TURANDOT À L’OPÉRA

TurandotTurandot revient à l’Opéra National de Paris, dans une mise en scène de glace et de feu signée Robert Wilson ! Crée au Teatro Real de Madrid en 2018 par Robert Wilson, donné pour la première fois l’Opéra de Paris en 2021, Turandot est à nouveau sous les projecteurs à l’Opéra Bastille pour huit représentations d’exception à ne manquer sous aucun prétexte, le moment ou jamais de se demander: quel est au juste le tirant d’eau de Turandot ? 

TurandotPar Jean-Christophe MARY

La cruelle princesse Turandot, fille de l’empereur et dont la beauté est légendaire, attire à Pékin de nombreux prétendants qui doivent se soumettre à une terrible épreuve : s’ils élucident les trois énigmes que leur propose la princesse, ils gagnent la main de celle-ci, ainsi que le trône de Chine ; s’ils échouent, c’est la décapitation qui les attend. Inspiré par une fable de Carlo Gozzi puisant lui-même à plusieurs sources dont les Mille et une nuits, l’ultime opéra de Puccini renoue avec une atmosphère orientale, déjà présente dans Madame Butterfly. Mais en 1924, année où le compositeur meurt en laissant sa partition inachevée, son écriture a gagné en modernité, sans rien perdre de son invention mélodique, comme en témoigne le célèbre air « Nessun dorma ». Les références à l’Asie ne pouvaient que séduire Robert Wilson dont l’esthétique emprunte au théâtre nô. Sa mise en scène épurée, traversée de touches de commedia dell’arte offre des images saisissantes et hypnotiques. Si l’étymologie du prénom Turandot renvoie au royaume imaginaire du Touran, l’identité de la princesse chinoise s’est modelée au fil des siècles. C’est dans l’ouvrage les Mille et un jours de François Petris De La Croix que les traits de Turandot se dessinent clairement. Fille de l’empereur de Chine Altoun Can, la princesse Tourandot qui refusait le mariage finit par s’abandonner au Prince Calaf. Giuseppe Adami et Renato Simoni auteurs du livret de l‘opéra de Puccini se sont appuyés sur fable du dramaturge Vénitien Carlo Gozzi qui a apporté lui à  l’intrigue une dimension surnaturelle, féérique et des éléments mythiques.

TurandotSituant l’action dans une Chine Médiévale fantasmée, on retrouve ici les ingrédients qui depuis les 70’s ont fait la réputation du metteur en scène et scénographe américain :  la culture zen et les arts et traditions asiatiques qui ont très largement contribué à la formation de son langage théâtral et visuel qui s’incarnent dans ses différentes productions pour l’Opéra National de Paris : La Flûte enchantée, Madame Butterfly ou Pelléas et Mélisande. Sa mise en espace de Turandot est d’une sobriété, d’une beauté visuelle à couper le souffle. Panneaux rectangulaires et carrés coulissants ou plateau mis à nu, fond de scène aux couleurs bleues, rouges ou orages éclatantes, le chœur en ombres chinoises sur le dernier tableau, ce néon lumineux descendu des cintres, ces poursuites éclairants les personnages pour faire ressortir leurs expressions, costumes de soldats médiévaux, gestuelle ralentie emprunté au théâtre du Nô, tout dans cette mise en scène est d’une intelligence, d’une précision et d’un raffinement esthétique absolument délicieux. Outre la gestuelle minimaliste des protagonistes, cette production offre de belles surprises comme la princesse Turandot apparaissant sur un balcon coulissant ou son père, l’empereur descendant des cintres,  chantant suspendu entre ciel et terre. Chaque mouvement des personnages est contrôlé dans un rituel réglé au millimètre. Alors oui cette reprise est un triomphe pour plusieurs raisons. Sous la baguette de Marco Armiliato qui a dirigé ici Otello, Le Barbier de Séville et la Fille du Régiment, ce soir une pléiade de stars. A commencer par Tamara Wilson (Turandot) qui fait ses débuts à l’opéra de Paris (elle interprétera le rôle titre de Beatrice di Tenda à l’Opéra National en février 2024). La soprano incarne une princesse à l’inhumanité glaciale, imperturbable, tout en retenue.

TurandotAucune faille dans le chant, aucune fêlure dans les aigus. Le ténor Gregory Kunde que l’on a découvert dans le rôle titre d’Otello (2019) campe un Calaf héroïque et amoureux, totalement magnétisé par son amour pour Turandot. D’ailleurs, le jeu entre les deux solistes oscille de bout en bout entre répulsion et désir. Leur duo sur la scène des énigmes « Straniero, ascolta » à l’acte 2  est remarquable. Applaudissements mouris du public pour Gregory Kunde lorsqu’il déclame son « Nessun Dorma » dans cette surprenante forêt pékinoise en forme de gigantesque toile d’araignée. Pour accompagner ces deux voix imposantes, la soprano Adriana Gonzalez campe une Liù dont la voix frissonnante capte toute l’essence de la dévotion et de la fragilité. Les ministres Ping, Pang et Pong, interprétés respectivement par Florent Mbia, Maciej Kwaśnikowski et Nicholas Jones, forment un joyeux trio de pantins désarticulés. Leurs façons de se mouvoir en sautillant, leurs mouvements obsessionnels forment une chorégraphie réglée au millimètre. Le ténor Carlo Bosi (dans le rôle d’Altoum ) est un empereur au chant vitaminé, pétri d’humanité. Enfin saluons, le travail des chœurs savamment mis en place par la cheffe Ching-Lien Wu qui sont autant d’une grande souplesse que d’une grande puissance et ces choeurs d’enfants chantant depuis les coulisses qui eux apportent une saveur toute particulière à ce bel ensemble. Le public qui a retenu son souffle durant tout ce spectacle croissant en expressivité et émotion fait véritable une ovation aux artistes. Un triomphe d’ores et déjà annoncé pour les 8 prochaines représentations. Qu’on se le dise !

 

 

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