MARVIN GAYE « Midnight Love »
Voici 42 ans dans BEST GBD succombait totalement au pouvoir de la « guérison sexuelle » de Marvin Gaye, éclairant pour ses lecteurs un LP juste monumental, sans doute le plus beau et le plus puissant depuis « Let’s Get It On », avec ce « Midnight Love ». Album prodigieux du retour du séducteur black, qui portait tant de hits et tant d’espoirs, hélas dramatiquement douchés par son assassinat quelques mois plus tard par son propre père, à la veille de ses 44 ans. Flashback…
J’ai encore le soleil orange de la rondelle du vinyle CBS au fond des yeux. Et comment l’oublier ? Car dès la première écoute de ce « Midnight Love », j’étais tombé follement amoureux de cette nouvelle soul que nous proposait Marvin. Et ce regard de braise, avec sa tête en gros plan, le poing posé sur la tempe avec nonchalance, devant un paysage de gratte-ciels futuristes sur la pochette résumait tout l’esprit du disque. Séduction et modernité, tout ce que justement Marvin était parvenu à retrouver dans notre vieille Europe où il avait choisi de s’exiler pour se ressourcer. Car dès le premier titre « Midnight Lady » Marvin fait couler sa nouvelle soul incandescente comme la lave volcanique où sa voix démultipliée portée par les cuivres nous arrache immédiatement à l’attraction terrestre. Mais il faut attendre l’explosif « Sexual Healing » pour recevoir le coup de grâce. Plus de quatre décennies après sa sortie, ce tube immense n’a rien perdu de son intense séduction : la voix haute de Marvin s’envole au firmament, et nous avec lui, portés par cette irrésistible mélodie. Le reste de l’album conserve cette incroyable altitude de croisière. Après cette chronique, je me souviens que Christian Lebrun, le Redac Chef de BEST, et moi avions bataillé des mois avec le label en vue de décrocher un entretien avec Marvin, qui en avait finalement accepté l’augure. Hélas le destin en aura décidé autrement. Avec le recul, le titre trouvé par Christian, inspiré par la dernière phrase de l’a chronique « la beauté du diable » se révèlera tristement prophétique, sachant que Marvin a été assassiné par son propre pasteur de père, Marvin Gaye senior, et de surcroit avec une arme que lui avait offert son fils, à la veille de son 44ème anniversaire car il ne supportait plus que Marvin continue à chanter l’amour charnel, lorsqu’il n’aurait dû chanter que l’amour de Dieu. Et pour cette seule et dérisoire raison, Marvin Gaye a privé le monde entier de Marvin Gaye, faisant de ce « Midnight Love » l’ultime véritable album de notre héros du groove. Quelle abyssale tristesse… et quelle abyssale perte pour l’humanité. Flashback…
Publié dans le numéro 174 de BEST sous le titre
LA BEAUTÉ DU DIABLE
Marvin ? Il est fou, frappé. Toqué, allumé. Il a laissé tomber Motown et la cité des Anges pour s’expatrier aux antipodes. L’Afrique ou l’Asie ? Pas du tout : Marvin Gaye a choisi la vieille Europe et la Belgique pour y greffer ses vieilles racines soul. Ostende, sur la Mer du Nord et ses plages longilignes, le vent, le froid et l’air iodé ont métamorphosé Marvin Gaye : « Midinight Love » est le résultat d’une des cures de jouvence tes plus radicales de la black music. Bien sûr, Marvin n’est pas le premier à graver le changement sur vinyle Diane Ross, les Temptations s’y sont risqués, mais jamais en roue libre : ils devaient compter sur l’éternel Berry Gordy, ou sur des jeunes loups comme Chic ou Rick James. Marvin Gaye, c’est une autre histoire après les années de solitude et de flip, un déclic a suffi à faire basculer sa mémoire. Évolution-révolution, Marvin n’a besoin de personne pour inventer les nouveaux chemins de la soul : synthétiseurs et drum machines pratiquent l’osmose sur une section de cuivre musclée et des instruments plus traditionnels comme la guitare ou la basse. « Mïdnight Love » oppose la soul music à son futur et Marvin en trace lui-même l’équation : il chante, joue, compose, arrange, écrit et produit les titres de ce LP torride caresse ses synthés à la manière de Stevie Winwood, mais la voix satinée est bien celle de « I Want You ». Martin bat, clappe des mains, frappe les cloches, Marvin se dédouble par la magie du re-recording et place ses propres choeurs. L’effet est saisissant, le feeling coule sans jamais déborder, il est aérien comme le vol des mouettes que Marvin a observé durant des jours et des jours depuis sa retraite belge. « Tu es incroyable…oh that’s french, it means you’re incredible » Marvin, romantique, charme en français « Till Tomorrow » et les frissons sont garantis. Incroyable, il l’est jusqu’au bout chaque instant est un moment privilégié.
Il suffit d’écouter « Sexual Healing », l’un des hits si puissant de l’album pour s’en convaincre : Marvin Gaye a des accents qui ne trompent pas. Je suis prêt à parier mes pressages originaux de « Les Get It on » ou de « What’s Goin’ On » que ce « Midnight Love » remportera plus de suffrages que tous les autres disques blacks du moment. Si le cœur humain était fait de cristal, des titres comme « Till Tomorrow » ou « My Love Is Waiting » le réduiraient sans peine en miettes. Marvin Gaye sait aimer aux éclats, pleurer à la folie ou rire à chaudes larmes. C’est le coup de feeling qui perce droit au cœur. Il expérimente mime aussi le reggae soul (« Third World Girl ») sur sequencer, comme si Marley pouvait jammer avec Brion Eno. Maintenant, je sais que le diable est noir ; la tentation et le charme sont ses atouts principaux, ils ne sont pas les seuls : Marvin a bien plus d’un tour dans son sac.
Publié dans le numéro 174 de BEST daté de janvier 1983