« C’EST JANE, BIRKIN JANE » par GABRIELLE CRAWFORD Première partie
Elle parle couramment le Jane et pour cause… Jane Birkin et Gabrielle Crawford se sont rencontrées en 1965. Elle était Disc-Jockey dans un club de Londres, où Jane est entrée avec John Barry, son premier mari qu’elle venait d’épouser en compagnie de son mari à elle, le comédien Michael Crawford, puisqu’il jouait justement dans le film « The Knack » avec Jane, dont John Barry avait écrit la musique. C’est à ce moment-là que Jane et Gabrielle sont devenues comme deux sœurs jumelles fusionnelles, dans une extraordinaire amitié de 60 ans où elles ne se sont jamais quittées. Dans son livre si émotionnel « C’est Jane, Birkin Jane » Gabrielle Crawford nous fait partager tant d’anecdotes et de souvenirs d’une incroyable complicité pour nous dresser le portrait de « sa » Jane. Première partie d’un entretien aussi décousu que naturel, si fidèle à tout ce qu’elle était.
C’était très émouvant d’assister à la projection de ce « Jane Birkin : the Mother of all Babes », le merveilleux documentaire consacré à Jane Birkin, par celle qui sans doute la connait le mieux au monde et qui a aussi travaillé avec elle en tant que photographe, à l’instar de son iconique pochette pour « Arabesque ». Coïncidence, je me retrouve juste à côté d‘Olivier Rolin, l’un des derniers compagnons de Jane, que j’avais moi-même interviewé pour mon doc sur Jane « De Jane B à Birkin »( Voir sur Gonzomusic https://gonzomusic.fr/?s=jane+birkin ) . Ce jour-là Gabrielle présente son livre « C’est Jane, Birkin Jane », paru aux éditions Actes Sud, qui déborde de témoignages et de précieuses anecdotes, de petites et de grandes histoires de l’artiste Britannique la plus fameuse de l’Hexagone. J’avais d’ailleurs publié une interview de Gabrielle Crawford ( Voir sur Gonzomusic SOUVENIRS DE JANE B ) juste après la disparition de son amie. Connaissant leur relation, j’étais curieux de lire ce livre et croyez-moi je n’ai pas été déçu. En plus de ses souvenirs personnels, Gabrielle a aussi recueilli de précieux témoignages des proches de l’artiste, dont une lettre bouleversante de Kate confiée par son fils. C’est dire si ce « C’est Jane, Birkin Jane » se révèle précieux à tout aficionado de Jane B.
« Grace à ton livre, j’ai appris deux choses que je ne savais pas sur Jane, c’est qu’elle était aussi casse-cou avec des tas d’engins comme les automobiles, les mobylettes et autres véhicules à moteur, mais de surcroit qu’elle avait sans arrêt des accidents avec.
Elle ne connait pas sa droite de sa gauche, elle a toujours été perdue avec ça. Tu sais, elle était un peu dyslexique et quand je lui disais de tourner à droite, elle tournait naturellement à gauche.
Rien à voir avec le fait qu’on roule à gauche en Angleterre n’est-ce pas ?
Si toi tu veux lui offrir cette formidable excuse, c’est ta responsabilité, mais moi je t’assure que c’était terrifiant de se trouver en voiture avec elle au volant.
Combien de véhicules a-t-elle cassé devant toi ? La mobylette, une 4 L … tu as le souvenir d’autres accidents notables ?
Bien entendu ce n’était jamais intentionnel lorsqu’elle causait un accident. Une fois c’était à l’aube, elle conduisait en me disant : « Regarde Gabrielle comme c’est joli. Regarde ce soleil qui monte sur les arbres. » Scène suivante elle est rentrée dans l’arrière d’une voiture très chère !
Mais là c’était avec la 4 L ?
Non c’était une autre.
Pas sa Porsche Targa, tout de même ?
Ah non celle-là, elle l’a cassée en Normandie. La première fois, elle ne sait même pas où sont les lumières. Elle ne sait absolument rien de la conduite. Je suspecte que Serge a acheté son permis de conduire. Elle n’a jamais passé le test. J’en suis certaine.
(rire)
J’ai beaucoup ri à tous ces accidents de Jane, heureusement sans gravité. Cela lui donne un coté Mister Bean, en fait.
Elle ne viole jamais la loi… mais dans sa tête à elle. Quand un jour où elle conduisait à côté de la Seine, on a tapé contre une camionnette de gendarmes. En sortant de la voiture, elle leur demande direct « avez-vous déjà entendu une symphonie de Malher ? » Et les gendarmes sont perdus, ils ne savent pas quoi dire. Et même ils se contentent de lui dire : faites attention la prochaine fois, madame. Si c’était toi ou moi nous sommes…
… en prison !
Exactement.
Ils l’avaient reconnu ?
Après coup… on va dire !
Et là c’était quelle voiture ?
Une Renault 5.
Tu as fait tout un chapitre sur les Olivier qui ont compté dans sa vie. J’en connais deux : le talentueux Olivier Gluzman qui l’a représentée durant tant d’années et aussi Olivier, le garçon qui s’est admirablement occupé de Jane durant sa maladie.
Mais il y avait aussi Olly Wolly, la grand-mère de Jane du côté de son père. Mais je ne l’ai pas connue, elle est décédée quand Jane avait sept ans.
Un perroquet aussi du nom d’Olivier. Ça m’a fait beaucoup rire car j’ai une histoire de perroquet avec Jane lorsque j’étais en reportage à New York dans les années 90, peut être avec MC Solaar. Ma femme qui bossait avec Jane chez Mercury m’avait annoncé qu’elle avait acheté un perroquet chez Jungle Bird, à Manhattan et que je devrais peut être rapporter ledit volatile à Paris. Ça ne s’est pas fait, mais tu n’oublies pas une histoire pareille !
Celui dont je te parle, c’était Olly Polly. Chaque fois qu’on était quelque part et qu’on voyait un de ces volatiles, on pouvait voir que Jane adorait les perroquets. Elle pouvait rester des heures à parler avec un perroquet. Et comme elle devait chanter une heure plus tard, je trouvais que ce n’était pas une très bonne idée.je me disais elle va perdre la voix à cause du perroquet.
Mais ce Olly Polly là, Jane était jeune à l’époque ? Quel âge avait-elle ?
Oui c’était pendant l’enfance, elle l’a eu pendant longtemps.
Et sais-tu ce qu’il est devenu le perroquet de Jungle Bird ?
Il n’est jamais arrivé. Elle était furieuse. Elle avait payé, mais il n’est jamais arrivé. Et en définitive, elle en a acheté un en plastique, un faux perroquet. C’est beaucoup plus simple, en fait. Il y a déjà assez de problèmes avec les chiens, on n’a pas besoin de perroquet en plus.
Tu veux dire de chiens qui ronflent et qui pètent !
(Gabrielle manque de s’étouffer) oh… terrible… terrible… mais elle adore. Je pense que c’était pour la compagnie, mais je n’ai jamais eu ce problème de gens qui me regardent tout le temps, donc je pense que c’était une espèce de sécurité de partir avec un chien, parce que vous pouvez parler avec le chien. Et ce n’est pas nécessaire de parler avec les autres gens, c’était une sorte de body-guard.
Mais toi qui a réalisé un film sur Jane …
Grace à toi… je me souviens que tu m’avais aidé en ce temps-là.
Oui, car je savais que tu avais un regard que personne ne pouvait avoir sur Jane vu votre proximité/ gémellité ? Mais tu avais le même problème que moi quand je la filmais avec ces chiens qui ronflaient et pétaient en permanence au milieu du tournage… ça faisait du bruit derrière quand elle parlait.
Oui tout le temps. Et la nuit aussi c’est impossible de dormir même dans une chambre à coté dans un hôtel. Il y a ce son qui passe les murs, c’était terrible. Et dans le train, c’était aussi une aventure.
En tout cas j’ai adoré ton film sur Jane.
C’est très amateur. Mon idée, je ne sais pas si ça existe en français, tu connais l’expression fly on the wall c’est un peu se fondre dans le décor ce sont des images un peu volées. C’est ce que je fais en tant que photographe et ce film n’est qu’une extension. Si je suis toujours avec elle, je n’ai jamais considéré Jane comme mon amie célèbre. Pas une seule fois.
Elle n’était pas du tout connue lorsque vous êtes devenues amies.
Effectivement, elle ne l’était pas du tout. Si je regarde en arrière, mes photos, tout ce que j’ai vécu avec elle, mais vraiment ce n’est qu’après « Arabesque » que je n’ai vraiment réalisé combien elle était aussi célèbre. Parce que la plupart du temps passé avec elle, nous sommes seules. Simplement deux amies. Elle était une personne particulièrement compliquée. C’est pour cette raison que tu ne pouvais jamais t’ennuyer avec elle car soit tout est un drame, soit …
… tout est un bonheur intégral !
Oui. Et sans beaucoup de confiance en soi. Ce que je n’ai jamais compris. Je comprends pour les choses professionnelles d’être sur scène et de chanter. Mais visuellement …. Elle dit tout le temps j’ai peur de tout et en même temps elle ne mettait jamais de maquillage. C’est une contradiction.
Un paradoxe vivant.
Complètement.
Pour les mêmes raisons, elle ne se trouvait pas jolie, elle se trouvait trop plate, trop maigre alors qu’elle posait chaque semaine pour les magazines.
Elle est très claire quand elle aime quelque chose. Comme ses jeans qu’elle portait tout le temps. Elle ne fait aucun effort. Sauf à la fin quand elle était malade.
Elle écoutait un peu plus ce qu’on lui disait ?
Oui, je crois que c’est la chose la plus difficile de se voir ainsi. Elle disait : je ne sais pas qui c’est dans la glace, c’est pas moi.
Ce n’est pas juste la malade, c’est aussi le fait de vieillir. On peut se poser les mêmes questions
Mais comme tu parles de paradoxe… c’est tout de même un paradoxe d’être sur scène. Je pense qu’être sur scène et de chanter, la rendait plus vivante.
Serge était pareil. Quand il était à l’hôpital, il appelait tous les journalistes. Il a toujours été comme ça et je pense qu’elle tient aussi cela de lui. Ou c’est lui qui tenait ça d’elle, tant ils étaient fusionnels.
Oui. Mais il n’était pas malade sur scène, comme elle. C’était terrible ce cocktail de chimio conte sa maladie. Moi jamais je n’aurais pu tenir debout, mais elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait prendre.
Mais c’est justement ce qui la maintenait en vie. Sans la scène, sans le regard de son public, sans ce côté créatif… car Jane était incroyablement créative… entre le dessin et ses fameux carnets, le style, la mode…. Évidemment le cinéma, le sérieux comme la comédie, les pièces de théâtre classique, la musique… mais aussi incroyablement timide : tu as vu le temps qu’elle a pris pour écrire ses premiers textes ?
Je me souviens, elle était rue Jacob et c’est Philippe Lerichomme ( Voir sur Gonzomusic ) qui lui avait donné la musique et il lui avait aussi offert un dictionnaire de rimes. C’était un peu comme Serge, tu sais quand les mots ne marchaient pas exactement avec la musique, Serge trouvait une façon de les faire marcher, en jouant sur la prononciation. Je trouve que c’est un vrai talent parce que la plupart des textes de chanteurs sont généralement assez basiques, mais pas avec Serge où les mots chantent avec la mélodie ; et je suspecte Jane d’avoir hérité de ce talent. Dans les années 60, lorsque j’étais une piètre Disc-Jockey, on connaissait par cœur les paroles des chansons qu’on passait. Aujourd’hui on a tellement de mal à les entendre à peine qu’on ne les comprend pas toujours. Si tu prends Dylan, ses textes sont toujours compliqués, mais il est comme Serge, il trouve toujours un moyen de faire coller ensemble ses mots et sa musique.
La musique des mots a toujours été primordiale pour Serge et il s’en est toujours beaucoup amusé et joué parce qu’il savait que le français ce n’était pas une langue rock and roll et que en faisant comme il faisait il le rendait rock and roll.
Oui. Absolument.
Et c’est pour ça qu’il rajoutait de l’anglais, des onomatopées …si tu prends « Ex fan des sixties » ce n’est qu’une succession de nom de rock stars et en même temps cela fonctionne parfaitement.
Est-ce qu’i y a beaucoup d’artistes qui reprennent les chansons de Serge et qui en font des tubes aujourd’hui ?
Pas récemment, mais il y a eu cet incroyable album de remixes publié voilà vingt ans intitulé « I Love Serge »
Je me souviens de ce superbe cover de « Je t’aime » par Blown en 1994 !
Et celui ( interminable ) de Donna Summer pour la BO du film « Thank God It’s Friday » en 1977. Il y aussi l’album de reprises de Serge en anglais par Mick Harvey. Sans oublier le « Nouveau Western » de MC Solaar, sur le sample de « Bonnie And Clyde » et aussi l’épatant David Holmes qui reprend intensivement « Melody Nelson » sur son « Don’t Die just yet »
À SUIVRE….
All pix by Gabrielle Crawford
Voir sur Gonzomusic « C’est Jane, Birkin Jane » par Gabrielle Crawford : Deuxième partieC’EST JANE, BIRKIN JANE par GABRIELLE CRAWFORD : Deuxiéme partie
« C’est Jane, Birkin Jane » par Gabrielle CRAWFORD
Actes Sud