LA FILLE DU REGIMENT À L’OPERA
Tambour, amour et bonnes tranches de rigolades, La Fille du Régiment est de nouveau prêt conquérir le cœur du public parisien. Cet opéra-comique de Gaetano Donizetti, créé en 1840 avait été entièrement relooké et rafraîchi en 2012 par le metteur en scène Laurent Pelly. Après l’élixir d’amour en 2006, La Fille du régiment est le second ouvrage de Donizetti, passé au prisme de l’humour et des décalages propre à l’ingéniosité du metteur en scène. Dans le rôle-titre, la soprano Julie Fuchs reprend avec beaucoup de cocasserie et d’espièglerie le rôle où triomphait Natalie Dessay à sa création.
Par Jean-Christophe MARY
Les projecteurs sont braqués sur Marie, élevée par des soldats après avoir été trouvée sur le champ de bataille, alors qu’elle n’est qu’un nourrisson. Des années plus tard, Marie jeune vivandière, tombe amoureuse de Tonio, qui rejoint le régiment pour être auprès d’elle. Lorsque la marquise de Birkenfeld entend parler de Marie, elle prétend être sa tante et mets tout en œuvre pour l’aider à devenir une dame de la haute de la haute société mais ses plans sont tout autres : elle souhaite surtout que Marie n’abandonne jamais Tonio, quitte à empêcher son ascension sociale.
Cette ingénieuse mise en scène signée Laurent Pelly qui a déjà tourné sur différentes scènes lyriques à travers le monde, dont la Royal Opera House en 2012 et 2014 est bain de jouvence de drôlerie et d’inventivité où les gags s’enchainent à la vitesse de la lumière. Pour le néophyte, cet opéra populaire dans le bon sens du terme est l’un des plus accessibles du répertoire classique. Pour en faciliter la lecture, Laurent Pelly inscrit l’œuvre dans le contexte de la première guerre mondiale. Les traditionnels shakos en coiffure et les vestes à basques de l’armée napoléonienne sont ainsi remplacés par les casques Adrian et la capote bleue à col rouge. Le personnage de Marie, la fille du régiment s’inspire des profils de femmes qui accompagnent les armées. Institué par Louis XIV afin de faciliter la logistique du côté d’un des soldats (linge, repas, distribution de fournitures variées) le métier de vivandière évolue au fil des siècles tant dans ses fonctions réglementée sous Napoléon, que dans sa perception, souvent assimilée à de la prostitution. Durant le Second Empire, l’image de la vivandière fille facile sera remplacé par celle de la cantinière mère nourricière, qui devient la mascotte du régiment, vêtue d’un habit décliné d’après celui des militaires.
Dans cette nouvelle distribution, le ténor américain Lawrence Brownlee particulièrement renommé dans le répertoire du Bel Canto, campe un Tonio porté par une voix haute et claire et un jeu d’acteur remarquable. Le timbre est puissant, les aiguës dotés d’une belle brillance. Dans la seconde partie, le ténor explose littéralement sur scène.
Pas évident de passer après une Nathalie Dessay qui excellait dans le rôle de Marie, personnage espiègle entre Fifi Brindacier et Gavroche. La soprano Julie Fuchs est ici pétillante à souhait en orpheline espiègle, adoptée tendrement par ce régiment de soldat. La soprano virevolte comme une elfe, pleine de charme et de malice et fait des merveilles vocales dans le registre du belcanto. Le baryton Lionel Lhote endosse lui le rôle de Sulpice avec de très belles basses et une grande aisance scénique, la mezzo-soprano Susan excelle en Marquise de Bekenfiled. Ajoutons que le baryton Florent MBIA propose une composition savoureuse de Hortensius tandis que la soprano Felicity Lott est toujours aussi cocasse en Duchesse de Crakentorp. Le plateau en forme de cartes d’état-major conçu par Chantal Thomas nous replonge dans la campagne Tyrolienne de 1914 entre réalisme champêtre et un fantastique avec ce décor unique monumental qui fait de cette histoire une comédie loufoque pleine de vitalité, criante de vérité sur les rapports amoureux. Cette reprise est un triomphe annoncé aussi pour la direction d’orchestre confiée à Evelino Pidò, maestro vif et alerte qui est martial quand il le faut, lyrique quand la musique l’exige. Pensez à réserver.
Opéra Bastille. Place de la Bastille, 12e. Tél. 0892 89 90 90. À 19 h 30. Jusqu’au 20 novembre 2024