GENESIS « The Lamb Lies Down on Broadway 50th anniversary »
Sûr que cela fait un bail que je n’ai pas chroniqué un album de Genesis, mais comment résister à celui-ci ? Publié à l’automne 1974, il marquera le chant du cygne pour la version Mark I du groupe, né à Godalming dans le Surrey, avec le départ de Gabriel après la sortie de cet ambitieux sixième LP. Car non seulement « The Lamb Lies Down on Broadway » est un concept-album, mais c’est également un opéra-rock, à la manière du « Tommy » des Who, qui narre l’improbable quête américaine introspective du new yorkais Rael, le héros de l’histoire incarné par celui qui revêtait le masque de renard dans « Foxtrot ». Un demi-siècle après sa sortie, cet album aussi unique qu’iconique ressort splendidement masterisé et gravement boosté d’un live intégral capturé au Shrine Auditorium de LA ; et l’on se dit que Genesis n’aura sans doute jamais été aussi planant.
C’est à nouveau open bar pour les amateurs de confiseries soniques, un vrai blast from your past lorsque sur la même photo Tony Banks, Mike Rutherford, Steve Hackett et Peter Gabriel célèbrent ensemble la naissance de cette édition Super Deluxe 50e anniversaire de leur « The Lamb Lies Down on Broadway ». Disponible en coffret 4 CD + Blu-ray Audio ou 5 LP + Blu-ray Audio, ainsi qu’aux formats Digital et Dolby Atmos, le coffret a été supervisé par tous les membres du groupe et bien entendu Phil Collins a donné son accord. Composé dans la foulée de la tournée accompagnant le 33 tours précédent « Selling England By the Pound », quelque peu boudé à sa sortie, cet album crépusculaire et torturé, reflète certes les dissensions entre Peter Gabriel et les autres membres du groupe, mais également toute la créativité dont ils savaient si bien faire preuve coté planerie intense. Et de ce côté-là, on peut affirmer que « The Lamb… », porté par ses envolées baroques ne nous avait à l’époque pas déçu. Gabriel juste parfait en prophétique Rael et le groupe qui nous arrache littéralement à l’attraction terrestre en lentes envolées lyriques superbement bien orchestrées. Et tant pis si les fans de l’époque déboussolés par l’ambition du projet n’avaient pas toujours forcément adhéré, les mêmes doivent convenir aujourd’hui à l’écoute de ce remastering que c’était bien un putain d’album. Quelque part entre « Le Magicien d’Oz », « The Magical Mistery Tour », l’Orphée de la mythologie et « West Side Story », l’épopée de Rael nous entraine à sa suite dans les rues de New York, lorsqu’il tombe sur un agneau allongé sur Broadway ( « The Lamb Lies Down on Broadway ») avant de s’endormir pour se réveiller dans une cage de stalagtiques et de stalagmites.
Réussissant à s’échapper il croise dans ces caves des membres de son ancien gang, une vielle femme aveugle qui va me guider et trois créatures avec lesquelles il s’adonne à de torrides jeux sexuels- on n’était encore pas bien loin du Summer of Love : NDR-. On pense aussi à « The Acid Queen » dans « Tommy ». Finalement, le pauvre Rael va passer de vie à trépas, mais c’est pour la bonne cause. Heureusement, le double LP et bien plus intéressant musicalement que son concept alambiqué. Un titre tel que l’irrésistible « The Waiting Room » est carrément au niveau stratosphérique d’un « Ummagumma » de Pink Floyd. Quant à « The Light Dies Down on Broadway », porté par sa mélodie à fleur de peau, elle incarne à la perfection toute la quintessence de Genesis. Comme une peinture de la Renaissance restaurée qui fait soudainement apparaitre les couleurs et des détails occultés par le temps, cette re-masterisation donne littéralement des ailes à ce « The Lamb… ». Mais si on est déjà conquis par le dépoussiérage et la mise en lumière des versions studio, le live intégral bonus est peut-être la plus grosse surprise du projet Deluxe. Car de luxe, il est en question avec l’acoustique parfaite de cet ancien cinéma de Los Angeles, situé sur Jefferson Boulevard, où ce live inédit a été capturé le 24 janvier 1975. Dès la chanson-titre d’ouverture, on est entrainé dans le maelström un peu magique de Genesis, avec le clin d’œil appuyé au « On Broadway » des Drifters à la fin de la chanson. Tel un ménestrel du Moyen Age, Gabriel incarne de toutes ses neurones la destinée de cet étrange Rael. Mais le plus sidérant dans ce live incroyable, c’est la qualité, la précision du rendu du son. On apprend que Genesis a donné 104 représentations à travers le monde de « The Lamb Lies Down on Broadway, jouant l’intégrale du double 33 tours avec deux anciens titres bonus, à l’instar de ce vibrant et emblématique « Watcher of the Skies », le joyau ultime de « Foxtrot » et la baroque et longue ( plus de 12 minutes tout de même ! )« The Musical Box » extraite de leur « Nursery Cryme ». Avec un tel show au Panthéon du rock planant, aux côtés des Yes et autres King Crimson, cette fois sur le même podium que le Floyd, Genesis mérite largement son rang dans l’histoire, ne serait-ce que pour avoir sorti un projet aussi singulier. 50 ans plus tard Broadway n’a décidément rien perdu de son éclat, bien au contraire.