jusqu’aux doigts de pieds, pour encaisser des nuits entières; ils sont tétanisés au beat acide qui renverse toute la morale. Après le coup de barre à droite et l’anesthésie sexuelle de la parano du sida, l’Angleterre se décoince enfin. La House est oxygène, provoc’ comme un jet de salive de Rotten, allumeuse et défoncée, énergique et libérée. Bande originale pour vague sociale majeure, elle dépasse largement le cadre mathématique des hit-parades pour se projeter en way of life.
L’habitacle de la Mercedes baigne dans le metal mix d’un son trash acide pulsé par un blaster posé sur le siège passager. Les phares peignent une nuit blafarde de briques et de béton, mais Jazzy M n’y prête aucune attention, il connaît par cœur la route qui mène de Denmark Road à la cité ouvrière qui abrite sans le savoir et en toute illégalité LWR (London Week End) radio. Une station pirate qui, grâce au système de réémission par micro-ondes, n’a jamais été investie par les agents du DTI. Jazzy gare sa Mercedes au fond d’une cour et extrait un volumineux sac de vinyles du coffre arrière. Responsable de la somptueuse compile « The House Sound of London », Jazzy M est un des fondateurs de LWR, un DJ polyvalent radio/club/producteur parmi les plus volubiles de la House culture.
« J’ai fait mon premier show sur une micro-radio de Fulham, dont la portée ne dépassait pas cinq kilomètres », explique Jazzy en gravissant les marches d’un escalier extérieur. « LWR, c’est une tout autre histoire. J’y bosse depuis quatre ans et nous avons tenu jusque-là sans nous faire coincer par Thatcher parce que nous étions vigilants. »
Le studio de LWR est un secret bien gardé. L’adresse n’est jamais communiquée et les rares invités sont guidés par les DJ’s. En cas de pépin technique ou maréchaussée, un studio jumeau est prêt à fonctionner à l’autre bout de la ville, relié lui aussi à l’émetteur par un faisceau micro-ondes. La House est vivante car elle est rebelle. Et désintéressée. LWR ne rap- porte pas un penny à Jazzy, mais le pavillon noir des pirates est un parfait labo expérimental doublé d’une bonne carte de visite. Jazzy fait des shows dans les clubs House et se prend des cachets horaires de 100 £ivres. « The House Sound of London » est son premier projet sur disques :
« Les kids ont commencé par m’envoyer leurs cassettes bricolées à la maison et je les passais dans mon show sur LWR. Les directeurs artistiques des labels se sont branchés sur le phénomène et j’ai chapeauté la compile pour London Records.»
Dans le mot « Acid House » il y a des relents de LSD, la House prône-t-elle l’usage de la drogue ?
« Absolument pas », réplique Jazzy, « le mot « acid » recouvre juste une description de la musique elle-même. Elle est originaire de Chicago, issue de l’expression « acid burning » -piquer/copier et donc avec la House sampler, échantillonner- un des premiers groupes de là-bas, Phuture avait bricolé ce titre «Acid Trax» pour définir sa musique. » Jazzy M s’apprête à monter son propre label autour de la boutique de disques qu’il va ouvrir, House sweet House…
RYTHM KING
La House a aussi ses stars et ses golden boys. Manager du label à succès Rhythm King, à 27 ans Martin Heath s’est constitué l’écurie la plus performante avec les Beatmasters, Bomb The Bass et les prolifiques S-Express. Diplômé du légendaire King’s College de Cambridge. Martin a vite abandonné la politique et la sociologie pour succomber à sa passion de la black music. Dans sa 205 GTl bourrée de gadgets électroniques, dont deux téléphones cellulaires, il se raconte : « J’ai d’abord monté un label artisanal spécialisé dans les imports dance music US qui n’intéressaient personne d’autre. Moi je savais qu’il y avait un marché pour cette musique. Le label n’était pas viable, il fallait qu’il se développe ou qu’il disparaisse, je me suis donc mis en quête d’un financement. J’ai d’abord vu les majors, mais je me suis heurté à leur super-pouvoir d’inertie. Les géants du disque n’y croyaient pas, ils n’auraient pas misé 10£ sur les chances de développer une House anglaise et performante. Mais lorsque j’ai rencontré Daniel Miller de Mute (le label de Depeche Mode : NDR), il m’a simplement dit : « Ce bâtiment est bien trop grand pour moi ; prenez donc un bureau et cette liasse de billets pour payer les frais de studio. » Puis il a ajouté : « Je crois que nous pouvons bosser ensemble. » Et c’est tout. Nous n’avons pas signé de contrat, c’était bien plus fort : nous avons fait un marché. »
Au début Martin commet quelques erreurs de management, mais Rhythm King ne tarde guère à pulvériser toutes les prévisions. Aujourd’hui, la joint-venture Mute/Rythm King est le sixième label du pays, le plus gros des indépendants. Nous n’avons pas quitté Harrow Road, siège du label depuis cinq minutes, que Martin stoppe sa 205 dans une petite rue glauque au nom prédestiné : Beethoven Street
S-EXPRESS
Au premier étage d’un petit immeuble, Mark Moore, Michelle et la bande du S-Express mettent toute la gomme pour boucler ce soir même leur tout premier LP.
« Lui c’est la tête, moi c’est les jambes », lance la chanteuse en guise de présentations. Petit, d’apparence très low-tech, le Beethoven studio ne paye pas de mine. Et pourtant pour moins de 1 000 Livres Mark Moore y a réalisé le déjà mythique et irrésistiblement vendeur « Theme From S-Express ». À 23 ans et tous ces copyrights, Mark peut voir l’avenir avec optimisme. Tête chercheuse et néanmoins pensante, il est le pivot, le centreur 45 tours de la formation dont la composition reste aussi secrète que la formule du Coca Cola. Inspiré des Jacksons, Curtis Mayfield et la période « Psychedelic Shack » des Temptations, Mark compose son groupe en puisant dans le flot des aficionados de la House ou en se fiant au hasard des rencontres.
« Mark m’a branchée dans une pizzeria. Je n’avais pas une flèche pour payer ma pizza, alors je suis montée sur les tables pour chanter, danser et récupérer ainsi de quoi boucler l’addition. Mark a payé mon ardoise et en plus il m’a engagée. » Mark a-t-il dit à Michelle « Je vais faire de toi une star ? »
DJ depuis l’âge de 18 ans, Mark Moore était réputé pour oser mixer n’importe quoi «in the groove ». Dans les clubs du West End où il sévissait, il vous faisait passer sans crier gare de James Brown à Julie Andrews ou osait injecter du Maurice Chevalier sur le pont basse/ batterie d’un 12 inch funky. Lorsqu’il n’est ni en studio, ni face à ses platines dans un club, Mark zone dans la rue, son micro au poing, pour recueillir des sons aussi divers que des trains ou des enfants qui jouent pour enrichir sa bibliothèque de samples qui composent la musique de son S-Express. Les sons sont ensuite bidouillés, détournés et réinjectés dans la console 24 pistes. Mark Moore fait ses tubes avec les synthés les plus cheap et une bonne dose de culot. Son «Theme from… » reprend quasiment le « Machine Gun » des Commodores et une pêche de violons du « Shaft» d’lsaac Hayes. Quant au petit dernier « Superfly Guy » il paraît presque décalqué du funky « Superfly » de Curtis Mayfield. Mais peu importe, tout est dans le packaging. Mark Moore a trouvé le virus ultime du moment, le beat qui tue, pourquoi se priverait-il de quelques ravages ?
Dans la GTI, Martin contacte son bureau par téléphone pour prendre ses messages. Une dernière vanne et il raccroche.
« En Angleterre, chaque mouvement dans la musique a copié d’une manière ou d’une autre une nouvelle tendance made in USA : le rhythm and blues, puis le rock et la soul, chaque invasion US a toujours été suivie d’un choc anglais en retour. ll y a quelque chose dans l’imagination anglaise, peut-être un certain sens de l’excentricité qui trace une nouvelle perspective pour la musique. Comme les Beatles ou les Stones ont su améliorer le rock and roll, nous voulons parvenir à bouleverser le funk. La House est un vrai phénomène, une saine réaction contre les radios commerciales et la disparition des petits concerts faute de combattants. ll est normal que l’attention se déplace là où la musique est vivante et c’est le cas dans les clubs grâce aux DJ’s de la vague Acid qui CRÉENT à partir de sons souvent préexistants une musique totalement inédite. »
BOMB THE BASS
En quittant Martin, je saute dans un cab, direction Tottenham Lane pour retrouver Tim Simenon alias Bomb The Bass aux historiques studios Konk des Kinks. 20 ans, de père écossais et de mère malaise, Tim est un Eurasien timide. Accoudé à la console, enfoncé dans un rocking-chair de cuir, Tim remixe un vieux titre de Depeche Mode, « Everything Counts ». Bomb The Bass vient d’achever son premier LP d’un concept radio pirate où chaque chanson incarne une station différente. Le tout est évidemment ponctué de jingles, fréquences et autres planeries d’allumés des derniers pirates de Sa Majesté. Tous les copains ont défilé au studio pour improviser son lancement. Mais en plus de la dimension bricolo, Tim a un sens de la mélodie pop et accrocheuse plaquée sur une trame House.
DJ depuis l’âge de quinze ans, il est passé maître dans l’art de jongler avec les platines afin d’emprunter assez de phrases musicales pour tenir une conversation. Après tout, son patronyme Bomb The Bass ne signifie-t-il pas « taxer la basse », c’est-à-dire « emprunter » une ligne de basse à un disque par le procédé du sampling ?
Sur son album, Tim ne chante pas une seule note, mais il assure tous les synthés. Chaque titre est considéré comme un projet séparé avec des chanteurs différents. Son premier hit « Beat Dis » contenait déjà quelques extraits choisis de Grand Master Flash, Frankie Smith et autres James In Deep plaqués sur un techno-rythme qui file à Mach 2. Son follow up, « Megablast », est un super-héros à la Superman, qui résiste même à la kryptonite verte, vocalement incarné par Merlin, un rasta prodige de dix-sept piges.
COLDCUT
Le tour de la maison acide ne saurait être complet sans une visite à l’église réhabilitée en studio où Yazz, la Donna Summer de la House, a poussé ses premiers cris de star entre les mains expertes de Matt Black et de Jonathan Moore, le duo DJ- producers de Coldcut -littéralement « Quartier de Viande », car leur tout premier studio était planté dans une boucherie désaffectée-. C’est sans doute un euphémisme, mais les Coldcut s’y connaissent en matière de bidoche: deux titres, deux succès fracassants avec la House coulée sur mesures pour Yazz dont l’invincible « The Only Way ls Up » squatteur du top des charts British plus de six semaines d’affilée, un sacré morceau effectivement.
À l’intérieur de l’église, Matt et Jonathan ont cette petite pièce où s’entassent quelques antiquités genre mini-Moog, les platines Technics et casiers débordants de vinyle témoignant que c’est ici même que l’or noir s’est mis à couler à flots.
« Notre vie a été bouleversée à cause d’un seul disque, « Adventures At The Wheels of Steel » de Grand Master Flash. En 82, ils étaient les premiers à oser pomper directement Chic et Blondie pour réaliser un truc de détraqué si fulgurant. Je me suis dit: « Mais comment ont-ils fait ? » et le jour même je m’achetai des platines », explique Matt.
Jonathan a suivi une voie parallèle ; en traversant les mêmes clubs, ils ont fini par se rencontrer. Jon abandonne son job de prof de dessin pour s’associer avec Matt au tout premier disque de House confectionné à Londres.
« On a fait presser le maxi en 33 tours pour le faire passer pour un import US et jouer avec le snobisme des DJ’s anglais qui sont prêts à payer n’importe quoi pour être les seuls à posséder un disque rare. On s’attendait à se faire arrêter pour avoir commis un disque illégal, puisque constitué uniquement d’extraits bidouillés d’autres pressages. »
Coldcut monte son label, Ahead Of Our Time, et nos pirates affinent leur technique de braquage en toute impunité.
« La loi est totalement floue sur ce sujet», reprend Matt, «les avocats se font un pognon fou sur la question tandis que le gouvernement paraît trop occupe’ à arnaquer tout le monde. La protection littéraire et artistique n’a pas bougé depuis trente ans dans ce pays et pourtant aujourd’hui chaque disque du Top 30 contient des sons samplés. Si l’on décide que c’est illégal, il va falloir poursuivre tout le monde. Les compagnies de disques vont se rendre compte qu’elles n’ont ni les avocats ni les moyens de se livrer très longtemps à ce petit jeu. »
Et Yazz, comment débarque-t-elle chez les Coldcut?
« C’était juste après notre re-mix du « Paid In Full» pour Eric B and Rakim », réplique Jonathan, « On nous avait demandé de faire le remix d’un groupe et leur management nous a invités pour qu’on leur fasse écouter nos trucs. Sur la cassette, il y avait les rough mixes de « Doctorin’ The House » baptisée à l’époque « Plastic Man ». Et eux ont immédiatement pensé à ce mannequin, Yazz, qu’ils manageaient. Lorsqu’on nous a présentés, nous nous sommes immédiatement détestés, Yazz haïssait tout ce que nous pouvions lui faire écouter. Mais au fur et à mesure, elle a fini par assimiler ce que pouvait être la House et le profit qu’elle pouvait tirer de ce beat forcené. C’était un excellent deal ; nous lui apportions notre délire et notre sens de la prod et elle nous apportait Yazz, son instinct naturel médiatique doublé d’un sens de la mélodie. »
Après la tornade « Doctorin The House », Yazz et Coldcut récidiveront victorieusement avec l’invincible « The Only Way ls Up », une reprise d’une chanson de George Jackson – déjà responsable du « One Bad Apple » de Donny Osmond -.
MUD CLUB
11pm, vendredi soir. Sur Tottenham Court Road, les hordes House se pressent aux portes du Mud Club. Les videurs carrés en smoking-nœud pap sont les bras séculiers impitoyables du physionomiste de service qui rejette tout ce qui ne colle pas aux critères acides. T-shirts colorés, jeans déchirés ou pantalons de toile et casquette de baseball ou bandana sur la tête, avec short cycliste alternatif pour les nanas, la panoplie House est assez basique et l’on comprend très rapidement pourquoi. Les clubs de House sont aussi chauds et vaporeux qu’un bain turc. Liquéfiés en trois minutes, les derniers dandys s’accrochent désespérément à la peau de leur Perfecto, les pauvres. Ici tout est fait pour désorienter les freaks : la chaleur, les machines à fumées, l’usage intensif du Stroboscope et surtout, surtout l’hypnose délivrée par le beat intense et répété de l’Acid House. Quelle claque! La House vous emporte comme le Baron Vendredi d’une cérémonie vaudou. « Acieed l Acieed l Acieed l », braillent les kids en grimaçant, une référence directe à la chanson de D Mob « We Call It Acieed ». Les T-shirts collent à la peau des filles. Le rythme ne s’arrête jamais, visuellement c’est un glissement temporel vers l’explosion Flower Power de la fin des sixties. Les bras levés, on s’abandonne tout à fait à la musique. Et si le signe de la paix est remplacé par « Smiley », le petit personnage Kitsch des Anglais avec ses yeux ronds et son sourire sur fond jaune, on voit réapparaître les lampes Psyché à huiles projetées. Alors Acid or not acid ?
L’ectasy coûte 20 Livres la gélule, c’est cher, dissuasif et donc forcément rare, même si de temps en temps un allumé ou un arnaqueur vient vous alpaguer pour vous proposer un cachet de « E ». Dur de concilier la sur-énergie développée par la danse et l’usage d’une drogue psychédélique intense. Par contre, l’extase presque primitive et l’autosuggestion développés par la House balaient vraiment les inhibitions. Exit les frigidaires croque-morts au sang froid qui vous bousculaient et vous aspergeaient de bière en grommelant. Avec la House, les Anglais osent enfin réinventer le mot « cool» en secouant leurs mornes habitudes sociales pour se dé-coin-cer.Sur la scène du Mud, les smokings- nœuds-paps font le vide tandis que les roadies installent un clavier et des percus. La salle disparaît mangée par la fumée et Baby Ford assène sa House hard-core. « C’est comme un retour à l’esprit du punk », me confiera-t-il après son gig.
Le fantôme du « Summer Of Love » rencontre le « No Future » des Pistols, les collages de l’Acid House se nourrissent de tels contrastes. La folie se prolonge jusqu’à l’aube et bien au-delà.
Peace and Love, Smiley !
P.S. : Ne manquez pas la version audio visuelle de ce reportage, le 20 octobre à 18 h sur FR3 dans la nouvelle émission Drevet Vend La Mèche.
Publié dans le numéro 244 de BEST daté de novembre 1988
Fantastic article – even though I don’t speak or read French I really enjoyed this reminder of such an important time in so many of our lives here in London for that very brief spell during early to mid 1988 – never to be forgotten